Par un arrêt en date du 13 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la compatibilité d’une pratique administrative nationale avec les principes de la liberté d’établissement. En l’espèce, une étudiante s’était inscrite à un cursus dispensé en Italie par un établissement d’enseignement privé, lequel agissait en vertu d’un accord avec une université située dans un autre État membre. Cette université était seule habilitée à délivrer le diplôme final. Ayant appris que les autorités italiennes refusaient de reconnaître la validité des diplômes obtenus à l’issue d’une scolarité suivie sur leur territoire auprès d’un tel établissement partenaire, l’étudiante avait demandé en justice le remboursement de ses frais d’inscription, estimant le paiement indu.
La juridiction italienne saisie du litige a alors interrogé la Cour de justice sur la conformité de cette pratique administrative avec le droit communautaire, notamment au regard de la liberté d’établissement garantie par l’article 43 du traité CE. Le problème de droit soulevé consistait donc à déterminer si la pratique d’un État membre consistant à refuser la reconnaissance d’un diplôme universitaire au seul motif que la formation préparatoire a été suivie sur son territoire auprès d’un établissement partenaire, et non dans l’État membre de l’université qui délivre le titre, constitue une restriction à la liberté d’établissement. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que l’article 43 CE « s’oppose à une pratique administrative, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les diplômes universitaires de deuxième cycle délivrés par une université d’un État membre ne peuvent être reconnus dans un autre État membre lorsque les cours en préparation de ces diplômes ont été dispensés dans ce dernier État membre par un autre établissement d’enseignement conformément à un accord conclu entre ces deux établissements ».
L’arrêt applique avec rigueur la jurisprudence relative à la liberté d’établissement à un modèle économique nouveau dans le secteur de l’éducation, sanctionnant ainsi une entrave jugée non justifiée (I). Par cette décision, la Cour étend la logique du marché unique au domaine de la formation universitaire, affirmant la primauté de la reconnaissance mutuelle sur les prérogatives nationales en matière de contrôle académique (II).
I. La sanction d’une restriction caractérisée à la liberté d’établissement
La Cour de justice analyse la pratique administrative italienne à travers le prisme de la liberté d’établissement. Elle identifie sans difficulté une entrave à l’exercice d’une activité économique (A) avant de procéder à un contrôle de proportionnalité qui conduit au rejet des justifications avancées par l’État membre concerné (B).
A. L’identification d’une entrave à l’exercice d’une activité économique
Le raisonnement de la Cour débute par la qualification de l’activité de l’établissement dispensant les cours. Elle rappelle que l’organisation, contre rémunération, de cours de formation supérieure constitue une activité économique relevant du champ d’application du traité. Dès lors que cet établissement, dont le siège principal est au Royaume-Uni, exerce son activité de manière stable et continue depuis des établissements secondaires en Italie, il relève pleinement de la protection de la liberté d’établissement.
À partir de cette qualification, la Cour examine si la pratique administrative italienne constitue une restriction. Conformément à une jurisprudence constante, toute mesure nationale qui interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice d’une liberté fondamentale est qualifiée de restriction. En l’espèce, la Cour constate que le refus de reconnaissance des diplômes est un obstacle majeur pour l’établissement. Elle énonce qu’une telle pratique « est susceptible de dissuader des étudiants de suivre ces cours et de gêner ainsi gravement l’exercice par l’[établissement] de son activité économique dans cet État membre ». La non-reconnaissance du titre final prive en effet la formation de l’un de ses attraits principaux, ce qui affecte directement la viabilité commerciale de l’établissement dans l’État d’accueil.
B. Le rejet des justifications fondées sur l’intérêt général
Une restriction à une liberté fondamentale peut être admise si elle poursuit un objectif légitime d’intérêt général et si elle respecte le principe de proportionnalité. Le gouvernement italien invoquait la nécessité d’assurer un haut niveau de l’enseignement universitaire, ce que la Cour reconnaît comme un objectif légitime. Cependant, la mesure est jugée impropre à atteindre cet objectif et, en tout état de cause, disproportionnée.
La Cour relève d’abord une incohérence dans la réglementation nationale, qui semble autoriser des accords similaires entre des universités et des établissements privés italiens. Le refus de reconnaître les diplômes issus de partenariats transfrontaliers apparaît dès lors discriminatoire et peu apte à garantir de manière cohérente la qualité de l’enseignement. Surtout, la pratique administrative est jugée excessive. La Cour souligne qu’un refus automatique et général, qui exclut tout examen au cas par cas de la qualité de la formation suivie et du diplôme obtenu, « va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’objectif poursuivi ». Une approche moins attentatoire aux libertés aurait consisté à évaluer la compétence de l’établissement et la qualité de l’enseignement dispensé, plutôt que d’opposer une fin de non-recevoir fondée uniquement sur le lieu géographique de la formation.
II. La portée de la décision en faveur d’un marché européen de la formation
Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt revêt une portée significative pour l’intégration du marché de l’enseignement supérieur. Il renforce le principe de reconnaissance mutuelle en l’appliquant non seulement au diplôme mais aussi au processus de formation qui y conduit (A), limitant par conséquent l’autonomie normative des États membres en matière académique (B).
A. L’application du principe de reconnaissance mutuelle aux modèles éducatifs transnationaux
La décision consacre la validité des modèles d’enseignement transnational fondés sur des partenariats. L’établissement dispensant la formation en Italie était régulièrement habilité et contrôlé par les autorités compétentes de son État membre d’origine, le Royaume-Uni. La Cour estime implicitement que l’État d’accueil ne peut ignorer cette habilitation et ce contrôle. En refusant la reconnaissance du diplôme, les autorités italiennes remettaient en cause l’organisation et le système de contrôle de la qualité de l’État membre d’origine.
Cet arrêt étend donc la logique du principe du pays d’origine au secteur de l’éducation. Si un établissement est légalement autorisé à préparer à un diplôme dans son État d’origine, en partenariat avec une université de ce même État, un autre État membre ne peut entraver cette activité en refusant par principe de reconnaître les fruits de cette formation. Il s’agit d’une application du principe de confiance mutuelle entre les systèmes juridiques et administratifs des États membres, qui est au cœur du marché intérieur. La qualité de la formation est présumée garantie par les contrôles de l’État d’origine.
B. La limitation de l’autonomie des États membres en matière de reconnaissance académique
Bien que l’organisation de l’enseignement relève de la compétence des États membres, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union, et notamment des libertés de circulation. Cet arrêt illustre parfaitement cette articulation. Il démontre que la prérogative d’un État de définir les conditions de reconnaissance des titres académiques sur son territoire n’est pas absolue. Elle ne peut être utilisée pour ériger des barrières protectionnistes ou pour imposer une vision purement nationale de l’organisation universitaire.
La portée de la décision est donc considérable. Elle contraint les autorités nationales à abandonner les critères purement formels et territoriaux au profit d’une évaluation substantielle de la formation, tout en tenant compte des garanties offertes par l’État membre d’origine. Elle favorise ainsi l’émergence de nouveaux modèles économiques dans le domaine de l’éducation et contribue à la construction d’un véritable espace européen de l’enseignement supérieur, où les prestataires de services éducatifs peuvent concevoir des offres transnationales sans craindre des obstacles arbitraires à la reconnaissance des qualifications acquises.