Par un arrêt du 14 avril 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la marge de manœuvre dont disposent les États membres pour adopter une législation environnementale plus stricte que les normes minimales établies par le droit communautaire. En l’espèce, une association exploitant une décharge centrale avait sollicité l’autorisation de continuer à y déposer des déchets traités uniquement mécaniquement, au-delà de la date limite fixée par une nouvelle réglementation nationale. L’autorité compétente du Land a refusé cette autorisation, estimant que la réglementation nationale, plus exigeante que la directive européenne qu’elle transposait, l’interdisait.
Saisie du litige, la juridiction administrative allemande a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité de la réglementation nationale avec la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets. Les questions préjudicielles portaient essentiellement sur le point de savoir si un État membre pouvait, en vertu de l’article 176 du traité CE, imposer des mesures de protection plus strictes que celles prévues par la directive, et si ces mesures renforcées devaient respecter le principe de proportionnalité. La question de droit soulevée était donc double : une directive d’harmonisation minimale en matière d’environnement s’oppose-t-elle à l’adoption par un État membre de normes plus contraignantes, et dans quelle mesure ces normes nationales sont-elles soumises au contrôle des principes généraux du droit communautaire ?
À cette double interrogation, la Cour apporte une réponse claire. Elle juge que la directive ne fait pas obstacle à une réglementation nationale plus stricte, qui constitue une mesure de protection renforcée autorisée par le traité. Elle ajoute que le principe communautaire de proportionnalité ne s’applique pas à de telles mesures lorsqu’elles dépassent les exigences minimales de la directive, sous réserve qu’elles respectent les autres dispositions du traité. La solution retenue par la Cour consacre ainsi la faculté pour les États d’édicter des normes environnementales renforcées (I), tout en délimitant de manière restrictive le contrôle exercé sur ces dernières au regard des principes généraux du droit communautaire (II).
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I. La consécration de la faculté d’adopter des mesures de protection renforcées
La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation de la directive comme établissant un socle minimal de protection (A), ce qui lui permet de valider les diverses modalités par lesquelles la législation nationale en cause a renforcé cette protection (B).
A. L’interprétation de la directive comme socle minimal de protection
La Cour rappelle d’emblée que « la réglementation communautaire, dans le domaine de l’environnement, n’envisage pas une harmonisation complète ». Cette approche est directement issue de l’article 176 du traité CE, qui autorise expressément les États membres à maintenir ou à établir des mesures de protection renforcées, à la condition qu’elles soient compatibles avec le traité et notifiées à la Commission. La politique environnementale de l’Union visant un niveau de protection élevé, elle ne saurait interdire aux États de poursuivre cet objectif avec plus d’ambition.
L’analyse de la directive 1999/31/CE confirme cette lecture. Ses dispositions fixent des objectifs quantitatifs et des échéances pour la réduction des déchets biodégradables. L’emploi de l’expression « au plus tard » pour les dates butoirs et la fixation de pourcentages de réduction minimaux démontrent qu’il s’agit bien de prescriptions planchers, et non d’un cadre d’harmonisation maximale. La Cour en déduit logiquement que ces dispositions « fixent une réduction minimum à atteindre par les États membres, et qu’elles ne s’opposent pas à l’adoption par ceux-ci de mesures plus contraignantes ». L’État membre conserve ainsi une latitude substantielle pour déterminer les moyens et le niveau de protection qu’il juge appropriés, pourvu qu’il respecte les objectifs minimaux fixés par le législateur communautaire.
B. La validation des diverses modalités de renforcement de la protection
Forte de ce principe, la Cour examine successivement les quatre aspects par lesquels la réglementation allemande se montrait plus stricte que la directive. Premièrement, elle validait des seuils de teneur en matière organique beaucoup plus bas, même si cela impliquait un traitement poussé des déchets par incinération ou par voie mécano-biologique. Deuxièmement, elle imposait des délais de mise en conformité plus courts que ceux prévus par la directive. Troisièmement, elle étendait son champ d’application au-delà des seuls déchets biodégradables pour inclure toutes les substances organiques. Quatrièmement, elle visait non seulement les déchets municipaux, mais aussi des déchets assimilés, tels que les boues d’épuration ou les déchets de chantier.
