Cour de justice de l’Union européenne, le 13 mars 2025, n°C-120/24

Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter la directive (UE) 2015/1535 relative à la procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques. En l’espèce, une société titulaire d’une licence pour l’organisation de jeux de hasard à distance s’est vu infliger une sanction pécuniaire par l’autorité de surveillance nationale. Il lui était reproché d’avoir enfreint une disposition légale interdisant d’inciter à la pratique des jeux de hasard, en raison de mentions figurant sur son site Internet. La société a contesté cette sanction devant les juridictions administratives.

Devant le tribunal administratif régional de Vilnius, la société a soutenu que la disposition nationale en cause lui était inopposable, faute pour l’État membre d’avoir notifié à la Commission européenne la modification de cette loi, conformément à la directive 2015/1535. Le tribunal a rejeté son recours par un jugement du 10 août 2022, estimant que l’interdiction existait déjà dans la version antérieure de la loi et qu’une nouvelle notification n’était donc pas nécessaire. La société a alors formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême de Lituanie. Cette dernière, nourrissant des doutes sur l’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice.

Il s’agissait de déterminer si une réglementation nationale qui interdit d’inciter à la pratique des jeux de hasard, notamment via des informations publiées sur le site de l’opérateur, constitue une « règle technique » au sens de la directive. Ensuite, il convenait de préciser si l’absence de notification d’une modification de cette règle, dont la version antérieure avait été notifiée, la rendait inopposable à un opérateur économique. La Cour a répondu par l’affirmative à ces deux questions, considérant qu’une telle réglementation est une règle technique et que le défaut de notification d’une modification substantielle qui en élargit le champ d’application la prive d’effet à l’égard des particuliers. La Cour a ainsi clarifié la notion de règle technique (I) avant de préciser la sanction attachée au défaut de notification de sa modification (II).

I. La qualification confirmée de règle technique pour une interdiction d’incitation aux jeux d’argent en ligne

La Cour de justice a d’abord raisonné en deux temps pour établir que l’interdiction litigieuse relevait bien de la notion de « règle technique ». Elle a pour cela caractérisé l’activité de jeux en ligne comme un service de la société de l’information, puis a vérifié que la règle nationale visait spécifiquement cette activité.

A. L’assimilation des services de jeux de hasard en ligne à un service de la société de l’information

Pour qu’une réglementation soit qualifiée de « règle relative aux services » et, par conséquent, de « règle technique », elle doit concerner un « service de la société de l’information ». La Cour rappelle que cette notion vise tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire. Elle estime que les services de jeux de hasard à distance remplissent ces conditions, y compris celle de la demande individuelle.

En effet, la Cour précise que la fourniture de ces services « est nécessairement subordonnée à des actions de la part de leur destinataire, telles que le fait d’accéder au site Internet de l’opérateur et de créer un compte client ou le fait de placer des paris sur ce site ». La publication d’informations sur le site n’est qu’un « élément accessoire et indissociable » de ces services. Par cette analyse, la Cour confirme une approche fonctionnelle, où l’interactivité de l’utilisateur est déterminante pour caractériser la prestation de service, écartant l’idée que la simple mise à disposition d’informations pourrait en changer la nature.

B. Le caractère spécifique de la règle visant les services en ligne

Une fois l’activité qualifiée de service de la société de l’information, il restait à démontrer que la réglementation nationale la visait « spécifiquement ». La Cour note que l’article 10, paragraphe 19, de la loi nationale « vise explicitement, outre les jeux de hasard au sens classique, les jeux de hasard à distance ainsi que les prestataires de services de tels jeux ». Cet élément textuel suffit à établir le caractère spécifique de la règle.

La Cour rejette l’argument selon lequel le caractère général de l’interdiction, qui ne se limite pas à Internet, empêcherait une telle qualification. Elle réaffirme ainsi sa jurisprudence constante : une règle qui s’applique indistinctement aux services en ligne et hors ligne est tout de même considérée comme visant spécifiquement les premiers dès lors qu’elle les mentionne explicitement. Cette règle étant par ailleurs obligatoire, son non-respect étant sanctionné par un possible retrait de licence, elle constitue bien une « règle technique » soumise à l’obligation de notification préalable.

II. La sanction rigoureuse du défaut de notification d’une modification substantielle

Après avoir établi la nature de la règle, la Cour s’est attachée à définir les conséquences juridiques de l’absence de notification de sa modification. Elle a rappelé l’étendue de l’obligation de notification avant de confirmer la sanction de l’inopposabilité.

A. L’extension de l’obligation de notification à toute modification substantielle

La Cour rappelle qu’une nouvelle réglementation n’a pas à être notifiée si elle se limite à reproduire une règle existante déjà notifiée. En revanche, l’obligation de notification renaît dès lors qu’une modification ajoute des exigences, les rend plus strictes ou, comme en l’espèce, en élargit le champ d’application. Le juge de l’Union laisse au juge national le soin d’apprécier la portée de la modification législative.

Toutefois, la Cour prend soin de guider l’analyse de la juridiction de renvoi en s’appuyant sur les propres constatations de cette dernière. Elle relève ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle que le comportement reproché à l’opérateur « n’aurait pas été susceptible d’être sanctionné au titre de l’ancienne loi sur les jeux de hasard ». Ce faisant, elle induit fortement que la modification était substantielle car elle étendait le champ de l’interdiction. Il s’ensuit que cette modification constituait une nouvelle règle technique qui aurait dû faire l’objet d’une notification distincte.

B. L’inopposabilité, sanction réaffirmée du manquement à l’obligation de notification

La Cour conclut son raisonnement en rappelant avec fermeté la sanction attachée à ce manquement. Selon une jurisprudence bien établie, « la méconnaissance de l’obligation de notification prévue à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/1535 constitue un vice de procédure substantiel dans l’adoption des règles techniques concernées ». La conséquence directe de ce vice est l’inapplicabilité de ces règles, qui ne peuvent donc pas être opposées aux particuliers.

Le juge national a l’obligation d’écarter l’application d’une telle règle non notifiée. En l’espèce, la Cour étend logiquement cette sanction à la modification non notifiée d’une règle. Ainsi, même si la version initiale de la loi avait été correctement notifiée, la nouvelle version élargissant son champ d’application est inopposable à l’opérateur économique, le privant de base légale pour la sanction qui lui a été infligée. Cette solution renforce l’effectivité de la procédure d’information, pilier du marché intérieur, en garantissant que les États membres ne puissent contourner leurs obligations par le biais de modifications successives de leur législation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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