Cour de justice de l’Union européenne, le 13 septembre 2007, n°C-234/06

Par un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions d’appréciation du risque de confusion en droit des marques, et plus particulièrement sur le sort des marques antérieures non exploitées invoquées au soutien d’une opposition. En l’espèce, une société avait sollicité l’enregistrement d’une marque figurative communautaire pour désigner notamment des produits de maroquinerie et des vêtements. Une autre entreprise, titulaire de plusieurs marques nationales antérieures enregistrées pour des produits identiques ou similaires et partageant un élément verbal commun, a formé opposition à cet enregistrement. L’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur a rejeté l’opposition, une décision confirmée par sa chambre de recours qui a écarté plusieurs marques antérieures faute de preuve d’usage et a refusé de reconnaître l’existence d’une « série de marques ». Saisi d’un recours, le Tribunal de première instance a confirmé l’analyse de l’Office, jugeant qu’il n’existait pas de risque de confusion. La titulaire des marques antérieures a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’appréciation du risque de confusion et la mise à l’écart de ses marques non exploitées. La question posée à la Cour était donc de déterminer si les différences visuelles et conceptuelles entre des signes peuvent neutraliser une similitude phonétique et, surtout, de préciser dans quelles conditions une pluralité de marques antérieures, dont certaines ne sont pas utilisées, peut être opposée à une demande d’enregistrement. La Cour de justice rejette le pourvoi, considérant que l’appréciation du risque de confusion doit être globale et que la protection accordée à une « famille de marques » ou à des « marques défensives » est subordonnée à la preuve d’un usage sur le marché.

La décision de la Cour permet de clarifier les modalités d’appréciation du risque de confusion en réaffirmant le caractère global de cette analyse (I), tout en soumettant la protection des constellations de marques à l’exigence fondamentale d’une exploitation effective (II).

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I. La réaffirmation de l’appréciation globale du risque de confusion

La Cour rappelle que la similitude entre les signes doit être appréciée globalement, ce qui la conduit à relativiser l’importance de la seule ressemblance phonétique (A) et à exiger un seuil minimal de similitude pour que le principe d’interdépendance puisse s’appliquer (B).

A. La portée limitée de la similitude phonétique

La requérante soutenait qu’une similitude phonétique, même qualifiée de « significative » par le Tribunal, devait suffire à caractériser un risque de confusion. La Cour écarte cette approche en rappelant qu’une telle analyse doit s’inscrire dans une perspective plus large. Elle énonce que « l’existence d’un tel risque doit être constatée dans le cadre d’une appréciation globale en ce qui concerne les similitudes conceptuelle, visuelle et phonétique entre les signes en cause ». Cette appréciation globale doit se fonder sur l’impression d’ensemble produite par les marques, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

La Cour confirme ainsi une jurisprudence bien établie selon laquelle les différentes facettes de la comparaison des signes ne sont pas hiérarchisées. Plus précisément, elle valide le raisonnement du Tribunal qui avait jugé que les différences conceptuelles et visuelles pouvaient neutraliser une ressemblance auditive. Cette neutralisation est d’autant plus effective que l’un des signes a une « signification claire et déterminée, de sorte que ce public est susceptible de la saisir directement ». En l’espèce, le Tribunal avait pu considérer, sans commettre d’erreur de droit, que l’importance de la similitude phonétique était réduite par le fait que, pour les produits concernés, l’acte d’achat repose principalement sur une perception visuelle de la marque.

B. L’exigence d’un degré minimal de similitude comme condition préalable à l’interdépendance

La requérante invoquait également le principe d’interdépendance, selon lequel un faible degré de similitude entre les marques peut être compensé par une forte similitude, voire une identité, des produits qu’elles désignent. La Cour, tout en reconnaissant l’existence de ce principe, en précise fermement les limites. Elle rappelle que l’application de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 repose sur des conditions cumulatives. En effet, « un risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude de la marque dont l’enregistrement est demandé et de la marque antérieure ainsi qu’une identité ou une similitude des produits ou des services ».

