La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 28 février 2018, s’est prononcée sur l’interprétation du règlement portant création d’un titre exécutoire européen. Cette décision clarifie si la condamnation aux frais de justice peut faire l’objet d’une certification indépendamment de la nature civile ou commerciale de la créance principale.
Deux particuliers ont saisi le tribunal d’arrondissement de Poznań-Grunwald et Jeżyce d’une demande tendant à faire constater l’acquisition du droit de propriété sur un véhicule automobile. La juridiction polonaise a invité une compagnie d’assurance établie en Allemagne à intervenir à la procédure en qualité de défenderesse. Cette dernière n’a déposé aucune observation et n’a pas comparu à l’audience malgré la notification régulière des actes introductifs d’instance.
Le tribunal a rendu un jugement par défaut constatant le droit de propriété des demandeurs et condamnant la société d’assurance au paiement des frais de justice. La décision est devenue définitive après l’expiration des délais de recours sans qu’aucune contestation ne soit formée par la partie condamnée. Les requérants ont alors sollicité la certification de la partie du jugement consacrée aux dépens en tant que titre exécutoire européen pour en poursuivre l’exécution.
La juridiction polonaise a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur le champ d’application matériel du règlement numéro 805/2004. Elle éprouve des doutes sur la possibilité de certifier les frais de justice lorsque le litige au fond ne porte pas sur une créance pécuniaire incontestée. La question préjudicielle invite à déterminer si une décision sur les dépens peut être certifiée de manière autonome ou si elle suit nécessairement le sort de l’action principale.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que le règlement doit être interprété en ce sens qu’une telle certification est impossible pour ces frais accessoires. L’analyse repose sur le lien indissociable entre la condamnation pécuniaire aux dépens et la nature de la prétention principale tranchée par le juge national.
I. La nature accessoire de la condamnation aux frais de justice
A. L’intégration des frais dans la notion de décision
Le règlement numéro 805/2004 définit largement la notion de décision en incluant toute mesure rendue par une juridiction d’un État membre quelle que soit sa dénomination. L’article 4 précise expressément que ce terme englobe « la fixation par le greffier du montant des frais du procès » au bénéfice de la partie gagnante. Cette inclusion permet en principe de considérer la créance de frais comme un droit à une somme d’argent déterminée et exigible selon le droit national.
La Cour admet qu’une décision exécutoire sur le montant des frais de justice constitue une « créance » au sens de la définition générale figurant dans le texte communautaire. Cette qualification initiale semble ouvrir la voie à une circulation simplifiée de ces titres pécuniaires au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. La seule constatation de l’existence d’une dette d’argent ne suffit toutefois pas à déclencher l’application automatique du mécanisme de certification européenne.
B. La dépendance impérative à une créance principale incontestée
L’article 7 du règlement subordonne la certification des dépens à l’existence d’une décision principale portant sur une créance incontestée au sens de la législation européenne. L’emploi du terme « également » dans cette disposition spécifique indique qu’une décision sur les frais est certifiée uniquement lorsque le fond du litige entre dans le champ d’application. La Cour souligne qu’une décision relative aux frais de justice n’est pas considérée comme une « décision autonome » susceptible de faire l’objet d’un titre exécutoire isolé.
Le caractère accessoire de la créance de frais interdit de détacher le traitement procédural des dépens de l’objet même de la demande portée devant le tribunal d’origine. Puisque l’action principale portait sur une constatation de propriété et non sur une dette d’argent, elle échappe par nature aux dispositions du règlement précité. La condamnation aux frais de justice demeure « intrinsèquement liée à la suite donnée à l’action principale » qui justifie seule la mise en œuvre de la certification.
II. Une interprétation rigoureuse du champ d’application du règlement
A. La primauté du critère textuel sur les définitions générales
La Cour de justice refuse de laisser les définitions générales de l’article 4 primer sur les conditions d’application spécifiques fixées pour les frais de justice. Elle rappelle que le mécanisme du titre exécutoire européen constitue une dérogation au régime commun de reconnaissance des jugements instauré par le droit de l’Union. Les conditions de mise en œuvre de ce dispositif dérogatoire sont d’« interprétation stricte » afin de garantir la prévisibilité juridique et la protection des droits des débiteurs.
L’objectif de libre circulation des décisions judiciaires ne saurait conduire à une extension extensive du domaine matériel du règlement au-delà de la volonté du législateur européen. Les juges considèrent que les définitions globales « ne sauraient avoir une incidence sur l’applicabilité même » du règlement lorsque les conditions de fond font manifestement défaut. Cette hiérarchie normative assure la cohérence du système en évitant l’utilisation du titre exécutoire européen pour des litiges étrangers à son but initial.
B. L’exclusion d’une certification autonome pour les litiges non pécuniaires
La solution retenue confirme que le titre exécutoire européen est exclusivement réservé aux litiges dont l’objet principal est le recouvrement d’une somme d’argent incontestée. Une décision constatant l’existence d’un droit réel ne peut servir de support à la création d’un titre européen, même pour la seule exécution de ses conséquences financières. Les créanciers de frais de justice doivent alors recourir aux procédures de droit commun pour obtenir la reconnaissance et l’exécution de leur titre à l’étranger.
Le dispositif de l’arrêt énonce clairement qu’une décision sur les frais contenue dans un jugement ne portant pas sur une créance incontestée « ne peut être certifiée ». Cette position ferme protège l’économie générale du règlement contre toute tentative de contournement par le biais de la nature monétaire des dépens de l’instance. La sécurité juridique est ainsi préservée en limitant la simplification procédurale aux seuls cas où l’absence de contestation sur le fond est établie.