Cour de justice de l’Union européenne, le 13 octobre 2022, n°C-713/20

Par un arrêt rendu le 13 octobre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’interprétation du règlement portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. Cette décision concerne spécifiquement la détermination de la législation applicable aux travailleurs intérimaires effectuant des missions transfrontalières séparées par des périodes d’inactivité contractuelle.

Dans cette affaire, deux travailleurs résidant respectivement en Allemagne et en Pologne exercent des activités salariées aux Pays-Bas par l’intermédiaire d’une agence de travail intérimaire. Leurs contrats stipulent que la relation de travail débute au commencement effectif de la mission et se termine de plein droit dès que celle-ci prend fin. L’organisme de sécurité sociale néerlandais refuse d’accorder des prestations de vieillesse et des allocations familiales pour les intervalles séparant les missions en raison de l’absence d’affiliation. Le Centrale Raad van Beroep décide alors de surseoir à statuer pour interroger le juge européen par une demande préjudicielle parvenue le 24 décembre 2020.

Le litige repose sur la question de savoir si la législation de l’État d’emploi reste applicable durant les intervalles séparant deux missions d’intérim malgré la cessation formelle du contrat. La Cour de justice répond que le travailleur est soumis à la législation de son État de résidence dès lors que la relation de travail prend fin durant ces périodes. Cette solution repose sur l’analyse de la continuité du lien contractuel et sur l’application rigoureuse des règles de conflit de lois prévues par le droit de l’Union.

I. L’exigence du maintien d’une relation de travail effective

A. La prééminence du lien contractuel pour la détermination de la loi applicable

Le règlement européen pose le principe selon lequel la personne exerçant une activité salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État. La Cour précise que l’application de cette règle de conflit de lois suppose l’existence d’une activité ou d’une situation assimilée selon la législation de sécurité sociale concernée. Dans cette espèce, le juge relève que « durant les intervalles entre leurs missions de travail intérimaire, il n’existait pas de relation de travail » entre les intéressés et l’agence. Cette absence de lien juridique fait obstacle au maintien de la compétence législative de l’État où l’activité était précédemment exercée de manière effective par le salarié.

Le raisonnement souligne que les modalités d’exercice de la prestation de travail n’affectent pas la loi applicable tant que le caractère continu de la relation est préservé. En revanche, la rupture formelle du contrat entraîne nécessairement un changement de la législation de sécurité sociale compétente pour couvrir le risque social du travailleur migrant. La Cour confirme ainsi que « l’existence d’une relation de travail continue est toujours nécessaire » pour justifier l’application de la législation de l’État membre sur le territoire d’emploi. L’interprétation retenue privilégie une approche stricte de la notion d’activité salariée au sens des règles de coordination afin d’assurer une sécurité juridique aux institutions nationales.

B. La distinction entre suspension et cessation de l’activité salariée

Le juge européen distingue ici la simple interruption temporaire de la prestation de travail de la cessation définitive ou temporaire du lien juridique avec l’employeur. Il rappelle que la législation de l’État d’emploi demeure applicable aussi longtemps que la personne concernée exerce son activité professionnelle sur le territoire de cet État. Cependant, la Cour affirme que « les personnes ayant définitivement ou temporairement cessé leur activité professionnelle sont soumises à la législation de l’État membre où elles résident ». La fin de la mission intérimaire, lorsqu’elle coïncide avec la fin du contrat de travail, constitue une telle cessation au sens du règlement de coordination.

Cette analyse écarte l’assimilation des périodes d’inactivité entre deux contrats à des périodes de congés ou de chômage technique qui auraient permis de maintenir l’affiliation. Le statut de bénévole ou l’exercice de tâches ménagères non rémunérées durant ces intervalles ne saurait constituer une activité salariée ou une situation assimilée. Le transfert de la compétence législative vers l’État de résidence devient donc inévitable dès que le lien contractuel avec l’entreprise de travail intérimaire est rompu. Cette transition vers la règle de résidence assure la continuité de la protection sociale du travailleur mais modifie la source des droits aux prestations réclamées.

II. La primauté du critère de la résidence en l’absence d’emploi

A. Le caractère complet du système de conflit de lois européen

En l’absence d’activité salariée effective, le règlement prévoit une règle subsidiaire soumettant les personnes inactives à la législation de l’État membre sur le territoire de résidence. La Cour rappelle que cette disposition « constitue une règle résiduelle ayant vocation à s’appliquer à toutes les personnes qui se trouvent dans une situation qui n’est pas spécifiquement réglée ». Ce mécanisme garantit que chaque citoyen circulant au sein de l’Union ne soit soumis qu’à une seule législation nationale tout en évitant les vides juridiques. Le système ainsi établi par le législateur européen est complet et uniforme afin d’empêcher les cumuls ou les complications résultant de l’application simultanée de plusieurs lois.

L’application de la législation de résidence ne dépend pas de l’octroi effectif de prestations sociales dans cet État membre par rapport aux avantages offerts par l’État d’emploi. Le juge souligne que le critère de résidence s’applique « sans préjudice d’autres dispositions de ce règlement qui leur garantissent des prestations » en vertu d’une autre législation. La coordination n’harmonise pas les régimes nationaux mais organise leur succession dans le temps en fonction de critères objectifs liés à la situation professionnelle ou géographique. Cette rigueur systémique permet de désigner avec certitude l’État responsable de la couverture sociale durant chaque phase de la vie du travailleur migrant intérimaire.

B. Les conséquences d’une affiliation discontinue sur les droits sociaux

La solution rendue par la Cour de justice confirme le risque d’une fragmentation des périodes d’assurance pour les travailleurs engagés dans des relations de travail précaires. Chaque interruption contractuelle déplace la compétence législative vers l’État de résidence, ce qui peut réduire le montant des futures pensions de vieillesse calculées au prorata. Le juge précise que cette règle s’applique quand bien même la législation de résidence « ne confère à ce travailleur aucun droit à une pension » ou à des prestations familiales. La neutralité de la règle de conflit de lois prime ainsi sur l’opportunité économique ou sociale de l’affiliation pour le travailleur concerné par le litige.

Cette décision impose aux travailleurs intérimaires transfrontaliers une vigilance particulière quant à la rédaction de leurs contrats de mission et à la continuité de leur couverture. L’arrêt souligne l’importance de la résidence comme point d’ancrage par défaut pour toute personne n’exerçant pas d’activité salariée stable sur le territoire d’un autre État. La Cour conclut que l’interprétation doit être uniforme afin d’éviter que les spécificités des contrats intérimaires ne créent des distorsions dans le système de coordination. Le droit à la libre circulation est ainsi encadré par des règles de rattachement strictes qui privilégient la réalité du lien contractuel sur la persistance de l’activité professionnelle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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