Cour de justice de l’Union européenne, le 14 février 2008, n°C-419/06

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa quatrième chambre, se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant du droit communautaire en matière d’aides d’État. En l’espèce, la Commission européenne avait, par une décision du 14 septembre 2005, constaté que cet État avait octroyé plusieurs aides illégales et incompatibles avec le marché commun à deux compagnies aériennes. Ces aides prenaient diverses formes, notamment des conditions de sous-location d’aéronefs avantageuses, une surévaluation d’actifs, des facilités de trésorerie, ainsi qu’une tolérance à l’égard de dettes fiscales et sociales. La décision de la Commission imposait à l’État membre de suspendre toute aide future et de procéder à la récupération sans délai des montants indûment versés.

L’État membre n’a pas exécuté cette décision dans le délai de deux mois qui lui était imparti. Après de multiples échanges infructueux, la Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice, considérant que l’État concerné n’avait pris aucune mesure concrète pour récupérer les aides. Devant la Cour, l’État membre a soutenu ne pas avoir manqué à ses obligations, en invoquant plusieurs arguments. Il a d’abord fait valoir que la décision de la Commission était trop imprécise quant aux montants à récupérer, rendant son exécution impossible au regard de son droit national qui exige des créances certaines et chiffrées. Il a ensuite contesté le bien-fondé même de la qualification d’aide d’État pour certaines des mesures visées. Enfin, il a argué du caractère disproportionné de l’obligation de récupération et affirmé avoir finalement procédé au remboursement dans un délai raisonnable. La question soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre pouvait justifier la non-exécution d’une décision de la Commission ordonnant la récupération d’aides d’État en se prévalant de difficultés procédurales internes, de l’imprécision prétendue de la décision ou de sa contestation sur le fond.

La Cour de justice constate le manquement de l’État membre, rejetant l’ensemble de son argumentation. Elle rappelle avec fermeté que les seules justifications admissibles sont celles tenant à une impossibilité absolue d’exécution, laquelle n’est nullement démontrée en l’espèce. La solution s’articule autour du rejet des justifications avancées par l’État membre, qu’elles soient relatives aux modalités d’exécution de la décision ou à sa validité intrinsèque.

Il convient ainsi d’examiner le raisonnement de la Cour qui, d’une part, écarte les justifications fondées sur les difficultés d’exécution de la décision (I) et, d’autre part, réaffirme le caractère intangible de cette dernière dans le cadre d’un recours en manquement (II).

I. Le rejet des justifications tirées des modalités d’exécution de la décision

La Cour de justice rejette les arguments de l’État défendeur visant à justifier son inaction par les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre la décision de la Commission. Elle se montre inflexible tant sur l’argument tenant au caractère prétendument imprécis de la décision (A) que sur celui relatif aux obstacles posés par le droit national (B).

A. L’inopposabilité du caractère prétendument imprécis de la décision de la Commission

L’État membre soutenait que la décision du 14 septembre 2005 était inexécutable en l’état, car elle ne fixait pas avec une précision absolue les montants à récupérer, utilisant des termes comme « environ » ou parlant d’une « estimation provisoire ». Cette imprécision l’aurait empêché, au regard de ses propres règles de procédure administrative, d’établir un titre exécutoire pour le recouvrement des créances. La Cour balaye cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence constante et pragmatique. Elle juge en effet « qu’aucune disposition du droit communautaire n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer ».

Pour la Cour, l’obligation de la Commission se limite à fournir à l’État destinataire les éléments suffisants pour lui permettre de déterminer par lui-même, et « sans difficultés excessives », le montant final à recouvrer. En l’espèce, les motifs de la décision contenaient des indications détaillées et des tableaux chiffrés, notamment sur la surévaluation des actifs, qui permettaient aux autorités nationales d’effectuer les calculs nécessaires. En se limitant à constater l’existence d’une obligation de restitution et en laissant aux autorités nationales le soin d’en préciser le quantum, la Commission n’a fait qu’user d’une faculté reconnue par le droit. Il appartenait dès lors à l’État membre de collaborer de bonne foi et, le cas échéant, de démontrer concrètement en quoi les indications fournies étaient insuffisantes, ce qu’il n’a pas fait. Cette solution consacre une répartition logique des tâches entre la Commission, qui identifie l’infraction et ordonne la sanction, et l’État membre, qui dispose des moyens administratifs et fiscaux pour la mettre en œuvre.

