Par un arrêt en date du 14 décembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. La Cour a examiné la compatibilité d’une réglementation nationale relative aux emballages de boissons avec les principes de la libre circulation des marchandises. Cette réglementation instaurait un système complexe visant à promouvoir les emballages réutilisables, en prévoyant, sous certaines conditions, l’application d’une consigne obligatoire sur les emballages à usage unique. En l’espèce, un État membre avait adopté un décret prévoyant que si la proportion nationale d’emballages réutilisables pour certaines boissons, dont les eaux minérales, tombait en dessous d’un seuil de 72 %, un système de consigne et de reprise individuelle deviendrait obligatoire pour les emballages à usage unique de ces boissons. La Commission, estimant que cette mesure entravait les échanges intracommunautaires, notamment pour les producteurs d’eaux minérales d’autres États membres contraints par le droit communautaire de conditionner leurs produits à la source, a engagé une procédure précontentieuse. Face au maintien de la réglementation par l’État membre, qui la justifiait par des impératifs de protection de l’environnement, la Commission a saisi la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si une telle réglementation, conçue pour des motifs écologiques, constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l’article 28 du Traité CE et, dans l’affirmative, si elle pouvait être justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi. La Cour a conclu que l’État membre avait manqué à ses obligations, jugeant que si la protection de l’environnement pouvait justifier une entrave, les modalités concrètes du système, en particulier l’insuffisance du délai d’adaptation pour les opérateurs, le rendaient disproportionné.
I. LA CARACTÉRISATION DU SYSTÈME NATIONAL COMME ENTRAVE À LA LIBRE CIRCULATION
La Cour de justice a d’abord écarté l’argument selon lequel la directive sur les emballages créait un cadre d’harmonisation complète excluant l’application du Traité, pour ensuite constater que la réglementation nationale constituait bien une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative.
A. L’inapplicabilité de la théorie de l’harmonisation complète
L’État membre mis en cause soutenait que la réglementation contestée ne devait être appréciée qu’au regard de la directive 94/62/CE, qui aurait procédé à une harmonisation exhaustive en matière de gestion des emballages, excluant ainsi un contrôle au titre de l’article 28 CE. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur une analyse littérale et téléologique de la directive. Elle relève que l’article 5 de la directive 94/62 se limite à permettre aux États membres de favoriser des systèmes de réutilisation « conformément au traité ». Cette mention démontre que le législateur communautaire n’a pas entendu réglementer de manière exhaustive l’organisation de tels systèmes, laissant aux États membres une marge de manœuvre qui demeure soumise au respect des règles fondamentales du droit primaire. La Cour précise que la directive ne fixe pas de critères précis pour l’organisation de ces systèmes, à la différence d’autres aspects comme le marquage ou la composition des emballages. Elle conclut donc que l’harmonisation n’est pas complète dans ce domaine, affirmant que « de tels systèmes peuvent, par conséquent, être appréciés à l’aune des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises ».
B. L’identification d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative
La Cour constate ensuite que le système litigieux, bien qu’applicable indistinctement à tous les opérateurs sur le territoire national, affecte différemment la commercialisation des produits nationaux et celle des produits importés. Le passage d’un système de collecte globale à un système de consigne individuelle engendre des coûts supplémentaires pour tous les producteurs utilisant des emballages à usage unique. Or, la Cour s’appuie sur des données factuelles montrant que les producteurs d’eaux minérales d’autres États membres recourent bien plus fréquemment aux emballages à usage unique que leurs homologues allemands. La contrainte de conditionnement à la source, imposée par la directive 80/777/CEE sur les eaux minérales naturelles, rend l’utilisation d’emballages réutilisables particulièrement onéreuse pour les producteurs éloignés, qui devraient supporter les frais de transport des emballages vides sur de longues distances. Le système de consigne obligatoire pénalise donc davantage les importateurs. En conséquence, la Cour juge que le dispositif « est de nature à entraver la commercialisation sur le marché allemand d’eaux minérales naturelles importées d’autres États membres ».
II. LE CONTRÔLE DE PROPORTIONNALITÉ DE LA JUSTIFICATION ENVIRONNEMENTALE
Après avoir qualifié la mesure d’entrave, la Cour examine sa possible justification par la protection de l’environnement, qu’elle admet sur le principe, avant de la censurer pour son caractère disproportionné dans sa mise en œuvre.
A. L’admission de principe de la justification par la protection de l’environnement
La Cour reconnaît sans difficulté que la protection de l’environnement constitue une exigence impérative pouvant justifier des mesures nationales restrictives de la libre circulation des marchandises. Elle admet que les objectifs poursuivis par l’État membre, tels que la réduction du volume global des déchets et l’amélioration du tri et de la valorisation, sont légitimes. La Cour estime que le mécanisme de la consigne est, en soi, apte à réaliser ces objectifs. Elle énonce que « l’instauration d’un système de consignation et de reprise individuelle est de nature à augmenter le taux de retour des emballages vides et conduit à un tri sélectif des déchets d’emballages, contribuant ainsi à améliorer la valorisation de ces derniers ». De plus, en incitant les consommateurs à rapporter les emballages, le système contribue également à réduire l’abandon de déchets dans la nature. Le principe même de la mesure est donc jugé cohérent avec l’objectif de protection environnementale invoqué.
B. La sanction d’une modalité d’application jugée disproportionnée
Cependant, la Cour conclut que la réglementation ne respecte pas le principe de proportionnalité, car ses modalités d’application vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. Le défaut majeur identifié par la Cour réside dans l’insuffisance du délai de transition accordé aux opérateurs économiques pour s’adapter au changement de système. Le décret prévoit un délai de seulement six mois entre l’annonce de l’activation du système de consigne et son entrée en vigueur effective. Pour la Cour, ce délai est manifestement trop court pour permettre aux producteurs de modifier leurs chaînes de production, leurs étiquetages et de mettre en place un système de reprise des emballages fonctionnel sur l’ensemble du territoire. L’incertitude quant au déclenchement effectif du système, qui dépendait de l’évolution de statistiques annuelles, empêchait les entreprises de prendre des mesures préparatoires suffisantes en amont. La Cour juge ainsi que « le délai de six mois […] n’est pas suffisant pour permettre aux producteurs d’eaux minérales naturelles d’adapter leur production et leur gestion des déchets d’emballages à usage unique au nouveau système, étant donné que celui-ci doit d’emblée être mis en place ». C’est donc cette modalité pratique, et non le principe même de la politique environnementale, qui conduit la Cour à constater le manquement.