Par un arrêt du 14 décembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction administrative finlandaise, s’est prononcée sur l’interprétation d’une norme technique harmonisée dans le secteur des produits de construction. En l’espèce, une société finlandaise spécialisée dans la fabrication de composants en acier et en aluminium, tels que des systèmes d’ancrage ou des sabots de poteaux destinés à être fixés dans le béton, apposait sur ces produits le marquage « CE » en se fondant sur la norme harmonisée EN 1090-1:2009+A1:2011. L’autorité nationale de sécurité et des produits chimiques lui a toutefois enjoint de cesser cette pratique, au motif que les produits en cause ne relevaient pas du champ d’application de ladite norme, mais potentiellement d’autres spécifications techniques. La société a contesté cette décision devant le tribunal administratif, lequel, constatant des divergences d’interprétation entre les États membres susceptibles d’entraver la libre circulation des marchandises, a interrogé la Cour sur les critères de détermination du champ d’application de la norme en question. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si la norme EN 1090-1:2009+A1:2011 doit être interprétée en ce sens que des produits destinés à être fixés dans le béton avant son durcissement, tels que ceux fabriqués par l’entreprise, relèvent de son champ d’application. À cette question, la Cour répond par l’affirmative, à la condition que ces produits remplissent une fonction structurale. Elle précise ce critère en indiquant que tel est le cas si « leur retrait d’une construction diminuerait immédiatement la résistance de celle-ci ». La solution retenue par la Cour clarifie la méthode d’interprétation des normes harmonisées en la rattachant à la finalité du produit (I), ce qui permet de renforcer la sécurité juridique et la réalisation du marché intérieur pour les produits de construction (II).
I. La définition du champ d’application de la norme par un critère fonctionnel
La Cour de justice établit une méthode d’interprétation claire en rappelant la hiérarchie des sources techniques (A) avant de consacrer un critère matériel fondé sur le rôle essentiel du produit dans la construction (B).
A. La subordination de la norme harmonisée au mandat de normalisation
La Cour rappelle utilement que l’interprétation d’une norme harmonisée ne peut se faire de manière isolée. Elle souligne que, conformément à l’article 17 du règlement n° 305/2011, les normes harmonisées sont élaborées par les organismes européens de normalisation sur la base de mandats émis par la Commission européenne. Par conséquent, « le champ d’application d’une norme harmonisée ne saurait être interprété plus largement que celui du mandat qui en est à la base ». Cette précision ancre l’analyse dans une logique hiérarchique : la norme est un instrument d’exécution du mandat, et son contenu doit rester conforme aux objectifs fixés par ce dernier.
En l’espèce, la norme EN 1090-1:2009+A1:2011 découle du mandat M 120, relatif aux produits de construction métallique. En affirmant cette primauté, la Cour encadre le pouvoir d’interprétation des autorités nationales et des opérateurs économiques. Elle écarte par ailleurs l’influence de documents non contraignants, tels que les guides publiés par des organismes de normalisation, qui ne peuvent lier les juridictions. Cette approche assure que seule la volonté du législateur de l’Union, exprimée à travers le règlement et les mandats de la Commission, constitue la source légitime pour délimiter le champ d’une norme.
B. La consécration du rôle structural comme critère déterminant
Au-delà de la méthode, la Cour fournit une clé de lecture matérielle pour l’application de la norme EN 1090-1:2009+A1:2011. Se référant au texte même de la norme, qui vise les « éléments structuraux », elle en donne une définition pratique et tangible. Selon la Cour, la norme a vocation à s’appliquer « aux produits de construction qui ont une fonction structurale, c’est-à-dire aux produits dont le retrait d’une construction diminuerait immédiatement la résistance de celle-ci ». Ce critère physique et fonctionnel est essentiel car il dépasse les simples dénominations commerciales ou les descriptions formelles des produits.
L’analyse doit donc porter sur le rôle concret de l’élément au sein de l’ouvrage. Si sa suppression affecte la stabilité et la capacité portante de la structure, il est qualifié de structural et relève de la norme. Cette approche pragmatique offre un outil d’évaluation directement applicable par les fabricants, les organismes de contrôle et les juridictions nationales. Elle permet de résoudre les ambiguïtés nées du caractère général des termes employés dans les spécifications techniques et d’unifier l’appréciation des produits concernés.
II. La portée de l’interprétation pour le marché intérieur des produits de construction
En définissant un critère d’application clair, la Cour renforce la sécurité juridique pour les acteurs économiques (A) et contribue directement à l’objectif de libre circulation des marchandises au sein de l’Union (B).
A. Le renforcement de la sécurité juridique des opérateurs
La décision commentée apporte une clarification bienvenue dans un domaine technique complexe, où la coexistence de multiples normes et évaluations techniques peut engendrer de l’incertitude. Le litige au principal illustrait parfaitement ce risque, une autorité nationale retenant une interprétation restrictive qui s’opposait à celle d’un fabricant, et ce dans un contexte de pratiques divergentes entre États membres. En fournissant un critère unique et matériel, la Cour réduit la marge d’appréciation subjective des autorités nationales de surveillance du marché.
Désormais, un opérateur économique peut déterminer avec une plus grande certitude si son produit doit porter le marquage « CE » au titre de la norme EN 1090-1. Il lui suffit de démontrer la fonction structurale du produit selon le test concret défini par la Cour. Cette prévisibilité est fondamentale, car elle permet aux entreprises d’investir, de produire et de commercialiser leurs produits en se conformant à un standard unifié, limitant ainsi le risque de voir leurs produits arbitrairement exclus du marché d’un État membre pour des raisons d’interprétation normative.
B. La consolidation de la libre circulation des produits
L’objectif principal du règlement n° 305/2011, comme le rappelle la Cour, est de supprimer les entraves techniques aux échanges en harmonisant les règles d’évaluation des performances des produits de construction. Le marquage « CE », apposé sur la base d’une norme harmonisée, agit comme un passeport pour le produit, lui permettant de circuler librement sur le marché intérieur. Les divergences d’interprétation du champ d’application d’une norme créent précisément le type de barrières que le règlement vise à éliminer.
En uniformisant l’interprétation de la norme EN 1090-1, la Cour garantit que des produits similaires seront traités de la même manière dans toute l’Union. Un produit considéré comme structural en Finlande le sera également en Allemagne ou en France, pourvu qu’il satisfasse au critère fonctionnel. Cette décision constitue donc une contribution significative à l’effectivité du marché intérieur. Elle réaffirme que les normes harmonisées doivent être interprétées de manière autonome et uniforme, au service de l’intégration économique et non des particularismes administratifs nationaux.