Par un arrêt en date du 14 avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en deuxième chambre, a apporté des clarifications essentielles en matière de classement tarifaire des marchandises et de la validité des renseignements tarifaires contraignants. En l’espèce, deux sociétés, l’une fabricant et l’autre fournisseur de services de télévision, importaient des modules récepteurs de télévision par satellite dotés d’une fonction d’enregistrement sur disque dur. Les autorités douanières nationales avaient classé ces appareils dans la sous-position des « appareils d’enregistrement ou de reproduction vidéophoniques », soumise à des droits de douane. Les sociétés importatrices contestaient ce classement, arguant que les produits relevaient de la sous-position des « appareils récepteurs de télévision », exemptée de droits. Une des sociétés se prévalait en outre d’un renseignement tarifaire contraignant favorable, que les autorités douanières estimaient caduc à la suite d’une modification annuelle de la nomenclature douanière. Saisie à titre préjudiciel par la juridiction britannique, la Cour était ainsi amenée à se prononcer sur la méthode de détermination du classement d’un appareil à fonctions multiples et sur la portée juridique des notes explicatives de la nomenclature combinée. Elle devait également statuer sur les conditions de cessation de validité d’un renseignement tarifaire contraignant et sur la possibilité pour un opérateur d’invoquer le principe de confiance légitime pour en prolonger les effets. La Cour de justice a jugé que la fonction principale de réception télévisuelle déterminait le classement de l’appareil, écartant des notes explicatives contraires, et a précisé le régime de caducité des renseignements tarifaires sans retenir la confiance légitime. Cette décision clarifie ainsi la méthode de classement des produits complexes (I) tout en précisant le régime juridique applicable à la caducité des renseignements tarifaires contraignants (II).
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I. La consécration de la fonction principale comme critère déterminant du classement tarifaire
L’arrêt commenté offre une illustration de la méthode de classement des appareils multifonctionnels en se fondant sur la recherche de leur fonction principale, appréciée au regard de leurs caractéristiques objectives (A). Ce faisant, la Cour rappelle et applique la hiérarchie des normes interprétatives en droit douanier, qui conduit à écarter les notes explicatives de la nomenclature combinée lorsqu’elles entrent en conflit avec le libellé des positions tarifaires (B).
A. La détermination de la fonction principale au regard de la destination inhérente du produit
Face à un appareil assurant à la fois une fonction de réception de signaux télévisuels et une fonction d’enregistrement, le classement dépend de celle qui lui confère son caractère essentiel. La Cour applique la note 3 de la section XVI de la nomenclature combinée, qui impose de classer les machines à fonctions multiples « suivant la fonction principale qui caractérise l’ensemble ». Pour identifier cette fonction principale, la Cour retient comme critère décisif les « caractéristiques et propriétés objectives » du produit. Elle considère que la destination du produit peut constituer un tel critère, à la condition qu’elle soit « inhérente audit produit ».
Afin de déterminer cette destination inhérente, le juge de l’Union se place du point de vue de l’utilisateur final. Il relève que le consommateur acquiert l’appareil principalement pour « accéder aux programmes de télévision proposés », la faculté d’enregistrement n’étant qu’un « service supplémentaire ». La Cour s’appuie sur les contraintes techniques de l’appareil pour conforter son analyse, notant que la fonction d’enregistrement est entièrement dépendante de la fonction de réception, alors que l’inverse n’est pas vrai. Elle en déduit que « le module […] est principalement destiné à la réception des signaux de télévision et que cette fonction est inhérente à cet appareil. Elle constitue donc sa fonction principale, la fonction d’enregistrement n’étant que secondaire ». Cette approche pragmatique, fondée sur l’usage et la conception du produit, permet de trancher le conflit de classement en faveur de la position 8528, relative aux appareils récepteurs de télévision.
B. La valeur juridique subordonnée des notes explicatives de la nomenclature combinée
La solution adoptée par la Cour la conduit à prendre directement position sur la valeur des notes explicatives de la nomenclature combinée. Celles-ci prévoyaient explicitement que les modules séparés munis d’un dispositif d’enregistrement devaient être classés sous la position 8521, en tant qu’appareils d’enregistrement. Or, cette interprétation contredisait celle issue de l’analyse de la fonction principale. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les notes explicatives, qu’elles émanent de l’Organisation mondiale des douanes pour le Système harmonisé ou de la Commission pour la nomenclature combinée, « contribuent de façon importante à l’interprétation de la portée des différentes positions, sans toutefois avoir force obligatoire de droit ».
