Par une décision rendue en procédure préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 95/46/CE relative à la protection des données à caractère personnel. Les faits à l’origine du litige concernaient l’enregistrement vidéo de membres des forces de l’ordre au sein d’un commissariat, réalisé par une personne physique lors de sa déposition. Cette vidéo fut par la suite publiée sur une plateforme en ligne permettant le partage et la visualisation de contenus audiovisuels par un large public. Saisie de cette affaire, une juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si une telle captation et diffusion d’images relevait du champ d’application de la directive et, d’autre part, si elle pouvait bénéficier de l’exception prévue pour les traitements de données effectués « aux seules fins de journalisme ». Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à articuler le droit à la protection des données personnelles de fonctionnaires de police avec la liberté d’expression, dans le contexte de la publication de contenus en ligne par un particulier. En réponse, la Cour affirme que l’enregistrement et la publication de la vidéo constituent bien un traitement de données à caractère personnel soumis à la directive. Elle ajoute que ce traitement peut relever de l’exception journalistique, à la condition qu’il ait pour unique finalité « la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées », ce qu’il appartient au juge national de vérifier en l’espèce.
**I. La confirmation d’une large application du régime de protection des données**
La Cour de justice adopte une interprétation extensive du champ d’application de la directive 95/46/CE, en y incluant sans réserve le traitement des données de fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions. Cette solution réaffirme une conception large de la notion de traitement de données à caractère personnel (A) tout en soulignant que la qualité de la personne concernée est indifférente quant à l’applicabilité du régime de protection (B).
A. Une interprétation extensive de la notion de traitement de données personnelles
La décision confirme que la captation d’images de personnes physiques identifiables, suivie de leur mise en ligne sur un site Internet, entre pleinement dans la définition du traitement de données à caractère personnel. L’enregistrement vidéo constitue une collecte de données, tandis que sa publication sur une plateforme accessible au public représente une forme de diffusion. Ces opérations, qu’elles soient automatisées ou non, suffisent à caractériser un traitement au sens de la directive. En l’espèce, les visages des membres de la police étant visibles, leur identification était possible, ce qui confère aux images la qualité de données à caractère personnel. Cette approche extensive est conforme à la jurisprudence constante de la Cour, qui vise à garantir un niveau élevé de protection en appréhendant de manière large les activités susceptibles de porter atteinte à la vie privée et aux données des individus. La solution n’est donc pas surprenante, mais elle rappelle utilement que la simplicité technologique d’une opération de diffusion, comme le téléchargement sur un site de partage de vidéos, ne la soustrait pas aux exigences du droit européen.
B. L’indifférence du statut de fonctionnaire de la personne concernée
L’arrêt précise ensuite que le statut professionnel des personnes dont les données sont traitées ne modifie pas la qualification juridique de l’opération. Le fait que les individus filmés soient des agents de police agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles ne les exclut pas du champ de protection de la directive. Le texte protège les « personnes physiques » sans distinction fondée sur leur statut ou leur profession. Ainsi, un fonctionnaire, même dépositaire de l’autorité publique, conserve le droit au respect de ses données à caractère personnel. La Cour refuse de créer une catégorie d’individus qui, en raison de leurs fonctions, seraient par nature exclus du bénéfice de cette protection fondamentale. Cette position garantit l’universalité du droit à la protection des données, tout en laissant ouverte la possibilité de concilier ce droit avec d’autres impératifs, notamment la liberté d’information, par le biais des exceptions prévues par la directive elle-même.
La soumission du traitement au régime général étant établie, la discussion se déplace vers le terrain des dérogations possibles, où la finalité de la publication devient le critère déterminant pour l’application d’un régime d’exception.
**II. L’appréciation conditionnelle de l’exception journalistique**
La Cour de justice admet que la publication de la vidéo puisse bénéficier de la dérogation prévue pour le journalisme, mais elle en subordonne l’application à une condition de finalité stricte. Cette approche repose sur une interprétation téléologique de la notion d’activité journalistique (A) et confie au juge national le soin d’en vérifier la réalisation concrète (B).
A. La finalité de l’information comme critère de l’activité journalistique
L’article 9 de la directive 95/46/CE permet aux États membres de prévoir des exemptions pour les traitements de données effectués « aux seules fins de journalisme ». La Cour interprète cette notion de manière fonctionnelle, en la détachant du statut professionnel de l’auteur de la publication. Nul besoin d’être journaliste de profession pour se prévaloir de cette exception ; un simple citoyen peut également y prétendre. Le critère essentiel réside exclusivement dans la finalité poursuivie par le traitement, qui doit être la « divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées ». Cette interprétation large favorise la liberté d’expression et d’information, en reconnaissant le rôle que peuvent jouer les citoyens et les nouveaux médias dans le débat public. Cependant, la Cour encadre cette possibilité en exigeant que cette finalité soit unique. Un traitement qui poursuivrait concurremment un autre but, par exemple la vengeance personnelle ou le simple dénigrement, ne pourrait bénéficier de l’exemption.
B. Le renvoi au juge national pour une appréciation in concreto
Conformément à son rôle dans le cadre du renvoi préjudiciel, la Cour de justice fournit les clés d’interprétation du droit de l’Union mais ne tranche pas le litige au fond. Elle renvoie à la juridiction nationale la responsabilité de déterminer si, en l’espèce, la publication de la vidéo avait pour seule et unique finalité de contribuer au débat public. Pour ce faire, le juge national devra examiner le contenu de la vidéo, le contexte de sa publication, et tout élément permettant d’éclairer l’intention de son auteur. Il lui faudra notamment rechercher si la vidéo visait à dénoncer un dysfonctionnement du service public, à illustrer une opinion sur l’action des forces de l’ordre, ou si elle relevait d’une démarche purement privée et malveillante. Cette répartition des compétences illustre le dialogue des juges et assure que l’application du droit européen tienne compte des circonstances factuelles propres à chaque affaire, permettant une mise en balance délicate entre la protection des données et la liberté d’information.