Il en découle qu’en l’absence d’un degré minimal de similitude entre les signes eux-mêmes, le principe d’interdépendance ne saurait trouver à s’appliquer. Le Tribunal, ayant conclu à l’absence de similitudes visuelle et conceptuelle et à l’importance réduite de la similitude phonétique, a pu légitimement en déduire que ce seuil minimal n’était pas atteint. Par conséquent, il n’était pas tenu d’examiner si l’identité des produits pouvait compenser des ressemblances jugées insuffisantes. La Cour valide ainsi une approche qui fait de la similitude des signes un prérequis indispensable avant toute mise en balance avec la similitude des produits.

Au-delà de l’analyse classique de la comparaison des signes, la Cour se prononce sur le régime spécifique applicable à l’invocation de plusieurs marques antérieures, en le conditionnant à une présence effective sur le marché.

II. Le rejet d’une protection étendue aux marques non exploitées

La Cour de justice apporte d’importantes précisions sur le sort des marques enregistrées mais non utilisées, en liant la reconnaissance d’une « famille de marques » à son usage effectif (A) et en déclarant le concept de « marque défensive » incompatible avec le droit communautaire (B).

A. La soumission de la notion de « famille de marques » à une condition d’usage effectif

La requérante faisait valoir que ses différentes marques antérieures constituaient une « famille » ou une « série » qui méritait une protection élargie. La Cour distingue nettement cette situation de celle où une opposition est fondée sur une seule marque antérieure. Si, dans ce dernier cas, une marque non encore soumise à l’obligation d’usage est appréciée telle qu’enregistrée, il en va différemment pour une série. Le risque de confusion consiste alors à ce que le consommateur associe à tort la nouvelle marque à cette famille existante.

Pour qu’une telle association soit possible, encore faut-il que le consommateur ait connaissance de l’existence de cette famille. La Cour retient à cet égard une approche pragmatique et fondée sur la perception du public. Elle juge que « l’on ne saurait attendre d’un consommateur, en l’absence d’usage d’un nombre suffisant de marques susceptible de constituer une famille ou une série, qu’il détecte un élément commun dans ladite famille ou série ». Par conséquent, pour que la protection attachée à une série de marques puisse être invoquée, « les marques antérieures faisant partie de cette ‘famille’ ou ‘série’ doivent être présentes sur le marché ». L’existence d’une série n’est donc pas une simple construction juridique découlant d’enregistrements multiples, mais une réalité factuelle qui doit être démontrée par l’usage.

B. L’incompatibilité du concept de « marque défensive » avec l’exigence d’usage du droit communautaire

La requérante tentait de justifier le non-usage de certaines de ses marques en invoquant leur caractère « défensif » au regard du droit national italien. La Cour rejette catégoriquement cet argument et affirme la primauté des règles du droit communautaire en matière d’usage. Elle rappelle que, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement, le titulaire d’une marque antérieure doit prouver un usage sérieux de celle-ci ou l’existence de « justes motifs » pour son non-usage.

Or, la notion de « justes motifs » ne saurait couvrir une situation où le non-usage résulte d’une stratégie délibérée du titulaire, même si celle-ci est admise par une législation nationale. La Cour précise que cette notion « se réfère, en substance, à des circonstances externes au titulaire de la marque qui font obstacle à l’utilisation de celle-ci ». Admettre qu’une disposition nationale créant des marques défensives puisse constituer un juste motif viderait de sa substance l’obligation d’usage, qui est une condition essentielle du maintien des droits exclusifs dans le système de la marque communautaire. La Cour juge donc incompatible avec ce système une thèse qui permettrait d’invoquer une marque dont le non-usage est délibéré et stratégique. La protection d’une marque est la contrepartie de son exploitation, non de son simple enregistrement.

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