L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne examine les conditions de maintien d’une organisation sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Par cette décision, la Cour se prononce sur le pourvoi formé par une organisation contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 novembre 2022. Cet arrêt avait partiellement rejeté le recours de l’organisation visant à l’annulation de plusieurs règlements et décisions du Conseil ayant maintenu son nom sur ladite liste entre 2015 et 2019, entraînant un gel de ses fonds.
Les faits à l’origine du litige remontent à l’année 2002, lorsque le nom de l’organisation requérante, engagée depuis 1978 dans une lutte armée, a été inscrit pour la première fois sur la liste de gel des fonds de l’Union européenne. Cette inscription, fondée sur la position commune 2001/931/PESC et le règlement (CE) n° 2580/2001, a été régulièrement renouvelée. L’organisation a contesté la validité des actes de maintien adoptés entre 2014 et 2020 devant le Tribunal de l’Union européenne. Par son arrêt du 30 novembre 2022, le Tribunal a annulé les actes de 2014 pour un défaut dans le réexamen de la situation, mais a validé les actes ultérieurs, considérant que le Conseil avait corrigé ses manquements en actualisant son appréciation du risque terroriste. L’organisation a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant le raisonnement du Tribunal sur plusieurs points de droit.
La question de droit soumise à la Cour de justice était donc de savoir si le Tribunal avait correctement interprété les conditions de fond et de procédure justifiant le maintien d’une entité sur la liste de gel des fonds. Plus spécifiquement, il s’agissait de déterminer si l’objectif politique ultime d’une organisation, tel que l’exercice du droit à l’autodétermination, pouvait être pris en compte pour écarter la qualification d’acte de terrorisme, et si les exigences probatoires avaient été respectées par le Conseil lors des réexamens successifs.
La Cour de justice rejette le pourvoi dans son intégralité. Elle confirme que la définition de l’acte de terrorisme, au sens du droit de l’Union, est purement fonctionnelle et indépendante des mobiles politiques sous-jacents. La Cour juge que « les actes intentionnels énumérés à l’article 1er, paragraphe 3, premier alinéa, sous a) à k), de la position commune 2001/931 sont considérés comme étant des actes de terrorisme s’ils sont commis dans le but de gravement intimider une population, de contraindre indûment des pouvoirs publics […] ou de gravement déstabiliser ou de détruire les structures fondamentales […] d’un pays […], sans qu’il y ait lieu de prendre en compte l’objectif, politique ou autre, de l’auteur de l’acte terroriste en cause ». En outre, elle valide la méthode de réexamen du Conseil, dès lors que celui-ci se fonde sur une appréciation actualisée démontrant la persistance d’un risque d’implication dans des activités terroristes.
Cette décision consolide une approche stricte et pragmatique de la lutte contre le financement du terrorisme, en déconnectant la qualification juridique des actes de leurs motivations politiques (I). Elle confirme par ailleurs la validité des procédures de maintien sur la liste, pourvu qu’elles reposent sur un socle factuel actualisé, tout en exerçant un contrôle limité de la proportionnalité des mesures (II).
I. La déconnexion rigide entre l’acte terroriste et son mobile politique
La Cour de justice consacre une interprétation purement fonctionnelle de la notion d’acte de terrorisme, qui exclut toute considération des objectifs politiques de ses auteurs (A). Par conséquent, elle refuse de considérer le droit à l’autodétermination comme un fait justificatif susceptible de neutraliser cette qualification (B).
A. L’interprétation fonctionnelle et a-politique de l’acte de terrorisme
L’arrêt commenté réaffirme avec force que la définition de l’acte de terrorisme au sens de la position commune 2001/931 repose sur deux conditions cumulatives et objectives. D’une part, l’acte doit correspondre à l’une des infractions graves listées, telles que les atteintes à la vie ou la destruction d’infrastructures. D’autre part, il doit être commis dans l’un des buts spécifiques énumérés : intimider une population, contraindre des pouvoirs publics ou déstabiliser les structures fondamentales d’un pays. La Cour précise que ces buts « qui sont donc de nature purement fonctionnelle, n’ont aucun rapport avec un objectif politique ou des revendications que se seraient fixés les auteurs d’un acte ».
