Cour de justice de l’Union européenne, le 14 avril 2005, n°C-104/02

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 14 avril 2005 examine les obligations des États membres relatives à la perception des droits de douane, qui constituent des ressources propres pour la Communauté. En l’espèce, la Commission a initié une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant d’avoir tardé à recouvrer des dettes douanières nées d’irrégularités dans des opérations de transit communautaire externe. Ces retards dans la mise à disposition des ressources propres ont conduit la Commission à saisir la Cour.

La procédure précontentieuse a débuté suite à des contrôles effectués par les services de la Commission, révélant des dépassements significatifs des délais prévus par la réglementation douanière pour engager le recouvrement. L’État membre mis en cause, sans contester les faits, a soutenu que les délais en question n’avaient qu’un caractère indicatif et non contraignant. Face à la persistance de ce désaccord sur l’interprétation du droit communautaire et au refus de l’État membre de verser des intérêts de retard, la Commission a introduit un recours en manquement. Elle demandait à la Cour non seulement de constater le manquement, mais également d’enjoindre à l’État membre de verser les intérêts moratoires dus.

Le problème de droit soulevé devant la Cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si, dans le cadre d’un recours en manquement fondé sur l’article 226 du traité CE, la Cour a compétence pour ordonner à un État membre de prendre une mesure spécifique, telle que le paiement d’une somme d’argent. D’autre part, la question de fond portait sur la nature des délais prévus par le droit douanier communautaire pour la procédure de recouvrement : ces délais sont-ils impératifs, obligeant les États membres à agir promptement, ou de simples délais indicatifs leur laissant une marge d’appréciation ?

À ces questions, la Cour de justice apporte une réponse nuancée. Sur le plan procédural, elle juge irrecevables les conclusions de la Commission visant à obtenir une injonction de paiement, rappelant que son rôle dans un recours en manquement se limite à constater l’existence d’une violation du droit communautaire. Sur le fond, en revanche, elle donne raison à la Commission en affirmant que l’État membre a bien manqué à ses obligations. La Cour juge que les délais prévus pour le recouvrement sont impératifs et visent à garantir une mise à disposition efficace et rapide des ressources propres de la Communauté.

La décision clarifie ainsi l’étendue des pouvoirs du juge dans le contentieux en manquement (I), tout en renforçant l’exigence de diligence des États membres dans la collecte des ressources financières de la Communauté (II).

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I. La délimitation de l’office du juge dans le contentieux du manquement

La Cour, avant d’examiner le fond du litige, se prononce sur l’étendue de sa propre compétence, distinguant nettement entre la constatation d’un manquement et les mesures d’exécution qui en découlent. Elle rejette ainsi les conclusions visant à une injonction de paiement (A), confirmant par là même le caractère strictement déclaratoire de son intervention dans ce type de procédure (B).

A. Le rejet des conclusions à fin d’injonction

La Cour écarte sans ambiguïté la demande de la Commission visant à condamner l’État membre au paiement d’intérêts de retard. Elle rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la procédure en manquement a pour seul objet de faire reconnaître une violation des obligations communautaires par un État. Le dispositif d’un tel arrêt ne peut donc comporter d’injonction adressée à l’État concerné. La Cour souligne que son rôle n’est pas d’ordonner l’adoption de « mesures déterminées ».

Cette position se fonde sur une lecture stricte des articles 226 et 228 du traité CE. L’article 226 CE confère à la Cour la mission de constater le manquement, tandis que l’article 228 CE précise qu’il appartient à l’État membre « de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour ». En jugeant la demande de paiement irrecevable, la Cour réaffirme la répartition des compétences entre elle et les États membres dans le processus de sanction des manquements. La Cour déclare ainsi que, par conséquent, elle « ne saurait, dans le cadre d’un recours en manquement, se prononcer sur des griefs en rapport avec des conclusions visant, comme en l’espèce, à ce qu’elle enjoigne à un État membre de verser des intérêts de retard ».

