Cour de justice de l’Union européenne, le 13 octobre 2016, n°C-231/15

Par un arrêt en date du 13 octobre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par la Cour suprême de Pologne, a précisé les contours de la protection juridictionnelle effective dans le secteur des communications électroniques. La Cour était interrogée sur les effets dans le temps de l’annulation par une juridiction nationale d’une décision adoptée par une autorité réglementaire nationale (ARN).

En l’espèce, une ARN avait imposé à une entreprise de télécommunications, par une première décision du 30 septembre 2008, de modifier ses tarifs de terminaison d’appel. Alors qu’un recours était pendant contre cette décision, l’ARN a adopté une seconde décision, le 17 mars 2009, mettant en œuvre la première en modifiant un contrat liant ladite entreprise à une autre société pour y appliquer les tarifs réglementés. Par la suite, la première décision fut annulée par un jugement du 23 mars 2011, confirmé en appel le 30 janvier 2012.

Saisi d’un recours contre la seconde décision, le tribunal régional de Varsovie a prononcé son annulation le 26 octobre 2012, au motif que son fondement juridique avait disparu de manière rétroactive. Cette analyse fut confirmée par la cour d’appel de Varsovie le 19 septembre 2013. L’ARN et l’entreprise bénéficiaire des tarifs se sont alors pourvues en cassation, soutenant que l’annulation d’une décision administrative ne pouvait produire que des effets pour l’avenir, conformément à certains principes de la procédure administrative polonaise.

Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre 2002/21/CE, lu à la lumière du principe de protection juridictionnelle effective garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, s’oppose à ce qu’une juridiction nationale annule une décision d’une ARN avec effet rétroactif, ou si, au contraire, une telle possibilité est une condition nécessaire à l’effectivité du recours.

La Cour de justice répond que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’une juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision de l’ARN doit pouvoir annuler celle-ci avec effet rétroactif, si elle juge que cela est nécessaire pour assurer une protection effective des droits de l’entreprise qui a introduit le recours.

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I. La consécration de l’annulation rétroactive comme garantie d’une protection juridictionnelle effective

La Cour de justice établit que la possibilité d’une annulation rétroactive est une composante essentielle du droit à un recours effectif (A), tout en précisant la portée de la règle selon laquelle les décisions de l’ARN sont maintenues pendant la procédure de recours (B).

A. Une interprétation finaliste de la directive au service du droit au recours

La Cour rappelle d’abord que l’article 4 de la directive-cadre est une « émanation du principe de protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la Charte ». Faute de règles de l’Union régissant les effets temporels d’une annulation juridictionnelle, il appartient aux États membres de les définir dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité. Cependant, la Cour encadre cette autonomie procédurale en imposant une exigence matérielle : le juge national doit disposer des outils nécessaires pour assurer la pleine protection des droits tirés du droit de l’Union.

Ainsi, la Cour juge qu’« une juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision de l’ARN doit pouvoir annuler celle-ci avec effet rétroactif, si elle juge que cela est nécessaire pour assurer une protection effective des droits de l’entreprise qui a introduit le recours ». Cette solution s’inscrit dans une logique pragmatique où l’effectivité du droit prime sur une application rigide des formes procédurales nationales. Permettre seulement une annulation pour l’avenir (`ex nunc`) priverait de toute utilité le recours de l’entreprise qui aurait été contrainte d’appliquer, pendant toute la durée de la procédure, des obligations tarifaires finalement jugées illégales.

B. La portée circonscrite du maintien de la décision de l’ARN

L’un des arguments soulevés tenait au libellé de l’article 4, paragraphe 1, second alinéa, de la directive-cadre, qui dispose que « la décision de l’[ARN] est maintenue » en l’attente de l’issue de la procédure. La Cour de justice écarte l’idée que cette disposition ferait obstacle à une annulation rétroactive. Elle en donne une lecture purement procédurale, la distinguant des effets au fond de la décision juridictionnelle finale.

Selon la Cour, il résulte de ce texte que « le recours formé contre une décision de l’ARN n’a pas d’effet suspensif, sauf si des mesures provisoires sont octroyées conformément au droit national ». Le maintien de la décision n’est donc qu’une règle d’applicabilité immédiate, destinée à préserver l’efficacité de la régulation sectorielle en empêchant que les recours n’aient un effet paralysant. Cette règle ne préjuge en rien de l’issue du litige et, par conséquent, « de la possibilité, à l’issue de [la procédure], d’annuler ladite décision avec effet rétroactif ». La Cour opère ainsi une dissociation claire entre l’exécution provisoire de la décision administrative et la portée de son anéantissement contentieux.

II. La portée de la solution au regard de la sécurité juridique et de l’autonomie procédurale

L’arrêt redéfinit l’équilibre entre la protection juridictionnelle et le principe de sécurité juridique (A) et vient préciser les limites imposées par le droit de l’Union à l’autonomie procédurale des États membres (B).

A. La redéfinition de l’équilibre entre effectivité et confiance légitime

La Cour de justice examine si la possibilité d’une annulation rétroactive porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Elle répond par la négative en adoptant une conception stricte de la confiance légitime dans le cadre d’un contentieux. Le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires et leur application prévisible. Or, l’article 4, paragraphe 1, de la directive-cadre précise lui-même que la décision n’est maintenue que « dans l’attente de l’issue de la procédure ».

La Cour en déduit logiquement que les opérateurs économiques impliqués dans un tel recours ne peuvent légitimement s’attendre à ce qu’une décision contestée, et potentiellement illégale, soit définitivement maintenue. Elle juge en ce sens que « des opérateurs économiques, parties à un recours tel que prévu à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive ne sauraient placer leur confiance légitime dans le fait que, en cas d’annulation de la décision de l’ARN en cause, cette annulation ne produira pas d’effets ex tunc ». La prévisibilité de l’annulation rétroactive fait donc partie de l’aléa inhérent à toute procédure juridictionnelle, privant de fondement l’invocation de la confiance légitime par la partie qui bénéficiait de la décision annulée.

B. Un encadrement renforcé de l’autonomie procédurale nationale

En affirmant qu’une juridiction nationale « doit pouvoir » annuler une décision avec effet rétroactif, la Cour ne se contente pas de reconnaître une simple faculté, mais énonce une obligation de moyen pour les systèmes juridiques nationaux. Cette solution vient ainsi délimiter l’autonomie procédurale des États membres. Si ces derniers restent libres de définir les modalités concrètes des recours, ils ne sauraient organiser des procédures qui, en pratique, rendraient impossible ou excessivement difficile la protection des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.

La décision commentée constitue un rappel que le principe d’effectivité peut imposer aux juridictions nationales d’écarter des règles ou des jurisprudences de droit interne, y compris dans le domaine administratif, lorsqu’elles font obstacle à la pleine efficacité du droit de l’Union. En l’espèce, la Cour valide implicitement l’approche des juridictions polonaises qui avaient élaboré une solution autonome, distincte des principes traditionnels de leur contentieux administratif, pour garantir une protection conforme aux exigences du droit de l’Union. L’arrêt confirme ainsi le rôle du juge national en tant que juge de droit commun de l’application du droit de l’Union et la primauté des garanties qu’il offre.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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