En adoptant cette lecture, la Cour refuse d’introduire une dimension subjective ou téléologique dans l’analyse. Elle établit une distinction nette entre les buts immédiats de l’acte, qui en déterminent la nature terroriste, et les objectifs ultimes ou sous-jacents de l’organisation, jugés dénués de pertinence. Le raisonnement du Tribunal est ainsi validé lorsqu’il affirme qu’« une distinction doit être établie entre, d’une part, les objectifs que souhaitent atteindre un peuple ou les habitants d’un territoire et, d’autre part, les comportements qu’ils mettent en œuvre afin d’y parvenir ». Cette approche pragmatique permet de préserver l’efficacité du régime de sanctions, qui vise à prévenir le financement du terrorisme sans s’engager dans une évaluation de la légitimité des causes politiques.
B. Le rejet du droit à l’autodétermination comme fait justificatif
L’organisation requérante soutenait que ses actions s’inscrivaient dans un conflit armé légitime visant à l’autodétermination du peuple kurde, un principe fondamental du droit international. Elle en déduisait que ses actes ne pouvaient être qualifiés de terroristes. La Cour de justice écarte cet argument sans ambiguïté, confirmant que le droit de l’Union relatif à la lutte contre le terrorisme et le droit international humanitaire sont deux corpus de règles distincts poursuivant des objectifs différents.
Se fondant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour rappelle que « l’existence d’un conflit armé au sens du droit humanitaire international n’exclut pas l’application des dispositions du droit de l’Union concernant la prévention du terrorisme ». Elle en conclut que le principe coutumier d’autodétermination, bien que reconnu, « n’implique toutefois pas que, pour exercer le droit à l’autodétermination, un peuple ou les habitants d’un territoire puissent recourir à des moyens relevant de l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931 ». Cette solution confirme l’autonomie du droit de l’Union et sa capacité à définir ses propres concepts juridiques, même lorsqu’ils interagissent avec des principes cardinaux du droit international public. La légitimité d’une cause ne saurait justifier le recours à des actes que l’Union a qualifiés de terroristes.
II. La validation des modalités de maintien sur la liste de gel des avoirs
Au-delà de la définition de l’acte terroriste, la Cour examine les exigences procédurales et probatoires encadrant le maintien sur la liste. Elle admet une certaine souplesse dans les preuves requises pour le réexamen périodique (A) et applique un contrôle restreint tant sur la proportionnalité des mesures que sur l’obligation de motivation (B).
A. La souplesse des exigences probatoires lors du réexamen
La Cour distingue les conditions de l’inscription initiale de celles du maintien sur la liste. Si l’inscription initiale doit se fonder sur une décision d’une autorité nationale compétente, le maintien, lui, requiert une appréciation différente. Conformément à l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune, le Conseil doit vérifier si « la situation factuelle a changé de telle manière qu’elle ne permet plus de tirer la même conclusion relative à ce risque ». L’enjeu n’est donc pas de prouver la commission de nouveaux actes terroristes, mais de démontrer la « persistance du risque » d’implication dans de telles activités.
En l’espèce, la Cour valide l’analyse du Tribunal qui avait jugé que le Conseil avait valablement actualisé son appréciation pour les actes de 2015 à 2019. Le Conseil s’était fondé sur des éléments nouveaux, comme une attaque survenue en 2014, pour justifier la persistance du risque. La Cour considère que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, estimer que ces nouveaux éléments, même s’ils étaient de nature différente des faits plus anciens, suffisaient à étayer la conclusion du Conseil. Cette approche confère une marge d’appréciation significative à l’institution, pourvu que son analyse repose sur une base factuelle actualisée.
B. Le contrôle restreint de la proportionnalité et de l’obligation de motivation
L’organisation requérante invoquait la violation du principe de proportionnalité, arguant que son maintien sur la liste entravait le processus de paix. La Cour balaie cet argument en rappelant que « seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre peut affecter la légalité d’une telle mesure ». Face à l’importance de l’objectif de lutte contre le terrorisme, les conséquences négatives, même prévisibles, sont jugées justifiées et non démesurées. Le juge de l’Union refuse ainsi de se livrer à une appréciation politique sur l’opportunité de la mesure au regard d’un processus de paix.
Enfin, concernant l’obligation de motivation, la Cour réitère la distinction classique entre la légalité formelle et la légalité au fond. L’obligation de motivation, formalité substantielle, impose au Conseil d’exposer les raisons spécifiques et concrètes de sa décision. La question de savoir si ces raisons sont factuellement exactes et juridiquement fondées relève, elle, du contrôle au fond. Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur en jugeant que les critiques de l’organisation sur la qualification des faits relevaient du bien-fondé et non d’un défaut de motivation. La motivation était suffisante dès lors qu’elle permettait à l’organisation de comprendre la décision et au juge d’exercer son contrôle.