Par un arrêt rendu par sa troisième chambre, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le champ d’application de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux fournitures de prothèses dentaires. En l’espèce, une entreprise établie dans un État membre agissait en tant qu’intermédiaire pour des dentistes. Cette société recevait des commandes de prothèses, en confiait la fabrication à des laboratoires spécialisés, puis livrait les produits finis aux dentistes sans employer elle-même de personnel qualifié comme mécanicien-dentiste ou dentiste. La législation nationale de cet État membre avait été modifiée pour exonérer de taxe l’ensemble des fournitures de prothèses dentaires, indépendamment de la qualité professionnelle du fournisseur.
L’administration fiscale a procédé à un redressement, contestant le régime de taxe appliqué par l’entreprise. Saisie du litige, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de l’État membre concerné a nourri des doutes quant à la compatibilité de sa législation nationale avec la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Elle a donc sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de la directive. La question posée visait essentiellement à déterminer si l’exonération de taxe prévue pour les fournitures de prothèses dentaires par les dentistes et les mécaniciens-dentistes pouvait s’étendre aux livraisons effectuées par un intermédiaire ne possédant pas l’une de ces qualités.
À cette question, la Cour répond par la négative, affirmant que l’exonération est conditionnée par la qualité professionnelle du fournisseur. Elle énonce que « l’article 13, A, paragraphe 1, sous e), de la sixième directive […] doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas aux livraisons de prothèses dentaires effectuées par un intermédiaire tel que celui en cause au principal qui n’a pas la qualité de dentiste ou de mécanicien-dentiste, mais qui a acquis de telles prothèses auprès d’un mécanicien-dentiste ». Cette solution réaffirme une application rigoureuse des conditions d’exonération (I), tout en garantissant les droits que les opérateurs économiques tirent du système commun de taxe (II).
I. Le rappel d’une interprétation stricte des exonérations en matière de TVA
La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture littérale des dispositions de la directive, consacrant la prééminence du critère personnel de l’exonération (A) et écartant par là même les arguments fondés sur les objectifs de la norme ou la neutralité fiscale (B).
A. La primauté du critère personnel sur la nature de la prestation
La Cour rappelle avec constance que les exonérations constituent des dérogations au principe général d’assujettissement à la taxe et doivent, à ce titre, être interprétées strictement. Elle souligne que l’article 13, A, de la sixième directive n’exonère pas des activités d’intérêt général de manière globale, mais seulement « celles qui y sont énumérées et décrites de manière très détaillée ». Or, la disposition pertinente en l’espèce vise spécifiquement « les fournitures de prothèses dentaires effectuées par les dentistes et les mécaniciens-dentistes ».
Le raisonnement de la Cour s’attache à la lettre du texte pour constater que l’exonération est définie non seulement par la nature des biens livrés, mais aussi et surtout par la qualité de celui qui effectue la livraison. Cette restriction, selon la Cour, ressort explicitement de l’ensemble des versions linguistiques de la directive. En conséquence, une interprétation qui étendrait le bénéfice de cette disposition à un intermédiaire non qualifié serait contraire au texte. Il résulte clairement du libellé de la disposition que seules les livraisons effectuées par les membres de ces deux professions déterminées sont visées, ce qui exclut les opérations d’un simple intermédiaire commercial.
B. Le rejet des arguments téléologiques et du principe de neutralité fiscale
Le gouvernement de l’État membre concerné avançait que l’objectif de la disposition était d’éviter un renchérissement des soins de santé, ce qui justifierait d’exonérer également les intermédiaires pour ne pas pénaliser le patient final. La Cour de justice écarte cet argument en jugeant que, lorsque les termes de la disposition sont dépourvus d’ambiguïté, son objectif ne saurait justifier une interprétation extensive qui en modifierait la portée. Elle affirme que « ni les objectifs poursuivis par ladite exonération ni le principe de neutralité fiscale ne sauraient imposer une interprétation extensive » de la directive sur ce point.
De même, le principe de neutralité fiscale, qui s’oppose à ce que des opérateurs économiques réalisant les mêmes opérations soient traités différemment en matière de taxe, ne peut être invoqué pour contourner une condition explicitement posée par le législateur. La Cour estime que les termes « dentistes » et « mécaniciens-dentistes » ne sauraient être compris comme incluant des intermédiaires qui ne possèdent précisément pas ces qualités, sous peine de priver la condition relative à la qualité du fournisseur de tout effet utile. La rigueur de l’interprétation textuelle l’emporte donc sur toute autre considération.
II. La portée de la solution : la confirmation du droit à déduction de l’intermédiaire
En excluant l’opération du champ de l’exonération, la Cour la replace dans le régime général de la taxe (A), ce qui a pour corollaire de garantir le droit à déduction de l’opérateur économique grâce à l’effet direct de la directive (B).
A. La qualification de l’opération en livraison de biens soumise à la taxe
La conséquence directe de l’interprétation stricte retenue par la Cour est que les livraisons de prothèses dentaires effectuées par l’intermédiaire ne bénéficient d’aucune exonération. Elles relèvent donc de la règle générale d’assujettissement à la taxe prévue à l’article 2 de la sixième directive. Cette soumission à la taxe n’est pas nécessairement défavorable à l’opérateur économique, car elle lui ouvre un droit fondamental du système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
En effet, l’article 17 de la directive autorise l’assujetti à déduire de la taxe dont il est redevable celle qui a grevé en amont les biens et les services utilisés pour les besoins de ses opérations taxées. Par conséquent, en qualifiant les livraisons de l’intermédiaire d’opérations taxées, la Cour confirme que ce dernier est en droit de déduire la taxe qu’il a supportée lors de l’acquisition des prothèses auprès des laboratoires ou lors de leur importation. L’équilibre du mécanisme de la taxe est ainsi restauré pour cet opérateur.
B. L’invocabilité directe de la directive pour garantir le droit à déduction
La Cour achève son raisonnement en rappelant une règle fondamentale du droit de l’Union. Une réglementation nationale qui, comme en l’espèce, étend une exonération au-delà des limites fixées par la directive est incompatible avec celle-ci. Dans une telle situation, l’opérateur économique est en droit de se prévaloir directement des dispositions de la directive devant les juridictions nationales pour faire écarter la loi nationale contraire.
La Cour précise ainsi qu’une entreprise « peut se fonder directement sur les dispositions de celle-ci en vue d’obtenir l’assujettissement des livraisons de prothèses dentaires concernées à la TVA et, partant, déduire la TVA en amont relative à de telles livraisons ». Cette solution illustre la portée pratique de l’arrêt : elle offre à l’assujetti une voie de droit pour corriger les effets d’une transposition incorrecte de la directive et pour faire respecter son droit à déduction, qui constitue une pierre angulaire du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. La décision garantit ainsi l’application uniforme du droit de l’Union et la protection des droits des justiciables.