Cour de justice de l’Union européenne, le 13 septembre 2017, n°C-570/15

Par un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel, a précisé les conditions de détermination de la législation de sécurité sociale applicable à un travailleur exerçant son activité sur le territoire de plusieurs États membres.

En l’espèce, un ressortissant néerlandais résidant en Belgique travaillait pour un employeur établi aux Pays-Bas. Au cours de l’année considérée, ce travailleur a exercé la grande majorité de son activité aux Pays-Bas, mais a également accompli environ 6,5 % de son temps de travail en Belgique, son État de résidence, en partie à domicile et en partie en clientèle, sans que ces prestations ne soient prévues par son contrat de travail ni ne suivent un schéma régulier. Un litige est né avec l’administration fiscale néerlandaise concernant son assujettissement aux cotisations de sécurité sociale de cet État.

La juridiction de première instance, puis la cour d’appel de Bois-le-Duc, ont considéré que les activités exercées en Belgique étaient purement ponctuelles et ne justifiaient pas une dérogation à la règle de l’application de la législation de l’État d’emploi. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême des Pays-Bas a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice de l’Union européenne de clarifier les critères d’application de la règle spéciale de conflit de lois prévue par le règlement n° 1408/71 en cas de pluri-activité.

La question posée à la Cour était de savoir si un travailleur, qui accomplit une part très limitée et non contractualisée de son activité dans son État de résidence, doit être considéré comme exerçant « normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres » au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), du règlement n° 1408/71, justifiant ainsi l’application de la législation de l’État de résidence plutôt que celle de l’État d’emploi.

La Cour a répondu par la négative, jugeant qu’une activité aussi réduite et non formalisée ne permet pas de qualifier la situation de pluri-activité normale. Elle estime qu’une personne dans une telle situation ne doit pas être considérée « comme exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux États membres », ce qui a pour conséquence d’écarter la règle de rattachement à l’État de résidence et de maintenir l’application de la législation de l’État où l’activité est principalement exercée.

Cette solution conduit la Cour à réaffirmer la primauté du critère de l’État d’emploi tout en fournissant une interprétation restrictive de la notion de pluri-activité (I), ce qui a pour effet de limiter l’exception au profit d’une approche pragmatique et prévisible (II).

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I. La consolidation du principe de la *lex loci laboris* par une interprétation stricte de la pluri-activité

La Cour de justice, dans sa décision, commence par rappeler le principe directeur de la détermination de la loi applicable en matière de sécurité sociale (A), pour ensuite en déduire une définition exigeante de l’activité exercée sur le territoire de plusieurs États membres (B).

A. Le rappel de la prééminence du critère de l’État d’emploi

Le règlement n° 1408/71 vise à assurer qu’une personne relevant de son champ d’application ne soit soumise qu’à la législation d’un seul État membre. Le principe de base, énoncé à l’article 13, paragraphe 2, sous a), est celui de la *lex loci laboris* : un travailleur est assujetti à la législation de l’État sur le territoire duquel il exerce son activité salariée. Ce critère simple et objectif prévient les cumuls de législations et les complications administratives, servant ainsi l’objectif de libre circulation des travailleurs.

La Cour souligne que les règles dérogatoires, telles que celle de l’article 14, ne doivent s’appliquer que dans des « situations particulières » où le critère de l’État d’emploi créerait des difficultés pratiques. En l’absence de telles circonstances, la règle générale conserve toute sa force. En effet, la Cour rappelle que « l’application pure et simple de la règle générale […] risquerait non pas d’éviter, mais, au contraire, de créer, tant pour le travailleur que pour l’employeur et les organismes de sécurité sociale, des complications administratives ». Ce faisant, elle ancre solidement son raisonnement dans la finalité même du système de conflit de lois institué par le règlement.

B. La définition restrictive de l’activité exercée dans plusieurs États

La dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 2, sous b), i), s’applique à « la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres ». La Cour se concentre sur l’interprétation de cette condition, en précisant qu’elle suppose que l’intéressé « exerce habituellement des activités significatives sur le territoire de deux ou plusieurs États membres ». Elle écarte ainsi les activités exercées de façon « simplement ponctuelle ».

Pour apprécier ce caractère habituel et significatif, la Cour mobilise un faisceau d’indices. Elle se réfère notamment à « la durée des périodes d’activité et à la nature du travail salarié telles que définies dans les documents contractuels, ainsi que, le cas échéant, à la réalité des activités exercées ». En l’espèce, la faible proportion du temps de travail (6,5 %) et l’absence de toute mention de prestations en Belgique dans le contrat de travail ont été déterminantes. La Cour juge qu’une telle configuration factuelle ne permet pas de considérer que le travailleur exerce habituellement des activités significatives dans son État de résidence, et refuse par conséquent d’activer le critère de rattachement dérogatoire.

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II. La portée de la qualification d’activité marginale

En se fondant sur une approche qualitative plus que purement arithmétique (A), la Cour de justice renforce la sécurité juridique pour les employeurs et les institutions, limitant ainsi les risques d’incertitude (B).

A. Le rejet d’une approche quantitative au profit d’une analyse qualitative

La Cour se garde de fixer un seuil chiffré en deçà duquel une activité serait systématiquement jugée marginale. Elle privilégie une appréciation concrète des circonstances de chaque espèce. Si le pourcentage de 6,5 % est jugé insuffisant, c’est en raison du contexte dans lequel il s’inscrit. Le fait que l’activité dans l’État de résidence n’ait « pas fait l’objet d’un accord préalable avec son employeur » est un élément essentiel de l’analyse, suggérant que la prévisibilité et la structuration de l’activité sont des critères prépondérants.

Cette méthode d’appréciation qualitative permet de distinguer les véritables situations de pluri-activité, qui impliquent une certaine organisation du travail entre plusieurs États, des situations où une partie du travail est effectuée ailleurs de manière fortuite ou accessoire. La solution aurait pu être différente si, malgré un faible volume horaire, le contrat de travail avait explicitement prévu des prestations régulières dans l’État de résidence, même limitées. En liant l’analyse au cadre contractuel, la Cour donne aux parties un instrument de prévisibilité.

B. La consolidation de la sécurité juridique

En adoptant une interprétation stricte de la notion d’activité normale dans un autre État membre, la Cour prévient un élargissement excessif de la dérogation qui aurait pu nuire à la prévisibilité du droit applicable. Si une activité aussi limitée et informelle avait suffi à basculer la législation applicable de l’État d’emploi vers l’État de résidence, de nombreuses situations de télétravail occasionnel ou de déplacements ponctuels auraient pu générer une incertitude juridique considérable.

La Cour exprime cette préoccupation en relevant que la solution inverse serait de nature « à créer un risque de contournement des règles de conflit de lois ». Cette décision a donc une portée pratique importante : elle stabilise le critère principal de la *lex loci laboris* et rassure les employeurs quant au fait que l’autorisation de formes mineures de travail à distance transfrontalier n’entraînera pas automatiquement un changement de leur régime de sécurité sociale. L’arrêt constitue ainsi moins un arrêt de principe qu’une décision d’espèce dont la motivation fournit une ligne directrice claire, privilégiant la stabilité et la prévisibilité dans la détermination de la loi applicable.

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Hassan KOHEN
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