Cour de justice de l’Union européenne, le 13 septembre 2018, n°C-618/16

Par un arrêt du 13 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des mesures transitoires prévues par l’acte d’adhésion de 2003, notamment en ce qui concerne les droits des travailleurs polonais au Royaume-Uni. En l’espèce, un ressortissant polonais, arrivé sur le territoire britannique en 2008, y avait travaillé de juillet 2009 à mars 2011, avant de cesser son activité en raison d’une incapacité de travail. Bien qu’il ait travaillé plus de douze mois, il n’avait obtenu son certificat d’enregistrement, requis par la législation nationale transitoire, que deux mois avant la fin de son emploi. À la suite de la cessation de son activité, il sollicita une allocation complémentaire, qui lui fut refusée par l’autorité compétente au motif qu’il ne remplissait pas la condition de douze mois de travail enregistré ininterrompu pour pouvoir conserver son statut de travailleur. Saisi du litige, l’Upper Tribunal (Administrative Appeals Chamber) a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si l’annexe XII de l’acte d’adhésion de 2003 autorisait un État membre à déroger aux dispositions du droit de l’Union relatives à la conservation du statut de travailleur et à l’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux, en imposant une condition de durée de travail enregistré non prévue par le droit commun. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, estimant que les dispositions transitoires permettaient à un État membre d’exclure du bénéfice de ces droits un ressortissant ne satisfaisant pas aux conditions spécifiques posées par la législation nationale adoptée sur ce fondement. La Cour énonce ainsi que « L’annexe xii, chapitre 2, de l’acte […] doit être interprétée en ce sens qu’elle autorisait, pendant la période transitoire prévue par celle-ci, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à exclure du bénéfice de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2004/38/ce […] un ressortissant polonais […] n’ayant pas satisfait à la condition prévue par la législation nationale d’avoir exercé une activité de travail enregistrée sur son territoire pendant une période ininterrompue de douze mois ».

La solution de la Cour repose sur une articulation rigoureuse entre le droit commun de la libre circulation et le régime dérogatoire temporaire. Elle consacre ainsi la validité d’une restriction au maintien du statut de travailleur subordonnée aux objectifs des mesures transitoires (I), avant de confirmer l’application stricte des conditions nationales d’intégration au marché du travail (II).

I. La justification d’une dérogation au maintien du statut de travailleur

La Cour de justice légitime la dérogation mise en place par l’État membre en établissant d’abord un lien indissociable entre le maintien du statut de travailleur et l’accès au marché du travail (A), puis en reconnaissant la nécessité de cette dérogation pour garantir l’effet utile des mesures transitoires (B).

A. Le caractère indissociable du maintien du statut de travailleur et de l’accès au marché du travail

La Cour établit que le droit de conserver la qualité de travailleur, prévu à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2004/38, ne peut être dissocié des règles régissant l’accès à l’emploi. En effet, les situations visées par cette disposition, comme l’incapacité temporaire ou le chômage involontaire, reposent toutes sur la prémisse que le citoyen de l’Union est apte à réintégrer le marché du travail de l’État d’accueil. Ce maintien du statut n’est donc pas un droit autonome, mais une protection temporaire orientée vers un retour à l’emploi. Par conséquent, dès lors que l’annexe XII de l’acte d’adhésion autorisait les États membres à réglementer l’accès des ressortissants polonais à leur marché du travail en dérogeant aux articles 1er à 6 du règlement n° 492/2011, il était logique d’admettre également une dérogation au droit de conserver le statut de travailleur, qui en est le corollaire. La Cour considère que « l’application de cette disposition ne saurait être dissociée de celle des dispositions du règlement n° 492/2011 qui régissent l’accès à l’emploi ».

B. La nécessité de la dérogation pour l’effectivité des mesures transitoires

La Cour valide ensuite le raisonnement selon lequel la dérogation au maintien du statut de travailleur était nécessaire à l’application des mesures transitoires. Ces mesures visaient à prévenir des perturbations graves sur les marchés du travail des anciens États membres. Le système d’enregistrement mis en place par le Royaume-Uni participait de cet objectif en contrôlant l’accès à son marché. Permettre à un travailleur n’ayant pas rempli les conditions d’intégration prévues par ce système de conserver son statut de travailleur et le droit de séjour afférent aurait privé la réglementation nationale de son effet utile. Comme l’indique l’arrêt, cela aurait empêché l’État membre de « donner plein effet à ces mesures dérogatoires, qui visaient notamment à limiter le droit des ressortissants d’un État adhérent économiquement inactifs de séjourner sur son territoire aux fins d’y chercher un emploi ». La dérogation à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2004/38 était donc bien, aux yeux de la Cour, comprise dans la marge de manœuvre laissée aux États membres.

II. La confirmation de l’application stricte des conditions nationales d’intégration

Après avoir justifié le principe de la dérogation, la Cour examine ses modalités d’application. Elle valide l’exigence d’une période de travail « enregistrée » comme critère d’intégration au marché du travail (A), ce qui entraîne logiquement la subordination du bénéfice des avantages sociaux à la conservation de ce statut (B).

A. L’exigence d’une période de travail enregistrée comme condition d’intégration

La Cour se penche sur l’interprétation de l’annexe XII de l’acte d’adhésion, qui conditionne l’acquisition de certains droits à l’accomplissement d’une période de travail ininterrompue de douze mois et à l’« admission sur le marché du travail » de l’État membre concerné. La juridiction européenne admet que la législation nationale, en l’occurrence britannique, a pu légitimement faire de l’obtention d’un certificat d’enregistrement la formalité matérialisant cette « admission ». Ainsi, la simple durée de l’activité professionnelle, même supérieure à douze mois, n’était pas suffisante. Le requérant, n’ayant été enregistré que pour une période de deux mois, n’avait pas satisfait à cette double condition cumulative. La Cour juge que le travailleur « doit être considéré comme n’ayant été admis sur le marché du travail de cet État membre que pendant une période totale de deux mois et six jours, inférieure aux douze mois requis ». Cette interprétation confère une portée décisive aux formalités administratives prévues par les régimes transitoires nationaux.

B. La subordination du bénéfice des avantages sociaux à la conservation du statut de travailleur

La conséquence de ce raisonnement est directe et inéluctable. Le bénéfice de l’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux, garanti par l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011, est expressément réservé aux personnes ayant la qualité de « travailleur ». Le ressortissant polonais, n’ayant pu conserver son statut de travailleur en vertu de la législation nationale dérogatoire, ne pouvait dès lors prétendre à l’allocation demandée sur le fondement du droit de l’Union. La Cour confirme ainsi une hiérarchie claire : le droit aux avantages sociaux est subordonné à la conservation du statut de travailleur, laquelle était elle-même soumise, durant la période transitoire, au respect des conditions spécifiques édictées par l’État membre d’accueil. L’arrêt illustre de manière précise la primauté des dispositions spécifiques de l’acte d’adhésion sur le droit commun de la citoyenneté européenne pendant la durée de leur application.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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