Par un arrêt en date du 13 octobre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles une autorité publique peut attribuer une concession de services sans procéder à une mise en concurrence préalable. En l’espèce, une commune avait transformé une de ses entreprises spéciales, chargée de la gestion de services publics locaux, en une société par actions. Postérieurement à cette transformation, la commune a confié directement à cette nouvelle société, dont elle détenait l’intégralité du capital, la gestion de parkings publics payants. Cette attribution directe fut contestée par une autre entreprise, titulaire d’une concession similaire, qui estimait qu’une procédure d’appel d’offres public aurait dû être organisée. Saisie d’un recours, la juridiction nationale a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la juridiction nationale de déterminer si le droit communautaire, et notamment les principes de libre prestation de services, de non-discrimination et de transparence, s’opposait à une attribution directe à une société qui, bien qu’entièrement publique, jouissait d’une autonomie de gestion considérable et avait vocation à s’ouvrir à des capitaux privés. La Cour a jugé que si l’opération ne constituait pas un marché public de services au sens de la directive 92/50, elle n’échappait pas pour autant à l’empire des règles fondamentales du traité. Elle a estimé que l’exception à l’obligation de mise en concurrence, réservée aux opérations internes, ne pouvait trouver à s’appliquer en raison du degré d’autonomie dont disposait la société concessionnaire par rapport à la collectivité qui la détenait.
La décision de la Cour réaffirme ainsi l’assujettissement des concessions de services aux principes fondamentaux du traité (I), tout en procédant à une interprétation stricte des conditions permettant de déroger aux obligations de mise en concurrence (II).
I. L’assujettissement des concessions de services aux principes fondamentaux du traité
La Cour de justice commence son raisonnement par qualifier la nature du contrat en cause, ce qui la conduit à exclure l’application des directives sur les marchés publics (A), sans pour autant soustraire l’opération aux exigences découlant directement du droit primaire communautaire (B).
A. L’exclusion de la concession de services du champ de la directive sur les marchés publics
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur la qualification du contrat portant sur la gestion de parkings publics payants. La Cour écarte la qualification de marché public de services au profit de celle de concession de services. Elle fonde sa distinction sur le critère du mode de rémunération du prestataire. Pour la Cour, un marché public implique une contrepartie payée directement par le pouvoir adjudicateur, tandis que la concession se caractérise par le droit pour le prestataire d’exploiter le service et de se rémunérer auprès des usagers. En l’espèce, « la rémunération du prestataire de services provient non pas de l’autorité publique concernée, mais des montants versés par les tiers pour l’usage du parking concerné. Ce mode de rémunération implique que le prestataire prend en charge le risque d’exploitation des services en question et caractérise ainsi une concession de services publics ». Cette analyse, qui repose sur le transfert du risque d’exploitation, confirme une jurisprudence constante et clarifie la frontière entre les deux types de contrats. Par conséquent, la Cour conclut que la directive 92/50, qui coordonne les procédures de passation des marchés publics de services, n’est pas applicable, les concessions de services étant alors exclues de son champ d’application matériel.
B. L’application des obligations de transparence et de non-discrimination issues du traité
L’exclusion du droit dérivé ne signifie pas pour autant l’existence d’un vide juridique. La Cour rappelle avec fermeté que les autorités publiques qui concluent des concessions de services « sont, néanmoins, tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE en général et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier ». Les contrats de concession, bien qu’en dehors du champ des directives sur les marchés publics, demeurent donc soumis aux libertés fondamentales garanties par le traité, notamment la liberté d’établissement et la libre prestation de services. De ces libertés, la Cour déduit une obligation de transparence qui s’impose au pouvoir concédant. Cette obligation « consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture de la concession des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication ». L’absence totale de mise en concurrence pour l’attribution d’une concession est donc, par principe, contraire à ces exigences fondamentales, car elle est susceptible de discriminer les opérateurs économiques d’autres États membres.
II. L’interprétation stricte de la dérogation pour les prestations intégrées
Ayant posé le principe de la soumission des concessions aux obligations de mise en concurrence, la Cour examine si l’opération en cause pouvait bénéficier de l’exception dite « in-house » ou de prestation intégrée. Elle transpose le concept aux concessions de services (A) mais en refuse l’application en l’espèce au regard de l’autonomie de l’entité concessionnaire (B).
A. La transposition du concept de prestation intégrée aux concessions de services
La Cour de justice reconnaît la possibilité pour une autorité publique de confier des tâches d’intérêt public à une entité juridiquement distincte sans mise en concurrence, à condition que cette opération puisse être qualifiée de prestation intégrée. Pour ce faire, elle s’appuie sur une jurisprudence antérieure relative aux marchés publics et en transpose les critères au domaine des concessions. Deux conditions cumulatives doivent être remplies. Premièrement, l’autorité publique doit exercer sur l’entité concernée « un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ». Deuxièmement, cette entité doit réaliser « l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent ». L’application des règles de concurrence est ainsi exclue lorsque la personne publique agit par ses propres moyens, même si ces moyens prennent la forme d’une entité dotée d’une personnalité juridique distincte. La Cour précise que ces conditions, qui constituent une dérogation aux règles générales du traité, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et qu’il incombe à celui qui s’en prévaut d’en prouver la réunion.
B. Le refus de la qualification de prestation intégrée en raison de l’autonomie de la société
Dans l’affaire examinée, la Cour estime que la première condition, relative à l’existence d’un contrôle analogue, n’est pas satisfaite. Elle procède à une analyse fonctionnelle de la relation entre la commune et sa société, dépassant la simple constatation de la détention de la totalité du capital social. Plusieurs éléments factuels emportent sa conviction et démontrent que la société concessionnaire jouit d’une autonomie incompatible avec la notion de contrôle analogue. La Cour relève ainsi la transformation de l’entreprise spéciale en société par actions, l’élargissement considérable de son objet social, l’expansion de son champ d’activité au niveau national et international, l’ouverture statutairement prévue de son capital à des tiers, et surtout les pouvoirs de gestion très étendus conférés à son conseil d’administration. « Lorsqu’une entité concessionnaire jouit d’une marge d’autonomie caractérisée par des éléments tels que ceux relevés […], il est exclu que l’autorité publique concédante exerce sur l’entité concessionnaire un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ». Par cette approche pragmatique, la Cour de justice empêche qu’une autorité publique ne puisse contourner les obligations de transparence et de mise en concurrence par la création d’une structure qui, bien que publiquement détenue, est appelée à opérer sur le marché dans des conditions similaires à celles d’une entreprise privée.