La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 13 juillet 2017, précise les limites du secret professionnel dans les procédures de concurrence. Plusieurs sociétés ont participé à une entente secrète dans le secteur du verre automobile entre les années 1998 et 2003. L’institution compétente a adopté une décision de sanction en 2008 et a ensuite manifesté son intention d’en publier une version non confidentielle. Les entreprises ont sollicité le traitement confidentiel de certaines informations, craignant des actions en dommages et intérêts de la part de tiers lésés. Après un refus de l’administration, les intéressées ont saisi le conseiller-auditeur, qui a rejeté leurs demandes au mois d’août 2012. Un recours en annulation a été formé devant le Tribunal de l’Union européenne, lequel a rejeté la demande par un arrêt du 15 juillet 2015. Les requérantes ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice pour contester la légalité de cette décision de divulgation. Elles soutiennent que le conseiller-auditeur a méconnu l’étendue de sa compétence et que la publication viole la confiance légitime issue de leur coopération. La question posée est de savoir si le conseiller-auditeur doit examiner les principes de confiance légitime et d’égalité de traitement pour autoriser une publication. La juridiction doit également déterminer si les informations fournies lors de la clémence bénéficient d’une protection contre toute publicité ultérieure des faits constitutifs d’infraction. Le juge rejette le pourvoi, confirmant la possibilité de publier les éléments essentiels de la décision malgré la collaboration passée des entreprises sanctionnées.
I. L’étendue du contrôle exercé par le conseiller-auditeur sur la confidentialité
A. La reconnaissance d’une compétence élargie aux principes généraux du droit
La Cour censure le raisonnement du Tribunal concernant l’étendue des pouvoirs du conseiller-auditeur lors d’une contestation portant sur la divulgation d’informations. Elle affirme que son mandat doit garantir l’exercice effectif des droits procéduraux, ce qui inclut l’examen de tous les motifs d’opposition légaux. Le Tribunal avait estimé à tort que les principes de confiance légitime et d’égalité de traitement dépassaient la mission du conseiller-auditeur en cette matière. La Cour juge au contraire que « l’article 8 de la décision 2011/695 vise à mettre en œuvre, sur le plan procédural, la protection qu’offre le droit de l’Union ». Cette protection doit porter sur « tout motif qui pourrait justifier la protection de la confidentialité des informations en cause » selon les termes de l’arrêt. L’interprétation restrictive du premier juge aurait réduit considérablement la portée des garanties procédurales offertes aux entreprises faisant l’objet d’une enquête de concurrence. Le conseiller-auditeur est donc tenu d’examiner toute objection fondée sur un principe du droit de l’Union pour revendiquer la protection des informations.
B. Le caractère inopérant de l’erreur de droit commise par le Tribunal
Malgré cette erreur d’analyse, la Cour de justice refuse d’annuler l’arrêt attaqué car le conseiller-auditeur avait effectivement analysé les arguments des sociétés. Elle relève que la décision litigieuse contenait des observations générales répondant aux allégations de violation de la confiance légitime par les demanderesses. « S’il est vrai que ces considérants ont été présentés sous la forme d’observations générales à titre liminaire », leur existence suffit à valider l’acte. L’erreur de droit commise par le Tribunal est jugée inopérante puisque le résultat final du litige n’aurait pas été différent pour les requérantes. Cette solution privilégie la stabilité des actes administratifs tout en rappelant les exigences fondamentales d’un recours effectif au sein de l’institution européenne. La Cour considère que le conseiller-auditeur n’a pas décliné sa compétence de manière manifeste malgré les formulations ambiguës présentes dans sa décision finale.
II. La conciliation entre le programme de clémence et l’exigence de transparence
A. La distinction nécessaire entre les documents de clémence et leur contenu factuel
Le juge de l’Union rejette l’idée d’une immunité de publication pour les faits révélés dans le cadre d’une procédure de coopération volontaire. La Cour souligne que le programme de clémence vise uniquement l’octroi d’une immunité ou d’une réduction du montant de l’amende pécuniaire imposée. Elle précise que les règles de confidentialité ne font pas « obstacle à ce que la Commission publie les informations relatives aux éléments constitutifs de l’infraction ». La protection juridique concerne les documents eux-mêmes et les déclarations écrites, mais pas la description factuelle des comportements illicites mentionnés dans l’arrêt. Les entreprises ne peuvent pas invoquer une confiance légitime pour empêcher la divulgation d’informations ne relevant pas directement du secret professionnel au sens strict. « La seule protection à laquelle peut prétendre une entreprise ayant coopéré est celle concernant l’immunité ou la réduction de l’amende » affirme la Cour.
B. La préservation des droits des tiers lésés par l’application des règles de concurrence
Les requérantes invoquaient le principe d’égalité de traitement pour obtenir une protection accrue par rapport aux entreprises n’ayant pas coopéré durant l’enquête administrative. La Cour rejette cette argumentation en affirmant que les situations sont comparables au regard des conditions de publication d’une décision de sanction. Elle rappelle que la coopération est déjà récompensée par la réduction de la sanction lors de la phase de calcul des amendes par l’institution. « Le fait qu’une entreprise bénéficie d’une immunité d’amende ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction ». Maintenir le secret sur les faits porterait une atteinte disproportionnée au droit des victimes de l’entente d’obtenir réparation devant les juridictions nationales. La transparence sur la description de l’infraction l’emporte sur l’intérêt privé des entreprises à limiter les preuves disponibles pour des actions en responsabilité.