Cour de justice de l’Union européenne, le 14 janvier 2021, n°C-322/19

Par une décision récente, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’accès au marché du travail pour les demandeurs de protection internationale faisant l’objet d’une procédure de transfert. En l’espèce, un ressortissant d’un pays tiers avait introduit une demande de protection internationale dans un État membre. Les autorités de cet État, appliquant le règlement (UE) n° 604/2013, ont pris une décision de transfert vers un autre État membre jugé responsable de l’examen de la demande. Durant cette procédure, le demandeur s’est vu refuser l’accès au marché du travail, bien que le délai prévu par la directive 2013/33/UE pour l’ouverture de ce droit fût écoulé.

Saisie par le demandeur, la juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il était demandé à la Cour de déterminer, d’une part, si un État membre peut refuser l’accès au marché du travail à un demandeur au seul motif qu’une décision de transfert a été prise à son encontre. D’autre part, la question se posait de savoir dans quelle mesure le retard dans le traitement de la demande pouvait être imputé au comportement du demandeur, notamment son entrée sur le territoire ou l’exercice d’un recours. La Cour a jugé qu’une telle exclusion automatique est contraire au droit de l’Union. Elle a également défini de manière restrictive les circonstances dans lesquelles un retard peut être imputé à un demandeur. Cette décision renforce de manière significative la portée du droit à l’accès au travail pour les demandeurs d’asile (I), tout en encadrant strictement les exceptions à son exercice (II).

I. La consolidation du droit d’accès au marché du travail en dépit d’une procédure de transfert

La Cour de justice affirme avec clarté que le droit d’accès au travail prévu par la directive sur les conditions d’accueil ne saurait être neutralisé par une procédure de transfert. Pour ce faire, elle recourt à une interprétation systémique des textes relatifs à l’asile (A), ce qui la conduit à rejeter toute exclusion automatique fondée sur une simple décision administrative de transfert (B).

A. Le recours à une interprétation systémique des directives sur l’asile

Afin de déterminer la portée des droits du demandeur, la Cour adopte une approche interprétative globale. Elle juge en effet qu’une juridiction nationale « doit tenir compte de la directive 2013/32/UE […] pour interpréter les dispositions de la directive 2013/33/UE ». Cette méthode est remarquable, car le premier texte, relatif aux procédures communes, n’était pas applicable dans l’État membre concerné par le litige. La Cour considère néanmoins que l’ensemble des instruments du régime d’asile européen commun forme un tout cohérent. L’intention du législateur de l’Union de garantir des normes minimales effectives doit guider l’interprétation de chaque directive, assurant ainsi une protection harmonisée sur l’ensemble du territoire. Cette approche prévient une application fragmentée des droits et assure que les objectifs de la législation en matière d’accueil, notamment la préservation de la dignité humaine, sont atteints.

Cette méthode interprétative permet à la Cour d’asseoir sa position sur le fond du droit. Elle s’en sert pour affirmer le caractère fondamental du droit d’accès à l’emploi.

B. Le rejet d’une exclusion automatique fondée sur la décision de transfert

La Cour énonce de manière explicite que l’article 15 de la directive 2013/33 « s’oppose à une réglementation nationale qui exclut un demandeur de protection internationale de l’accès au marché du travail au seul motif qu’une décision de transfert a été prise à son égard ». La solution est sans équivoque et revêt une portée de principe. La Cour distingue clairement la finalité du règlement n° 604/2013, qui organise la détermination de l’État membre responsable, de celle de la directive 2013/33, qui fixe les conditions d’accueil du demandeur. Le premier est un instrument de nature procédurale qui ne saurait anéantir les droits substantiels garantis par le second. Le droit d’accéder au marché du travail, après un délai de neuf mois, vise à permettre au demandeur de subvenir à ses besoins et de conserver son autonomie. Une exclusion automatique durant la procédure de transfert, qui peut s’étendre sur plusieurs mois, créerait un vide juridique et priverait le droit de son effet utile.

Ayant posé ce principe, la Cour se penche ensuite sur les conditions strictes dans lesquelles un État membre pourrait néanmoins déroger à cette règle.

II. L’encadrement strict des motifs d’imputabilité du retard au demandeur

La Cour examine les situations dans lesquelles le retard pris dans l’examen de la demande pourrait être imputé au demandeur, justifiant ainsi une restriction de son droit au travail. Elle n’admet qu’une seule hypothèse liée au comportement direct du demandeur (A), tout en écartant fermement d’autres motifs liés à son parcours migratoire ou à l’exercice de ses droits (B).

A. La reconnaissance du manque de coopération comme seul critère comportemental

La décision admet qu’un retard dans l’adoption d’une décision de première instance « résultant d’un manque de coopération de ce demandeur avec les autorités compétentes » peut lui être imputé. Cette solution apparaît comme un corollaire du devoir de coopération qui incombe au demandeur de protection internationale. Un comportement dilatoire ou une obstruction volontaire aux procédures peut légitimement priver l’intéressé du bénéfice d’un droit conçu pour la période d’attente. Cependant, ce critère doit être apprécié de manière stricte. Il appartient aux autorités nationales de prouver l’existence d’un tel manque de coopération et son lien de causalité direct avec le retard constaté. La simple passivité ne saurait suffire.

À l’inverse, la Cour se montre particulièrement protectrice s’agissant d’autres comportements du demandeur qui ne relèvent pas d’une intention de nuire à la procédure.

B. L’exclusion de la migration secondaire et de l’exercice des voies de recours

La Cour précise qu’un État membre « ne peut pas imputer au demandeur […] le retard » au motif qu’il n’a pas introduit sa demande dans le premier État membre d’entrée. Cette clarification est essentielle, car elle empêche de sanctionner ce que l’on nomme la migration secondaire. Le règlement n° 604/2013 a précisément pour objet de gérer ces situations ; il ne peut donc servir de prétexte pour restreindre des droits fondamentaux. Plus important encore, la Cour juge qu’un État ne peut imputer au demandeur le retard résultant de l’introduction, par celui-ci, d’un « recours juridictionnel, ayant un effet suspensif, contre la décision de transfert ». Sanctionner un individu pour l’exercice d’un droit, en particulier le droit à un recours effectif, serait contraire aux principes fondamentaux de l’État de droit. Cette solution garantit que le demandeur peut contester une décision qu’il estime illégale sans craindre de perdre les droits qui lui sont garantis durant la procédure.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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