Par un arrêt du 13 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les obligations incombant à un État membre concernant l’accès à une période de pratique professionnelle pour un ressortissant communautaire diplômé d’un autre État membre. En l’espèce, une ressortissante française, titulaire d’une maîtrise en droit obtenue en France, a sollicité son inscription au registre des avocats stagiaires, dit registre des « praticanti », auprès du Conseil de l’ordre de Gênes en Italie. Cette demande lui fut refusée au motif qu’elle ne détenait pas un diplôme de droit délivré ou confirmé par une université italienne, condition requise par la législation nationale.
La requérante a contesté cette décision devant le Conseil national de l’ordre, qui a confirmé le refus. Saisie d’un pourvoi, la Corte suprema di cassazione a sursis à statuer et a posé à la Cour de justice une question préjudicielle. Il était demandé en substance si les règles du traité relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services s’opposent à ce qu’un État membre refuse l’inscription à la période de pratique nécessaire à l’accès à la profession d’avocat au seul motif que le diplôme de droit du candidat a été obtenu dans un autre État membre et n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance d’équivalence.
La Cour de justice a répondu que le droit communautaire s’oppose à un tel refus. Elle juge que l’autorité nationale compétente ne peut rejeter une demande d’inscription sur ce seul fondement formel. Elle est tenue d’effectuer un examen comparatif entre les qualifications attestées par le diplôme étranger et l’expérience acquise, d’une part, et les exigences de la législation nationale, d’autre part.
I. L’extension de l’obligation de reconnaissance des qualifications à l’accès au stage professionnel
A. Le rejet d’une application directe des directives de reconnaissance
La Cour de justice a d’abord analysé la situation au regard du droit dérivé, en particulier les directives relatives à la reconnaissance des diplômes. Elle a écarté l’application de la directive 98/5/CE, celle-ci ne visant que les avocats déjà pleinement qualifiés dans leur État membre d’origine, ce qui n’était pas le cas de la requérante. Ensuite, la Cour s’est penchée sur la directive 89/48/CEE, qui instaure un système général de reconnaissance des diplômes pour l’accès aux professions réglementées. Pour que cette directive soit applicable, l’activité de « praticante » devait être qualifiée de « profession réglementée » autonome.
La Cour a estimé que, bien que l’accès à l’activité de stagiaire soit réglementé, cette activité ne constitue pas une fin en soi mais une étape préparatoire à l’accès à la profession d’avocat. Elle note que « l’exercice de ces activités est conçu comme constituant la partie pratique de la formation nécessaire pour l’accès à la profession d’‘avvocato’ ». Le caractère temporaire et formatif de ce stage, qui ne peut excéder une durée déterminée sans succès à l’examen final, empêche de le considérer comme une profession réglementée distincte. Par conséquent, la requérante ne pouvait se prévaloir directement des dispositions de la directive 89/48/CEE pour obtenir son inscription.
B. L’application des libertés fondamentales du traité à la période de formation
Écartant le droit dérivé, la Cour de justice a fondé son raisonnement sur les dispositions du traité lui-même, à savoir les articles 39 CE (libre circulation des travailleurs) et 43 CE (liberté d’établissement). Elle a considéré que la période de pratique professionnelle, bien qu’étant une phase de formation, relève du champ d’application de ces libertés. En effet, ce stage « comporte l’exercice d’activités, normalement rémunérées […] en vue de l’accès à une profession réglementée à laquelle s’applique l’article 43 CE ». L’accès à ce stage est donc une condition indispensable pour accéder ultérieurement à la profession d’avocat et ne saurait être soustrait à l’empire des libertés de circulation.
Reprenant la jurisprudence établie depuis l’arrêt *Vlassopoulou*, la Cour rappelle que le droit d’établissement serait entravé si un État membre d’accueil ignorait les connaissances et qualifications déjà acquises dans un autre État membre. L’exigence de détenir exclusivement un diplôme national constitue une restriction à la liberté d’établissement. Une telle règle empêche un ressortissant communautaire, pourtant qualifié dans son pays d’origine, de commencer la formation pratique qui lui est nécessaire pour s’adapter au système juridique de l’État d’accueil et satisfaire aux conditions d’accès à la profession.
II. La portée d’une solution protectrice de la liberté d’établissement
A. La distinction consolidée entre reconnaissance académique et reconnaissance professionnelle
La décision commentée renforce une distinction fondamentale en droit de l’Union, celle qui sépare la reconnaissance des diplômes à des fins académiques de leur reconnaissance à des fins professionnelles. Le gouvernement italien soutenait que le litige relevait de la reconnaissance des titres académiques, procédure qui exigeait une validation par une université nationale. La Cour rejette cette vision restrictive en affirmant qu’« il ne s’agit pas, dans un cas tel que celui de l’espèce au principal, d’une simple question de reconnaissance de titres académiques ».
La Cour admet que la reconnaissance académique peut être pertinente, mais elle ne saurait constituer un préalable absolu à l’accès à une formation professionnelle. L’autorité compétente pour l’accès à la profession, en l’occurrence le conseil de l’ordre, ne peut se retrancher derrière l’absence de procédure de reconnaissance académique pour refuser d’examiner une candidature. Elle doit procéder à sa propre évaluation, centrée sur les compétences professionnelles. Cette solution évite de soumettre les ressortissants communautaires à une procédure de reconnaissance académique souvent longue et lourde, qui ne vise pas les mêmes finalités que l’évaluation de l’aptitude à exercer une profession.
B. L’obligation d’un examen comparatif des connaissances et des compétences
La Cour de justice précise la méthode que l’autorité nationale compétente doit suivre. Au lieu d’opposer un refus automatique, elle doit « prendre en considération la qualification professionnelle de l’intéressé en procédant à une comparaison ». Cette comparaison doit porter, d’une part, sur les qualifications attestées par les diplômes et l’expérience professionnelle pertinente, et, d’autre part, sur les qualifications exigées par la législation nationale pour l’accès à l’activité en cause. La Cour souligne que cette appréciation doit être faite « exclusivement en tenant compte du degré des connaissances et des qualifications que ce diplôme permet […] de présumer dans le chef du titulaire ».
Si l’examen comparatif révèle que les connaissances et qualifications correspondent à celles exigées, l’État membre doit admettre le diplôme. Si la correspondance n’est que partielle, il est en droit d’exiger que l’intéressé démontre avoir acquis les compétences manquantes. Cette démonstration peut notamment prendre la forme d’un stage d’adaptation ou d’une épreuve d’aptitude, conformément à une approche proportionnée. En l’imposant dès le stade de l’accès au stage, la Cour garantit l’effet utile de la liberté d’établissement en empêchant que la porte de la profession ne soit fermée avant même que le candidat ait pu commencer à s’intégrer.