Par un arrêt du 14 décembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. En l’espèce, la législation de cet État subordonnait l’obtention d’un agrément en qualité d’organisme d’inspection des chaudières à une condition d’établissement sur son territoire national. La Commission, estimant cette exigence contraire au principe de libre prestation des services, a saisi la Cour afin de faire constater la violation du droit communautaire. La controverse portait donc sur la compatibilité d’une telle mesure nationale avec les dispositions de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne. Il s’agissait de déterminer si l’obligation pour un prestataire de services de disposer d’un siège ou d’un établissement stable dans l’État membre de destination constituait une restriction prohibée à la libre prestation des services. La Cour de justice juge que « en prévoyant […] que seuls les demandeurs établis en Autriche peuvent être agréés comme organismes d’inspection des chaudières, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 ce ». La solution consacre ainsi une conception stricte de la libre prestation des services, qui exclut par principe toute exigence d’établissement (I), tout en rappelant implicitement la nécessité de recourir à des mécanismes de contrôle moins restrictifs et fondés sur la reconnaissance mutuelle (II).
I. La condamnation d’une restriction frontale à la libre prestation des services
La Cour de justice censure la législation nationale en ce qu’elle constitue une restriction caractérisée à la libre prestation des services (A), une telle mesure ne pouvant être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général en raison de son caractère absolu et disproportionné (B).
A. La négation du principe même de la prestation de services
La libre prestation des services, garantie par l’article 49 du traité CE, vise spécifiquement à permettre à un opérateur économique, établi dans un État membre, de fournir des services de manière temporaire dans un autre État membre sans avoir à s’y établir. Cette liberté fondamentale a pour corollaire l’interdiction pour l’État de destination de subordonner la fourniture d’un service à l’obligation de disposer d’une infrastructure permanente sur son territoire. En l’espèce, l’exigence d’un siège ou d’un établissement stable pour les organismes d’inspection des chaudières annule purement et simplement le bénéfice de cette liberté pour les prestataires établis dans d’autres États membres.
Une telle condition constitue la forme la plus directe de restriction, puisqu’elle empêche les entreprises non établies d’accéder au marché national. Elle revient en effet à traiter différemment les opérateurs économiques selon leur lieu d’établissement, créant ainsi une discrimination à rebours du marché unique. La Cour constate logiquement que cette obligation d’établissement anéantit l’effet utile de l’article 49 du traité CE, qui perdrait toute sa substance si les États membres pouvaient imposer une présence permanente pour l’exercice d’une activité de service ponctuelle ou temporaire. L’arrêt rappelle ainsi que la liberté de fournir des services est par nature distincte de la liberté d’établissement.
B. Le caractère injustifiable de l’exigence d’établissement
Si la jurisprudence admet que des restrictions à la libre prestation des services peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la sécurité des personnes ou la protection de l’environnement, ces mesures doivent respecter des conditions strictes. Elles doivent être appliquées de manière non discriminatoire, être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Or, une obligation générale d’établissement sur le territoire national, comme celle imposée par la loi en cause, est par essence disproportionnée.
Elle instaure en effet une barrière absolue à l’entrée du marché pour tout prestataire étranger, sans examiner si des mesures moins contraignantes permettraient d’atteindre le même niveau de protection. La Cour considère qu’une telle exigence, en raison de son caractère radical, ne saurait être regardée comme une mesure nécessaire et proportionnée à l’objectif de sécurité des équipements sous pression. D’autres moyens, tels que la vérification des qualifications professionnelles du prestataire, l’exigence d’une assurance ou des contrôles spécifiques, pourraient permettre de garantir la sécurité publique de manière beaucoup moins attentatoire aux libertés fondamentales garanties par le traité.
En censurant cette mesure radicale, la Cour réaffirme que la recherche d’objectifs légitimes ne saurait justifier n’importe quelle entrave au marché intérieur. Elle impose à l’État membre de privilégier des instruments de contrôle respectueux des principes de nécessité et de proportionnalité.
II. La primauté des contrôles par l’État d’origine et la reconnaissance mutuelle
La décision de la Cour, en invalidant l’obligation d’établissement, conforte implicitement le principe de reconnaissance mutuelle des garanties offertes par la législation de l’État d’origine (A). Elle rappelle par conséquent que les contrôles opérés par l’État de destination doivent rester subsidiaires et proportionnés (B).
A. Le principe de confiance mutuelle dans les réglementations nationales
Le fonctionnement du marché intérieur repose sur le principe de confiance mutuelle, selon lequel un État membre doit en principe reconnaître les contrôles et les exigences auxquels un prestataire de services est déjà soumis dans son État d’établissement. Si un opérateur est légalement autorisé à exercer une activité dans son pays d’origine, l’État de destination doit présumer que les qualifications et les garanties offertes sont équivalentes aux siennes. Il ne peut donc exiger du prestataire qu’il satisfasse intégralement à toutes ses propres conditions comme s’il n’était soumis à aucune réglementation.
Dans le cas présent, l’obligation d’établissement imposée par la législation nationale ignorait totalement ce principe. Plutôt que de vérifier si les organismes d’inspection établis dans d’autres États membres offraient des garanties équivalentes en matière de compétence technique et de fiabilité, la réglementation excluait d’office leur intervention. Cette approche méconnaît l’obligation pour l’État de destination de prendre en compte les exigences déjà satisfaites par le prestataire dans son État d’origine avant de lui imposer des contraintes supplémentaires.
B. La subsidiarité et la proportionnalité des contrôles de l’État de destination
L’invalidation de l’exigence d’établissement ne signifie pas que l’État de destination est privé de tout moyen de contrôle sur les services fournis sur son territoire, surtout lorsque des impératifs de sécurité sont en jeu. Il conserve la faculté d’imposer des règles justifiées par l’intérêt général, à condition que celles-ci soient non discriminatoires et nécessaires. Cependant, ces règles ne doivent pas faire double emploi avec les contrôles déjà effectués dans l’État d’origine.
Ainsi, pour une activité technique comme l’inspection de chaudières, l’État de destination pourrait légitimement exiger la preuve de qualifications spécifiques, la souscription d’une assurance de responsabilité professionnelle adaptée ou le respect de normes techniques particulières. De tels contrôles seraient ciblés, proportionnés à l’objectif de sécurité et bien moins restrictifs qu’une obligation d’établissement. La solution rendue par la Cour de justice invite donc les États membres à substituer à des interdictions générales des mécanismes de vérification au cas par cas, qui concilient plus efficacement la protection de l’intérêt général et les exigences du marché intérieur.