Cour de justice de l’Union européenne, le 14 décembre 1995, n°C-17/95

Par un arrêt du 14 décembre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conséquences du non-respect par un État membre des délais de transposition de plusieurs directives. En l’espèce, la Commission européenne avait engagé une procédure en manquement à l’encontre d’un État, lui reprochant de ne pas avoir adopté les dispositions nationales nécessaires à la mise en conformité de son ordre juridique avec trois actes du droit communautaire dérivé relatifs à la police sanitaire et à la protection des animaux. La procédure a été introduite conformément à l’article 169 du traité instituant la Communauté européenne. Postérieurement à l’introduction du recours, l’État membre a procédé à la transposition de l’une des trois directives, conduisant la Commission à se désister partiellement de sa demande. Concernant les deux autres directives, l’État défendeur n’a pas contesté le retard, mais a fait valoir que les textes de transposition étaient en cours d’élaboration. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si le fait pour un État membre d’engager le processus de transposition après l’expiration du délai imparti pouvait suffire à éteindre le manquement qui lui était reproché. La Cour a répondu par la négative, en déclarant que le manquement était constitué du seul fait du non-respect des délais fixés par les directives. La solution réaffirme ainsi avec fermeté le caractère objectif du manquement d’État en matière de transposition (I), avant de tirer les conséquences logiques de cette constatation sur le plan juridictionnel (II).

I. La caractérisation objective du manquement à l’obligation de transposition

Le raisonnement de la Cour repose sur une application stricte des obligations découlant du traité, rappelant que l’expiration du délai est le seul fait générateur du manquement (A) et que les justifications fondées sur des considérations de droit interne sont, en la matière, systématiquement jugées inopérantes (B).

A. L’expiration du délai comme fait générateur du manquement

L’obligation de transposer une directive dans l’ordre juridique interne constitue pour les États membres un devoir fondamental qui assure l’effectivité et l’application uniforme du droit de l’Union. Cette obligation est double : elle impose non seulement d’adopter des mesures de transposition, mais aussi de le faire dans le respect des échéances fixées par le législateur de l’Union. Dans la présente affaire, les textes en cause prévoyaient des délais précis, à savoir « le 31 décembre 1992 » pour l’une des directives et « le 1er janvier 1993 » pour les deux autres.

La Cour de justice constate le manquement en se fondant sur une approche purement objective. Le seul fait que l’État membre n’ait pas adopté les dispositions requises à la date butoir suffit à caractériser la violation de ses obligations. Le jugement est lapidaire sur ce point, énonçant que « la transposition des directives 91/628 et 92/35 n’ayant pas été réalisée dans le délai fixé par celles-ci, il y a lieu de considérer comme fondé le manquement invoqué à cet égard par la Commission. » Cette jurisprudence, constante, refuse de prendre en considération les raisons du retard, qu’elles soient d’ordre politique, administratif ou technique. Le manquement est constitué *ipso facto* par l’écoulement du temps, garantissant ainsi la prévisibilité et la sécurité juridique pour l’ensemble des sujets de droit au sein de l’Union.

B. L’inefficacité des justifications avancées par l’État membre

Face à l’accusation de la Commission, l’État défendeur n’a pas contesté la matérialité des faits. Il a toutefois tenté d’atténuer sa responsabilité en soulignant « que les règlements qui doivent les transposer sont en voie d’élaboration. » Cet argument, qui consiste à invoquer des difficultés ou des processus internes pour justifier un retard, est un moyen de défense classique des États membres dans le cadre du contentieux en manquement. Cependant, il est tout aussi classiquement rejeté par la Cour de justice.

En effet, la Cour rappelle de manière constante qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et des délais prescrits par une directive. Admettre une telle justification reviendrait à permettre à chaque État de moduler l’application du droit de l’Union en fonction de ses propres contingences, ce qui porterait une atteinte fatale au principe de primauté et d’uniformité. La Cour ne s’attache qu’à la situation objective de l’État à la date d’expiration du délai de transposition. Les mesures prises ultérieurement, si elles sont nécessaires pour mettre fin à l’infraction, ne sauraient effacer rétroactivement le manquement initial.

II. Les conséquences juridictionnelles du manquement constaté

Une fois le manquement établi dans son principe, la Cour en tire deux conséquences procédurales inéluctables. Elle procède d’abord à la simple constatation déclaratoire du manquement (A), puis statue sur les dépens en sanctionnant l’attitude de l’État défaillant (B).

A. La simple constatation du manquement par la Cour

L’arrêt rendu en vertu de l’ancien article 169 du traité CE a une nature purement déclaratoire. La Cour « déclare et arrête » que l’État a manqué à ses obligations. Le dispositif de la décision se limite à constater formellement la violation du droit de l’Union, sans prononcer d’astreinte ni de sanction pécuniaire à ce stade. L’objectif premier de cette procédure est d’établir de manière incontestable l’existence d’une infraction afin d’amener l’État concerné à y mettre fin.

Cette déclaration emporte néanmoins des effets juridiques contraignants. En vertu de l’article 171 du traité CE (devenu l’article 260 TFUE), l’État dont le manquement a été constaté est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. S’il ne se conforme pas à l’arrêt dans le délai imparti par la Commission, celle-ci peut saisir à nouveau la Cour en vue, cette fois, de lui voir infliger des sanctions financières. Le jugement en manquement n’est donc pas une simple déclaration de principe ; il constitue une injonction formelle et le préalable indispensable à une éventuelle procédure de sanction.

B. La condamnation aux dépens comme sanction procédurale

La question des dépens illustre la rigueur de l’analyse de la Cour. En principe, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. En l’espèce, l’État membre a succombé pour l’essentiel de la demande. La particularité du dossier tenait cependant au désistement partiel de la Commission, justifié par l’adoption tardive par l’État d’une des mesures de transposition. La Cour devait donc déterminer si ce désistement devait entraîner un partage des dépens.

La réponse est négative. La Cour estime que « le désistement partiel de la Commission est justifié par l’attitude de la République française qui a, par ailleurs, succombé pour le surplus. » Par cette formule, elle souligne que si le recours n’avait pas été introduit, l’État n’aurait peut-être pas agi. La mise en conformité n’est intervenue que sous la contrainte du contentieux. Dès lors, l’introduction du recours était pleinement justifiée au moment de son dépôt, et c’est bien le comportement de l’État qui est à l’origine de l’ensemble de la procédure. En le condamnant à la totalité des dépens, la Cour adresse un signal clair : une régularisation tardive ne permet pas d’échapper aux conséquences financières d’un contentieux que la seule diligence de l’État aurait permis d’éviter.

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