Par un arrêt en date du 14 avril 2005, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une question préjudicielle par le Consiglio di Stato italien, a précisé les conditions dans lesquelles une mesure nationale corrective, adoptée dans le cadre de la libéralisation du marché de l’électricité, peut être considérée comme compatible avec le droit communautaire des aides d’État et le principe de non-discrimination. En l’espèce, un État membre avait transposé la directive 96/92/CE, ce qui avait eu pour effet de créer un avantage économique significatif pour les entreprises produisant de l’électricité à partir de sources hydrauliques et géothermiques. Ces entreprises, ne supportant pas de coût de combustible, bénéficiaient néanmoins d’une structure de prix qui en tenait compte, générant un profit non lié à une amélioration de leur efficacité. Pour neutraliser cet effet d’aubaine, les autorités nationales ont instauré une majoration temporaire et dégressive de la redevance pour l’accès au réseau de transport, applicable uniquement à ces entreprises. Deux sociétés assujetties à cette majoration ont contesté la légalité de cette mesure devant les juridictions administratives, soutenant qu’elle constituait une aide d’État déguisée et une violation du principe de non-discrimination pour l’accès au réseau. Le juge de renvoi a alors interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle mesure avec l’article 87 du traité CE et les dispositions de la directive sur le marché intérieur de l’électricité. La Cour a répondu qu’une telle majoration ne constitue pas en soi une aide d’État, car elle résulte de la nature et de l’économie du système en cause. Elle a toutefois ajouté que si le produit de cette majoration était obligatoirement affecté au financement d’un régime d’aide spécifique, elle devrait être examinée conjointement avec ce dernier. En outre, la Cour a jugé que la mesure n’était pas contraire au principe de non-discrimination, à condition qu’elle soit proportionnée à l’avantage qu’elle vise à compenser.
La solution retenue par la Cour de justice clarifie la marge de manœuvre dont disposent les États membres pour corriger les distorsions induites par un processus de libéralisation, en distinguant soigneusement la nature de la mesure corrective de son éventuelle affectation (I). Elle valide par ailleurs le principe d’un traitement différencié lorsque celui-ci répond à des situations objectivement dissemblables, tout en le soumettant à un contrôle de proportionnalité strict (II).
I. La qualification de la majoration au regard du droit des aides d’État
La Cour de justice adopte une approche en deux temps pour analyser la majoration de redevance. Elle commence par l’exclure de la notion d’aide d’État en se fondant sur sa justification inhérente au système mis en place (A), avant de nuancer cette position en liant son statut définitif à l’affectation de ses recettes (B).
A. L’exclusion de principe de la qualification d’aide en raison de la logique du système
La Cour rappelle que la notion d’aide d’État, bien que très large, ne vise pas les différenciations de charges entre entreprises lorsque celles-ci « résulte[nt] de la nature et de l’économie du système de charges en cause ». En l’espèce, la majoration litigieuse ne vise pas à favoriser certaines entreprises, mais au contraire à neutraliser un avantage concurrentiel né non pas d’une performance économique supérieure, mais d’une modification du cadre réglementaire. Cet avantage, qualifié de « meilleure valorisation », aurait, s’il avait été maintenu, créé une distorsion sur le marché libéralisé. La mesure corrective, en imposant une charge supplémentaire uniquement aux bénéficiaires de cet avantage, rétablit un équilibre et poursuit un objectif de cohérence interne au nouveau système de marché.
La Cour considère que cette différenciation de traitement est justifiée par la logique même de la transition vers un marché concurrentiel. La majoration n’est pas une charge arbitraire, mais une mesure transitoire et dégressive destinée à accompagner l’ouverture du marché en lissant ses effets non désirés. En ce sens, elle ne constitue pas une faveur ou un désavantage sélectif au sens de l’article 87 du traité CE, mais un simple ajustement technique inhérent à la réforme économique entreprise. L’analyse de la Cour montre que la finalité d’une mesure est déterminante pour sa qualification.