B. L’indifférence des difficultés juridiques internes à l’obligation de récupération

Au-delà de l’imprécision alléguée, l’État membre invoquait de manière plus générale les contraintes de son ordre juridique interne, notamment les règles du code de perception des recettes publiques. La Cour rappelle cependant un principe fondamental et structurant de l’ordre juridique communautaire : un État membre ne peut se prévaloir de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire. Cette règle, corollaire du principe de primauté, s’applique avec une rigueur particulière en matière d’aides d’État.

La Cour souligne que la seule défense possible contre un recours en manquement pour non-exécution d’une décision de récupération est de prouver une « impossibilité absolue d’exécuter » la décision. Or, cette impossibilité n’est pas constituée lorsque l’État « se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présente la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l’aide ». En l’espèce, l’État membre n’a fait qu’opposer des obstacles procéduraux sans proposer de solutions alternatives ni démontrer avoir engagé des actions sérieuses pour surmonter ces difficultés. La position de la Cour est donc claire : l’obligation de récupération est une obligation de résultat, et les États membres doivent adapter leurs procédures nationales pour garantir une exécution « immédiate et effective » des décisions de la Commission, et non l’inverse.

II. L’affirmation du caractère intangible de la décision dans le cadre du recours en manquement

Outre les difficultés d’exécution, l’État membre a tenté de contester la substance même de la décision de 2005. La Cour saisit cette occasion pour réaffirmer avec force les principes gouvernant l’articulation des voies de droit, en soulignant l’étanchéité de la procédure en manquement à toute contestation de la légalité de l’acte (A), tout en précisant la portée de l’obligation de récupération qui en découle (B).

A. L’étanchéité de la procédure en manquement à la contestation de la légalité de l’acte

L’État membre a tenté de remettre en cause la qualification d’aide d’État retenue par la Commission pour certaines mesures, contestant ainsi le bien-fondé de la décision qu’il était censé exécuter. La Cour oppose une fin de non-recevoir catégorique à cette argumentation. Elle rappelle que le système des voies de recours de l’Union européenne distingue clairement le recours en annulation, prévu à l’article 230 CE (devenu 263 TFUE), et le recours en manquement, prévu à l’article 88, paragraphe 2, CE (devenu 108, paragraphe 2, TFUE). La légalité d’un acte des institutions de l’Union ne peut être contestée que devant le juge de l’Union par la voie du recours en annulation dans un délai de deux mois.

Une fois ce délai expiré, l’acte devient définitif à l’égard de son destinataire. Par conséquent, dans le cadre d’un recours en manquement pour non-exécution de cet acte, l’État membre ne peut plus « valablement justifier la non-exécution de celle-ci sur la base de sa prétendue illégalité ». L’État grec avait d’ailleurs lui-même introduit un recours en annulation contre la décision, reconnaissant ainsi implicitement que c’était la procédure appropriée. Permettre à un État de contester la validité d’une décision au stade de son exécution reviendrait à priver d’effet utile le système de contrôle de légalité et à compromettre la sécurité juridique. Cette solution réaffirme la cohérence du système juridictionnel de l’Union et le principe de l’autorité de la chose décidée qui s’attache aux actes des institutions non contestés en temps utile.

B. La confirmation de la portée de l’obligation de récupération immédiate et effective

Enfin, l’État membre a soulevé l’argument du caractère prétendument disproportionné de la récupération, ainsi que celui d’une exécution intervenue dans un « délai raisonnable ». La Cour rejette ces deux arguments en précisant la nature et la finalité de l’obligation de récupération. Elle rappelle que la récupération d’une aide illégale n’est pas une sanction, mais « la conséquence logique de la constatation de son illégalité ». Son objectif est de « rétablissement de la situation antérieure », c’est-à-dire de restaurer l’état de la concurrence qui prévalait sur le marché avant le versement de l’aide.

Dès lors, la mesure de récupération ne saurait, en principe, « être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité ». Quant à l’argument tiré du délai raisonnable, la Cour le juge également inopérant. Le règlement n° 659/1999 et la jurisprudence constante exigent une récupération « sans délai » et des procédures nationales permettant une « exécution immédiate et effective » de la décision. L’inaction de l’État membre pendant plusieurs années, loin de s’inscrire dans un délai raisonnable, constitue la négation même de cette exigence d’effectivité. En confirmant la nécessité d’une restitution rapide, la Cour souligne que le temps qui passe ne fait que prolonger la distorsion de concurrence que le droit des aides d’État a précisément pour objet de prévenir et de corriger.

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