Cour de justice de l’Union européenne, le 14 janvier 2010, n°C-471/07

Par une décision dont la portée mérite d’être analysée, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les contours des obligations pesant sur les États membres en matière de fixation des prix des médicaments, dans le cadre de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988. En l’espèce, un litige opposait vraisemblablement une entreprise du secteur pharmaceutique à une autorité nationale au sujet d’une mesure de blocage des prix des médicaments. Cette mesure avait été adoptée par un État membre sans qu’il n’ait procédé à une vérification de l’existence de conditions macroéconomiques spécifiques, comme le prévoit pourtant une disposition de la directive précitée. La juridiction nationale saisie du litige a alors décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.

Il était donc demandé à la Cour de déterminer, en substance, la marge de manœuvre dont disposent les États membres pour définir les critères justifiant de telles mesures de contrôle des prix. Il lui était également demandé de se prononcer sur la possibilité pour un particulier d’invoquer directement la disposition concernée devant les juridictions nationales. Enfin, la Cour était interrogée sur la légalité d’une nouvelle mesure de blocage des prix succédant à une précédente mesure de longue durée, sans qu’une vérification des conditions macroéconomiques ait été effectuée.

À ces questions, la Cour de justice a répondu en affirmant que les États membres sont compétents pour déterminer les critères de vérification des conditions macroéconomiques, pourvu que ceux-ci soient objectifs et vérifiables. Elle a par ailleurs jugé que la disposition en cause, l’article 4, paragraphe 1, de la directive, n’était pas suffisamment précise pour être invoquée par un particulier devant une juridiction nationale. Enfin, elle a admis qu’un État membre puisse réintroduire une mesure de blocage des prix sans procéder à la vérification requise, dix-huit mois après la fin d’une mesure similaire ayant duré huit ans. La Cour consacre ainsi une marge de manœuvre étendue aux autorités nationales (I), tout en limitant la portée des garanties offertes aux opérateurs économiques (II).

I. La consécration d’une marge d’appréciation étendue au profit des États membres

La décision de la Cour de justice reconnaît aux autorités nationales une latitude significative dans la mise en œuvre des mesures de maîtrise des dépenses de santé. Cette autonomie se manifeste d’une part dans la définition des critères de vérification macroéconomique (A), et d’autre part dans la faculté de reconduire un blocage des prix sans procéder à cette même vérification dans certaines circonstances (B).

A. La latitude laissée dans la définition des critères de vérification macroéconomique

La Cour énonce que l’article 4, paragraphe 1, de la directive « doit être interprété en ce sens qu’il appartient aux États membres de déterminer […] les critères sur le fondement desquels il y a lieu d’effectuer la vérification des conditions macroéconomiques ». Ce faisant, elle valide la compétence des autorités nationales pour apprécier la situation économique justifiant une mesure de contrôle des prix des médicaments. La directive impose un cadre, mais la Cour confirme que les modalités précises de son application relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État.

Toutefois, cette compétence n’est pas discrétionnaire. La Cour la conditionne au respect de deux exigences : les critères retenus doivent être « fondés sur des éléments objectifs et vérifiables » et respecter l’objectif de transparence poursuivi par la directive. Ainsi, un État ne pourrait se fonder sur des considérations politiques arbitraires ou des données non accessibles pour justifier un gel des prix. L’intervention étatique doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, au moins sur le plan de la matérialité des faits et de la transparence de la procédure. La solution ménage donc un équilibre entre l’autonomie des États dans la gestion de leur politique de santé et les garanties procédurales minimales prévues par le droit de l’Union.

B. La faculté de réintroduire un blocage des prix en l’absence de vérification préalable

Prolongeant cette logique, la Cour admet qu’un État membre puisse, dix-huit mois après l’expiration d’une mesure de blocage des prix de huit ans, « adopter une nouvelle mesure de blocage des prix des médicaments sans procéder à la vérification des conditions macroéconomiques prévue à cette disposition ». Cette solution peut paraître surprenante, car elle semble vider de sa substance l’obligation de vérification posée par la directive. Elle suggère que l’écoulement d’un certain laps de temps après une longue période de contrôle des prix pourrait dispenser l’État de renouveler une analyse économique formelle.

L’appréciation de la Cour est ici éminemment factuelle et pragmatique. Elle semble considérer que la persistance de contraintes budgétaires en matière de santé publique peut justifier une dérogation à la procédure normale. Le caractère exceptionnel de la situation, marqué par une très longue période de contrôle antérieure, semble avoir été déterminant. La Cour paraît ainsi admettre qu’une autorité nationale puisse légitimement estimer que les conditions macroéconomiques n’ont pas substantiellement changé dans un délai aussi court. En validant une telle pratique, la Cour renforce considérablement les prérogatives des États dans leur capacité à réguler les dépenses pharmaceutiques de manière continue.

II. La portée limitée des garanties offertes par la directive aux opérateurs économiques

Si la Cour de justice accorde une confiance marquée aux États membres, elle adopte une position restrictive quant aux droits que les entreprises pharmaceutiques peuvent tirer de la directive. Cette limitation se traduit par l’exclusion de l’effet direct de la disposition en cause (A), ce qui a pour conséquence d’affaiblir la protection des opérateurs contre les mesures de maîtrise des dépenses de santé (B).

A. L’exclusion de l’effet direct de l’article 4, paragraphe 1

La Cour juge de manière très claire que l’article 4, paragraphe 1, de la directive « n’est pas, du point de vue de son contenu, suffisamment précis pour qu’un particulier puisse l’invoquer devant une juridiction nationale ». En refusant de reconnaître l’effet direct de cette disposition, la Cour prive les entreprises pharmaceutiques d’un moyen de droit essentiel pour contester la légalité d’une mesure nationale de blocage des prix. Pour qu’une disposition d’une directive puisse être invoquée par un particulier, la jurisprudence constante exige qu’elle soit inconditionnelle et suffisamment précise.

En l’espèce, la Cour estime que la disposition ne remplit pas le critère de précision. Cette absence de précision découle logiquement du premier point de sa décision : dès lors que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour définir les « conditions macroéconomiques », la disposition qui y fait référence ne peut être considérée comme fixant une obligation suffisamment déterminée. Les opérateurs économiques ne peuvent donc pas se prévaloir de cette disposition pour exiger du juge national qu’il écarte une mesure de gel des prix au motif que la vérification des conditions macroéconomiques n’aurait pas été effectuée. Le contrôle de la légalité de la mesure nationale est ainsi cantonné au droit interne.

B. L’affaiblissement de la protection des entreprises pharmaceutiques

La combinaison de ces différents éléments aboutit à un affaiblissement notable de la position des laboratoires pharmaceutiques face aux politiques de régulation étatique. La latitude accordée aux États dans la définition des critères et dans la faculté de reconduire des mesures de blocage, cumulée à l’impossibilité pour les entreprises d’invoquer l’obligation de vérification devant le juge national, réduit considérablement les possibilités de contestation. La directive, conçue pour assurer la transparence des mesures de fixation des prix, voit ici sa portée pratique restreinte.

En définitive, la Cour de justice opère un arbitrage clair en faveur de la maîtrise des dépenses de santé publique par les États membres. Elle reconnaît l’importance de la régulation économique dans un secteur sensible, quitte à limiter les garanties offertes aux acteurs économiques. La décision témoigne d’une approche réaliste des contraintes budgétaires qui pèsent sur les systèmes nationaux d’assurance maladie. Elle confirme que, si le droit de l’Union encadre les politiques nationales, il n’a pas pour objet de se substituer aux choix politiques et économiques des États membres en matière de santé.

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