B. La réintégration potentielle de la mesure dans un régime d’aide par son affectation
Toutefois, la Cour ne s’arrête pas à cette conclusion de principe et affine son raisonnement en examinant la destination des fonds collectés. Elle souligne que « l’examen d’une aide ne saurait être séparé des effets de son mode de financement ». Ainsi, une taxe qui, isolément, ne serait pas une aide, peut devenir partie intégrante d’un régime d’aide si ses recettes sont spécifiquement et obligatoirement allouées au financement de ce dernier. La Cour pose une condition claire pour qu’un tel lien soit établi : il doit exister un « lien d’affectation contraignant entre la taxe parafiscale et l’aide, en vertu de la réglementation nationale pertinente ».
Ce critère permet de distinguer les prélèvements qui abondent le budget général de l’État, dont l’utilisation ultérieure relève d’une politique distincte, de ceux qui sont directement fléchés vers des bénéficiaires déterminés. Si le produit de la majoration est nécessairement affecté au financement, par exemple, des coûts échoués d’autres entreprises ou de subventions aux énergies renouvelables, alors la majoration elle-même doit être analysée comme une composante du régime d’aide qu’elle finance. La Cour renvoie ainsi à la juridiction nationale le soin de vérifier l’existence d’un tel lien dans la législation nationale, démontrant la répartition des compétences dans le cadre du renvoi préjudiciel.
II. La validation de la mesure dérogatoire au regard du principe de non-discrimination
Au-delà de la question des aides d’État, les requérantes invoquaient une violation du principe de non-discrimination consacré par la directive 96/92. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une interprétation classique du principe d’égalité (A), tout en posant une limite essentielle par le biais du contrôle de proportionnalité (B).
A. L’application du principe de non-discrimination à des situations non similaires
La Cour rappelle que le principe de non-discrimination, tel qu’exprimé notamment aux articles 7, 8 et 16 de la directive, interdit non seulement « de traiter de manière différente des situations similaires », mais aussi « de traiter de la même manière des situations différentes ». C’est sur ce second volet du principe qu’elle fonde son raisonnement pour valider la différenciation de traitement opérée par la législation nationale. Elle constate que les entreprises productrices d’électricité hydraulique et géothermique se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des autres producteurs du fait de l’avantage exceptionnel que leur procurait la libéralisation.
Appliquer la même redevance d’accès au réseau à toutes les entreprises aurait consisté à ignorer cette différence fondamentale et à consolider une distorsion de concurrence. En imposant une majoration uniquement aux entreprises bénéficiant de cet effet d’aubaine, la mesure nationale traite donc de manière différente des situations qui ne sont pas comparables. Loin de violer le principe de non-discrimination, elle en assure au contraire une correcte application. La Cour légitime ainsi l’action de l’État membre qui, face à des situations hétérogènes, met en place des outils réglementaires différenciés pour atteindre un objectif de péréquation et d’équilibre du marché.
B. La condition de proportionnalité comme garde-fou à l’autonomie de l’État membre
La validation de principe de la mesure n’est cependant pas inconditionnelle. La Cour de justice prend soin de préciser que la dérogation au traitement uniforme doit rester dans les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Elle confie à la juridiction de renvoi la mission de contrôler la proportionnalité de la mesure en vérifiant que « la majoration de la redevance ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour compenser ledit avantage ». Ce faisant, la Cour encadre l’autonomie de l’État membre et s’assure que l’instrument correctif ne se transforme pas en une sanction déguisée ou une charge excessive.
Cette exigence de proportionnalité est un garde-fou essentiel. Elle garantit que la mesure reste strictement cantonnée à son objectif de neutralisation de l’avantage indu, sans créer une nouvelle distorsion au détriment des entreprises qui y sont soumises. Le caractère dégressif et temporaire de la majoration, relevé par la juridiction de renvoi, constitue un indice fort de cette proportionnalité. Cette approche pragmatique permet à la Cour de concilier la nécessité d’une transition ordonnée vers un marché libéralisé avec la protection des opérateurs économiques contre d’éventuels excès de la puissance publique.