Par un arrêt du 13 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour suprême estonienne, a précisé le régime des frais de communication téléphonique applicables dans le cadre d’un contrat de consommation déjà conclu.
En l’espèce, un prestataire de services de télécommunications et d’internet proposait à sa clientèle, pour toute question relative à un contrat en cours, deux numéros de téléphone. Le premier était un numéro de téléphone fixe facturé au tarif de base, tandis que le second était un numéro abrégé soumis à une tarification plus élevée. L’office de protection des consommateurs estonien a adressé une injonction au professionnel, lui ordonnant de cesser cette pratique jugée contraire au droit national transposant la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs. L’autorité de surveillance estimait que seule la mise à disposition d’un numéro au tarif de base était licite.
Le professionnel a contesté cette injonction devant les juridictions administratives. Il soutenait que la directive n’interdisait pas de proposer un numéro surtaxé en parallèle d’un numéro au tarif de base, dès lors que le consommateur était clairement informé et disposait d’un choix libre et non contraint. Débouté en première instance par le tribunal administratif de Tallin, puis en appel par la cour d’appel de Tallin, le professionnel a formé un pourvoi devant la Cour suprême estonienne. Celle-ci, considérant que l’affaire soulevait une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice.
La question posée à la Cour était, en substance, de savoir si l’article 21 de la directive 2011/83/UE, qui prévoit que le consommateur ne doit pas être tenu de payer plus que le tarif de base lorsqu’il contacte un professionnel par téléphone au sujet d’un contrat conclu, s’oppose à ce qu’un professionnel propose un numéro surtaxé, même si un numéro au tarif de base est également disponible.
La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que cette disposition « doit être interprétée en ce sens qu’il s’oppose à ce que, si un professionnel a mis à la disposition de l’ensemble de sa clientèle un ou plusieurs numéros d’appel abrégés soumis à un tarif plus élevé que le tarif de base, les consommateurs ayant déjà conclu un contrat avec ce professionnel paient plus que le tarif de base lorsqu’ils contactent ledit professionnel, par téléphone, au sujet de ce contrat ».
Cette solution consacre une conception stricte de l’interdiction de la surtaxation des services d’assistance téléphonique post-contractuels (I), dont la portée générale renforce de manière significative le niveau de protection accordé au consommateur (II).
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I. Le sens : une interprétation extensive de la prohibition de la surtaxation téléphonique
La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture combinée des dispositions de la directive, privilégiant une approche à la fois contextuelle qui confirme un principe de non-surtaxation (A) et téléologique qui établit le caractère impératif de cette protection (B).
A. La confirmation d’un principe de non-surtaxation par une approche contextuelle
Pour déterminer le champ d’application de l’article 21 de la directive, la Cour ne s’en tient pas à son seul libellé. Elle le replace dans le contexte général du texte, en s’appuyant notamment sur les articles 13 et 19. Ces dispositions, relatives respectivement au remboursement en cas de rétractation et aux frais liés à l’utilisation d’un moyen de paiement, traduisent un principe directeur selon lequel le consommateur ne doit pas supporter de coûts supplémentaires lorsqu’il exerce les droits que lui confère la directive. La Cour en déduit qu’« en principe, ce n’est pas au consommateur qu’il appartient de supporter des coûts autres que les coûts habituels ». En conséquence, les frais de communication relatifs à l’exécution du contrat ou à la revendication de droits ne sauraient excéder le coût d’une communication standard. Le raisonnement systémique de la Cour permet de dégager une cohérence d’ensemble, où l’interdiction de la surtaxation apparaît comme une application particulière d’un principe plus large de maîtrise des coûts pour le consommateur dans sa relation avec le professionnel.
Au-delà de cette analyse systémique, la Cour fonde principalement sa décision sur la finalité même de la directive.
B. La consécration d’une protection impérative par une approche téléologique
La Cour rappelle que l’objectif de la directive 2011/83/UE est d’assurer « un niveau élevé de protection des consommateurs » au moyen d’une harmonisation complète. Cet objectif serait compromis si le consommateur, pour des questions relatives à son contrat, devait payer un surcoût. Une telle situation créerait une barrière financière susceptible de le dissuader de contacter le professionnel, et donc de faire valoir ses droits. La Cour rejette ainsi l’argument du professionnel fondé sur le libre choix du consommateur. Elle souligne que la liberté contractuelle trouve ses limites dans le caractère impératif des dispositions de la directive, comme le prévoit son article 25. Selon ce texte, « le consommateur ne peut renoncer aux droits qui lui sont conférés ». La possibilité de choisir un numéro surtaxé reviendrait à permettre une renonciation indirecte à la protection offerte par l’article 21, ce qui est formellement prohibé. La protection n’est donc pas une simple option offerte au consommateur, mais une obligation qui s’impose au professionnel, indépendamment du consentement ou du choix du cocontractant.
Ainsi clarifiée dans son sens, la solution retenue par la Cour de justice se distingue également par sa valeur et sa portée significatives.
II. La portée : une clarification bienvenue renforçant les droits du consommateur
L’arrêt présente une valeur certaine en garantissant la sécurité juridique et l’effectivité du droit pour les consommateurs (A). Il définit par ailleurs une interdiction dont la portée générale et absolue clarifie les obligations des professionnels (B).
A. La valeur d’une solution garantissant la sécurité juridique et l’effectivité du droit
En tranchant nettement en faveur d’une interdiction stricte, la Cour lève toute ambiguïté sur l’interprétation de l’article 21. La solution contraire, qui aurait validé la mise à disposition parallèle de lignes surtaxées, aurait ouvert une brèche dans le dispositif de protection. Les professionnels auraient pu être incités à rendre l’accès à la ligne au tarif de base moins visible ou moins pratique, orientant de fait les consommateurs vers l’option la plus onéreuse. En posant une règle claire, la Cour prévient de tels contournements et garantit une application uniforme du droit au sein du marché intérieur. La décision renforce l’effectivité des droits du consommateur, en s’assurant que l’exercice de ces droits ne soit pas entravé par des considérations financières. La protection du consommateur n’est pas seulement proclamée, elle est rendue concrète et accessible, sans frais cachés ni surcoûts dissuasifs.
Cette clarification bienvenue emporte des conséquences pratiques étendues, définissant une interdiction d’une portée générale.
B. La portée d’une interdiction générale et absolue de la surtaxation
La Cour de justice précise que l’interdiction s’applique « quel que soit le format des numéros d’appel proposés par ledit professionnel ». Ainsi, la nature du numéro, qu’il s’agisse d’un numéro abrégé, d’un numéro spécial ou de toute autre forme, est indifférente. Ce qui importe est que le coût de l’appel ne dépasse pas le tarif de base dès lors que la communication porte sur un contrat conclu. De plus, la Cour écarte expressément l’argument selon lequel l’information fournie au consommateur ou son choix délibéré d’utiliser la ligne surtaxée pourrait exonérer le professionnel de son obligation. Il en résulte une interdiction absolue : un professionnel exploitant une ligne téléphonique pour le suivi de ses contrats ne peut en aucun cas facturer au consommateur un tarif supérieur au tarif de base pour ce service. Cette règle s’applique à toutes les lignes mises à disposition à cette fin, sans exception possible. La portée de cette décision est donc considérable pour l’ensemble des secteurs d’activité proposant un service client par téléphone.