Cour de justice de l’Union européenne, le 13 octobre 2022, n°C-256/21

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 13 octobre 2022, précise l’étendue de la compétence des tribunaux nationaux en matière de marques. Un titulaire de marque verbale a engagé une action en contrefaçon devant une juridiction allemande contre l’usage d’un terme décrivant un matériel de récolte. Les défendeurs ont répliqué par des demandes reconventionnelles en nullité, invoquant le caractère descriptif ainsi que l’absence de distinction du signe contesté au sens du règlement. Lors de l’audience de première instance, le demandeur initial a formulé un désistement de son action principale, tandis que les défendeurs maintenaient leurs propres prétentions. Le Landgericht de Munich a, par jugement du 10 mars 2020, déclaré les demandes reconventionnelles recevables et a prononcé la nullité partielle de la marque concernée. Une collectivité locale a interjeté appel devant l’Oberlandesgericht de Munich qui a, par décision du 15 avril 2021, interrogé la Cour de justice de l’Union européenne. Les juges de Luxembourg répondent que le tribunal reste compétent car la demande reconventionnelle vise à étendre l’objet du litige de manière indépendante du recours principal. L’analyse de cette solution repose sur la nature autonome de l’action en nullité avant d’envisager les conséquences de cette interprétation sur l’efficacité du droit de l’Union.

**I. Le caractère autonome de la demande reconventionnelle en nullité**

**A. L’indépendance procédurale vis-à-vis de l’action principale**

La Cour affirme que la notion de demande reconventionnelle doit trouver une interprétation autonome et uniforme au sein de l’Union sans renvoi aux droits nationaux. Cette voie de droit constitue une demande distincte dont le traitement reste indépendant du sort réservé à la prétention formulée initialement par le requérant au litige. La jurisprudence souligne que celle-ci « ne se confond pas avec un simple moyen de défense » et peut être poursuivie même si le demandeur principal est débouté. La Cour précise que la demande reconventionnelle « doit s’entendre comme une voie de droit qui reste, certes, conditionnée par l’introduction d’une action en contrefaçon ». Elle devient cependant autonome par l’extension de l’objet du litige et « subsiste en cas de désistement du recours principal » pour garantir le droit du défendeur. Cette autonomie procédurale permet au défendeur d’obtenir une décision sur le fond sans subir l’aléa lié au comportement du titulaire de marque. L’exercice de cette faculté s’inscrit dans un système de compétence partagée visant à assurer la protection du caractère unitaire du titre européen.

**B. Une compétence partagée au service du système unitaire**

Le règlement sur la marque de l’Union européenne instaure un partage de compétences entre l’Office spécialisé et les tribunaux des marques désignés par chaque État membre. La compétence reconnue aux juridictions nationales pour déclarer la nullité résulte d’une attribution directe par le législateur et ne constitue pas une simple dérogation au principe. L’article 124 accorde une compétence exclusive à ces tribunaux pour connaître des demandes reconventionnelles formées lors d’un procès en contrefaçon de marque de l’Union européenne. Cette règle d’attribution directe empêche le demandeur de priver le juge saisi de son pouvoir juridictionnel par l’exercice d’un désistement unilatéral après l’introduction des débats. La Cour garantit la cohérence du régime unitaire en permettant aux juridictions de contrôler la validité des titres dont la protection est invoquée devant elles. Cet impératif de cohérence se double d’une volonté de préserver l’effet utile des règles de propriété industrielle au sein du marché intérieur.

**II. La préservation de l’effet utile du droit des marques**

**A. La protection de l’intérêt général par l’effet erga omnes**

Les décisions relatives à la validité d’une marque produisent un effet à l’égard de tous, contrairement aux jugements en contrefaçon qui ne lient que les parties. Une décision passée en force de chose jugée doit être transmise à l’Office pour que celui-ci inscrive la mention de la nullité dans le registre officiel. Autoriser le titulaire à bloquer l’examen de la validité par un désistement permettrait le maintien de titres indus enregistrés en méconnaissance des motifs absolus de refus. Le juge rappelle qu’une telle situation « compromettrait la réalisation effective des objectifs poursuivis » par la réglementation de l’Union en favorisant l’exploitation de marques invalides. La persistance de la compétence juridictionnelle assure que les signes purement descriptifs ne puissent indûment bénéficier d’un monopole d’exploitation commerciale sur le territoire du marché commun. Cette protection de l’intérêt général se traduit concrètement par une application rigoureuse du principe d’économie procédurale lors du règlement des litiges.

**B. La consécration du principe d’économie procédurale**

Le maintien de l’instance reconventionnelle répond à un impératif de bonne administration de la justice en évitant la multiplication inutile des procédures entre les mêmes parties intéressées. Obliger le défendeur à introduire une nouvelle demande devant l’Office après l’abandon du procès principal irait à l’encontre de l’efficacité et de la célérité des débats. La Cour privilégie ainsi une solution qui prévient les procédures superflues tout en limitant le « risque d’arrêts contradictoires » au sein de l’espace judiciaire européen. L’économie procédurale justifie que le tribunal saisi puisse « régler, au cours de la même procédure, l’ensemble de leurs prétentions réciproques » de manière pleine et entière. La Cour conclut qu’un tribunal des marques « reste compétent pour statuer sur la validité de cette marque, en dépit du désistement de l’action principale ». Cette décision protège les tiers contre les actions abusives et garantit la stabilité nécessaire aux opérateurs économiques agissant dans l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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