Leur portée est donc subordonnée au respect des textes de rang supérieur, à savoir le libellé des positions de la nomenclature combinée et les notes de sections ou de chapitres. Dès lors que les notes explicatives de la nomenclature combinée s’avèrent contraires à ces dispositions, elles « doivent être écartées ». En l’espèce, en privilégiant une fonction secondaire au détriment de la fonction principale, la note explicative de la Commission modifiait la portée de la position tarifaire telle qu’elle résulte des règles générales d’interprétation. La Cour confirme donc la primauté du classement découlant de l’analyse fonctionnelle sur l’interprétation administrative fournie par la Commission, assurant ainsi la cohérence du système de classement.
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Après avoir résolu la question du classement tarifaire, la Cour se penche sur les questions relatives à la validité temporelle des renseignements fournis aux opérateurs économiques, qui touchent à la sécurité juridique de leurs opérations d’importation.
II. Le régime strict de la caducité du renseignement tarifaire contraignant
L’arrêt précise les conditions dans lesquelles un renseignement tarifaire contraignant (RTC) perd sa validité. Il confirme que la modification annuelle de la nomenclature combinée entraîne une caducité de plein droit du RTC devenu non conforme (A), sans que l’opérateur puisse utilement invoquer le principe de confiance légitime pour obtenir un délai de grâce (B).
A. L’invalidation automatique du renseignement par l’effet d’un règlement modificatif
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur le point de savoir si un règlement annuel de mise à jour de la nomenclature combinée constituait un « règlement » au sens de l’article 12, paragraphe 5, sous a), i), du code des douanes, susceptible de rendre un RTC caduc. La Cour répond par l’affirmative de manière non équivoque. Elle juge que cette disposition vise « tout règlement affectant ou déterminant le classement des marchandises dans la [nomenclature combinée] ». Un règlement annuel qui modifie ou remplace les codes tarifaires entre donc pleinement dans ce champ d’application.
Par conséquent, un RTC faisant référence à une sous-position qui est supprimée ou dont le libellé est altéré par le nouveau règlement « n’était plus conforme à la [nomenclature combinée] et avait donc automatiquement cessé d’être valable » à compter de la date d’entrée en vigueur dudit règlement. Cette caducité est un effet direct de la loi, qui ne nécessite pas une notification individuelle à chaque titulaire de RTC. La Cour consacre une approche rigoureuse, où la validité du RTC est intrinsèquement liée à la conformité permanente de son contenu avec le droit douanier en vigueur.
B. L’exclusion du principe de confiance légitime pour l’octroi d’un délai transitoire
Le dernier point traité par la Cour concerne la possibilité pour un opérateur économique de continuer à se prévaloir d’un RTC invalidé pendant une certaine période. L’article 12, paragraphe 6, du code des douanes permet au législateur de prévoir un tel délai de grâce dans le règlement modificatif lui-même. En l’absence d’une telle disposition expresse, l’opérateur peut-il invoquer le principe de protection de la confiance légitime pour bénéficier d’un délai transitoire ? La Cour répond par la négative.
Elle fonde son raisonnement sur le caractère prévisible des modifications apportées à la nomenclature combinée. L’article 12 du règlement de base nº 2658/87 prévoit une publication annuelle du règlement de mise à jour, applicable au 1er janvier de l’année suivante. Pour la Cour, « l’éventualité d’une modification du libellé ou du contenu des positions et des sous-positions […] et du risque subséquent de perte de validité des [RTC] est donc prévisible et connue des opérateurs économiques diligents ». Cette prévisibilité fait obstacle à la naissance d’une confiance légitime dans la pérennité du RTC au-delà des modifications législatives. La Cour fait ainsi peser sur les opérateurs une obligation de vigilance, les incitant à anticiper les changements réglementaires annuels pour sécuriser leurs opérations commerciales.