Pour chacun de ces points, la Cour estime que la mesure nationale poursuit les mêmes objectifs que la directive, à savoir « prévenir ou à réduire autant que possible les effets négatifs de la mise en décharge des déchets sur l’environnement ». En allant plus loin que le texte communautaire, la réglementation nationale ne fait qu’user de la faculté offerte par l’article 176 du traité. Elle constitue une « mesure de protection renforcée » parfaitement compatible avec l’économie générale de la directive. L’ensemble de ces durcissements, pris collectivement, ne contrevient donc pas au droit communautaire.
Après avoir confirmé la légitimité de ces mesures nationales plus exigeantes, la Cour se prononce sur l’étendue du contrôle juridictionnel applicable à de telles normes.
II. Une délimitation restrictive du contrôle de proportionnalité
L’apport principal de l’arrêt réside dans la distinction opérée par la Cour pour l’application du principe de proportionnalité, conduisant à l’exclure pour les mesures excédant les exigences minimales (A). Cette solution confère aux États une autonomie nationale significative, qui demeure néanmoins encadrée (B).
A. L’exclusion du principe de proportionnalité pour les mesures excédant les exigences minimales
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la conformité de la réglementation nationale, dans son ensemble, avec le principe de proportionnalité. La Cour de justice y répond par une distinction subtile. Elle énonce que, lorsqu’un État membre adopte des mesures visant à assurer la simple exécution des exigences minimales d’une directive, ces mesures doivent être appropriées et nécessaires, et sont donc soumises au contrôle de proportionnalité. Dans cette configuration, l’État agit en quelque sorte comme un agent d’exécution du droit communautaire.
En revanche, la situation est différente lorsque l’État membre décide d’aller au-delà de ces exigences minimales en vertu de l’article 176 du traité. Ce faisant, il n’exerce plus une compétence déléguée par l’Union, mais sa propre compétence en matière de protection de l’environnement. Dans ce contexte, la Cour juge que « le principe communautaire de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer en ce qui concerne les mesures nationales de protection renforcées ». Le contrôle de la proportionnalité de la mesure par le juge communautaire est donc écarté pour la part de la réglementation qui excède le standard minimum européen, car le choix du niveau de protection à atteindre relève de l’appréciation de l’État membre.
B. La portée de la solution : une autonomie nationale encadrée
Cette décision a une portée considérable. Elle conforte la souveraineté des États membres dans un domaine de compétence partagée, en leur permettant de mettre en œuvre des politiques environnementales ambitieuses sans craindre une censure fondée sur un principe général du droit communautaire dont l’application aurait pu freiner leur zèle. Elle reconnaît que le choix d’un niveau de protection très élevé, même s’il engendre des contraintes économiques importantes pour les opérateurs, relève d’une décision politique nationale qui n’a pas à être soumise à un contrôle d’opportunité par le juge de l’Union.
Cependant, cette autonomie n’est pas absolue. La Cour prend soin de préciser que son raisonnement ne vaut que « pour autant que d’autres dispositions du traité ne soient pas impliquées ». Ainsi, une mesure de protection renforcée, bien qu’échappant au contrôle de proportionnalité au sens strict, doit toujours être compatible avec les règles fondamentales du traité, notamment celles relatives à la libre circulation des marchandises. Une mesure nationale ne saurait, sous couvert de protection environnementale, constituer une entrave déguisée au commerce entre les États membres. De plus, l’obligation de notification de ces mesures à la Commission, prévue par l’article 176, demeure un garde-fou essentiel permettant un contrôle a priori de leur compatibilité avec le droit de l’Union.