B. La confirmation d’une compétence strictement déclaratoire

En déclarant irrecevable la demande de paiement, la Cour ne fait que confirmer la nature purement déclaratoire de son arrêt en matière de manquement. Cette solution, loin d’être anecdotique, constitue un rappel fondamental des principes structurant l’ordre juridique communautaire. Le contentieux en manquement n’est pas un contentieux de pleine juridiction où le juge pourrait substituer sa propre décision à celle de l’administration nationale défaillante ou la condamner à une prestation précise.

La valeur de cette clarification réside dans le maintien d’un équilibre institutionnel. La phase d’exécution de l’arrêt relève de la responsabilité de l’État membre, sous le contrôle de la Commission. Si l’État ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut engager une seconde procédure, sur le fondement de l’article 228 CE, qui peut, elle, aboutir à des sanctions pécuniaires. La portée de cette partie de la décision est donc de préserver la logique séquentielle du traité : d’abord la constatation, ensuite l’exécution, et enfin, seulement en cas d’inexécution persistante, la sanction financière.

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II. L’affirmation du caractère impératif des délais de recouvrement de la dette douanière

Si la Cour se montre stricte sur le plan procédural, elle adopte sur le fond une interprétation qui renforce les obligations financières des États membres. Elle privilégie une lecture finaliste des dispositions réglementaires (A), dont la portée est de sécuriser les finances de la Communauté (B).

A. L’interprétation téléologique des délais de procédure

L’argument principal de l’État membre défendeur consistait à présenter les délais fixés par le règlement d’application du code des douanes comme de simples délais indicatifs. La Cour rejette cette thèse en s’appuyant sur la finalité même des dispositions en cause. Elle juge qu’il « ressort des termes mêmes de l’article 379, paragraphe 2, troisième phrase du règlement d’application que les États membres sont obligés d’entamer la procédure de recouvrement ». Elle ajoute que cette interprétation « s’impose également afin de garantir une application diligente et uniforme, par les autorités compétentes, des dispositions en matière de recouvrement de la dette douanière dans l’intérêt d’une mise à disposition efficace et rapide des ressources propres de la Communauté ».

Le raisonnement de la Cour est donc téléologique : l’objectif de célérité et d’efficacité dans la collecte des ressources propres impose de considérer les délais comme impératifs. La Cour estime qu’à l’expiration des délais prévus, les autorités nationales disposent de tous les éléments nécessaires pour identifier le débiteur et calculer le montant des droits. L’argument de l’État membre tiré de la complexité des enquêtes ou du délai de prescription de trois ans pour notifier la dette au débiteur est écarté, car ce dernier délai vise à protéger le redevable et non à octroyer un délai supplémentaire à l’administration pour agir au nom de la Communauté.

B. La portée de la solution pour la protection des finances communautaires

En qualifiant les délais de contraignants, la Cour émet une décision de principe qui dépasse le cas d’espèce. La valeur de cette solution est de renforcer considérablement le pouvoir de contrôle de la Commission sur la gestion des ressources propres par les États membres. Elle envoie un signal clair aux administrations nationales : la diligence dans le recouvrement des droits de douane n’est pas une option, mais une obligation de résultat dont le non-respect constitue un manquement.

La portée de cet arrêt est significative pour la protection du budget communautaire. Il prévient les risques de pertes de recettes dues à la négligence ou à la lenteur administrative des États membres. En établissant un lien direct entre le non-respect des délais de recouvrement et un manquement à l’obligation de mettre à disposition les ressources propres, la Cour solidifie le fondement juridique sur lequel la Commission peut s’appuyer pour réclamer des intérêts de retard. Même si elle ne peut ordonner leur paiement dans le cadre d’un premier recours en manquement, la constatation de la violation ouvre la voie à une telle réclamation par d’autres moyens. L’arrêt assure ainsi une discipline financière plus stricte au sein de l’Union.

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