Cour de justice de l’Union européenne, le 14 décembre 2017, n°C-243/16

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 14 décembre 2017 une décision portant sur le droit des sociétés et la protection des créanciers. Ce litige concerne le recouvrement de créances découlant de contrats de travail au sein d’une société anonyme ayant cessé ses activités en raison de pertes financières. Plusieurs anciens salariés ont saisi le tribunal du travail de Barcelone afin d’obtenir le versement d’indemnités et de salaires impayés suite à leur licenciement. L’insolvabilité de l’employeur les a conduits à engager une action incidente en responsabilité contre l’administrateur unique pour manquement à ses obligations légales de dissolution. La jurisprudence de la Cour suprême espagnole interdit toutefois aux juridictions sociales de statuer sur la responsabilité personnelle des dirigeants dans de telles circonstances. Les requérants soutiennent que cette dualité procédurale méconnaît les directives européennes et le principe d’égalité de traitement garanti par la Charte des droits fondamentaux. Le juge de renvoi demande si le droit de l’Union impose aux États membres de permettre l’exercice cumulatif de ces actions devant une instance unique. La Cour répond que les textes invoqués n’exigent pas de règles spécifiques concernant la compétence juridictionnelle ou la responsabilité des administrateurs pour perte de capital. L’étude de cette solution conduit à examiner l’absence de fondement textuel au sein du droit dérivé avant d’analyser la préservation de l’autonomie procédurale nationale.

I. L’absence de fondement textuel au sein du droit dérivé de l’Union

La Cour limite strictement l’application des directives relatives au droit des sociétés à leur objet initial de coordination des garanties minimales de publicité. Elle refuse de consacrer un droit européen à la responsabilité solidaire des dirigeants fondé sur le seul manquement aux obligations de convocation des assemblées.

A. L’inapplicabilité matérielle des dispositions relatives à la publicité et au capital

Les directives visent à coordonner les garanties exigées des sociétés « pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers » par des mesures de publicité. L’arrêt précise que les articles relatifs aux formalités de publicité sont « manifestement dépourvus de lien avec les faits afférents au litige au principal ». La Cour écarte également l’application des règles concernant la réduction du capital souscrit puisqu’aucun processus de ce type n’était engagé dans l’affaire soumise. Les obligations de transparence comptable ou de publication des actes constitutifs ne permettent pas de fonder une action en responsabilité civile contre l’organe d’administration.

B. Le silence des textes sur le régime de responsabilité des administrateurs

L’article 19 de la directive 2012/30 prévoit certes une obligation de convocation de l’assemblée générale en cas de perte grave du capital souscrit par la société. La Cour souligne que cette disposition « ne traite pas de la responsabilité des administrateurs » et n’impose pas d’exigences quant à la compétence des juridictions. Le texte se borne à énoncer l’obligation sans préciser l’organe responsable du déclenchement de la procédure ni les conséquences juridiques d’un éventuel manquement. L’absence de règles harmonisées sur l’indemnisation des créanciers par les dirigeants empêche d’interpréter le droit dérivé comme une source de droits procéduraux spécifiques. Cette absence de contrainte matérielle imposée aux États membres laisse aux législateurs nationaux la pleine maîtrise de l’organisation des compétences de leurs tribunaux.

II. La préservation de l’autonomie procédurale nationale et l’exclusion de la Charte

L’arrêt consacre la liberté des États membres dans l’organisation de leurs voies de recours en l’absence de prescriptions européennes précises sur la responsabilité civile. Cette reconnaissance de la compétence nationale entraîne logiquement l’impossibilité d’invoquer les droits fondamentaux de l’Union pour contester les choix législatifs internes.

A. Le renvoi aux droits internes pour l’organisation des recours

La question des conditions matérielles et procédurales de l’action en responsabilité contre l’administrateur est « régie par les droits nationaux » selon une interprétation constante. Le juge européen considère que les États ne sont pas tenus d’instaurer un forum unique pour traiter les créances salariales et la dette solidaire. La mise en œuvre d’un droit à réparation demeure une prérogative souveraine tant qu’aucune norme de l’Union n’impose de modalités particulières d’engagement de responsabilité. Cette approche respecte l’équilibre entre l’harmonisation minimale du droit des sociétés et le maintien des structures juridictionnelles propres à chaque ordre juridique membre.

B. L’inapplicabilité de la Charte en l’absence de mise en œuvre du droit de l’Union

Les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ne peuvent être invoqués contre une jurisprudence nationale qui ne met pas en œuvre le droit européen. La Cour affirme que la situation litigieuse « ne saurait être appréciée au regard des dispositions de la Charte » car les directives n’imposent aucune obligation spécifique. L’article 51 limite l’application des droits fondamentaux aux mesures étatiques intervenant dans le champ d’application des compétences attribuées à l’Union par les traités. Le refus de la Cour de contrôler la compatibilité de la procédure espagnole confirme que la responsabilité des dirigeants reste un domaine largement autonome.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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