Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’interprétation de la nomenclature combinée relative au classement tarifaire d’un produit alcoolisé.
En l’espèce, une brasserie a importé des Pays-Bas un liquide désigné comme « malt beer base », présentant un titre alcoométrique de 14 %. Ce produit, obtenu à partir de bière brassée puis soumise à une ultrafiltration réduisant sa concentration en substances amères et en protéines, était utilisé comme produit intermédiaire dans la fabrication d’une boisson mixte. Les autorités douanières nationales ont estimé que ce liquide devait être classé dans la position 2208 de la nomenclature, correspondant à l’alcool éthylique, et ont par conséquent réclamé le paiement des droits d’accises afférents. La brasserie a contesté cette classification, soutenant que le produit relevait de la position 2203, relative à la bière, car il était issu d’un processus de fermentation. Saisie du litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle.
Il était ainsi demandé si la nomenclature combinée devait être interprétée en ce sens qu’un produit comme le « malt beer base », obtenu par brassage, décantation puis ultrafiltration d’une bière, devait être classé sous la position 2208. La Cour répond par l’affirmative, jugeant qu’un tel liquide, ayant perdu les caractéristiques essentielles de la bière pour se rapprocher de celles de l’alcool éthylique, relève de la position 2208 de la nomenclature.
La solution retenue par la Cour repose sur une application stricte des critères de classement tarifaire fondés sur les propriétés objectives des marchandises (I), dont la portée clarifie la distinction entre les produits simplement fermentés et les alcools transformés (II).
I. L’APPLICATION PRIVILÉGIÉE DES CARACTÉRISTIQUES OBJECTIVES DU PRODUIT
Pour déterminer la classification du produit litigieux, la Cour de justice écarte la qualification de bière au sens de la position 2203 (A) pour lui préférer celle d’alcool éthylique sous la position 2208, en se fondant sur ses propriétés finales (B).
A. L’exclusion de la qualification de bière
La Cour rappelle d’abord que le critère décisif pour le classement tarifaire réside dans les « caractéristiques et propriétés objectives » de la marchandise. Or, le produit en cause ne correspond plus à la définition d’une bière. D’une part, il n’est pas considéré comme une « boisson » au sens douanier, car il n’est pas destiné à la consommation humaine directe. La Cour souligne que « selon les indications de la juridiction de renvoi, le ‘malt beer base’ n’est pas un produit fini destiné à la consommation, mais un produit intermédiaire ». Cette finalité d’ingrédient l’exclut du champ des boissons prêtes à être consommées.
D’autre part, le traitement subi par le produit initial a altéré ses qualités organoleptiques fondamentales. L’ultrafiltration, en réduisant la présence de substances amères et de protéines, a eu pour effet que « le produit en cause, obtenu à partir d’une bière brassée, perd les propriétés et les caractéristiques objectives particulières de la bière ». Le liquide est devenu incolore, clair, avec une simple odeur d’alcool et un goût seulement légèrement amer, s’éloignant ainsi de manière substantielle de ce qui constitue une bière au sens commun et technique.
B. L’assimilation à de l’alcool éthylique
Une fois la qualification de bière écartée, la Cour examine si le produit peut être classé dans la position 2208. Elle constate que les caractéristiques du « malt beer base » correspondent, ou à tout le moins sont analogues, à celles de l’alcool éthylique visé par cette position. Le fait qu’il s’agisse d’un produit intermédiaire ne fait pas obstacle à cette classification, la note explicative de la position 2208 précisant qu’elle couvre l’alcool éthylique « qu’il soit destiné à la consommation humaine ou à des usages industriels ».
La Cour balaie également l’argument selon lequel la présence d’un léger arôme et d’un goût amer empêcherait la classification en tant qu’alcool éthylique, que la note explicative française qualifie de « dénué de tout principe aromatique ». Elle relève une divergence avec la version anglaise et juge que l’absence de saveur ne doit pas être absolue. En réalité, l’alcool éthylique se distingue des autres spiritueux par l’absence d’un profil aromatique spécifique et marqué. Par conséquent, « le goût et l’arôme de l’alcool éthylique sont des éléments neutres dans la classification d’un produit sous la position 2208 de la nc ». La neutralité relative du produit en cause le rend donc compatible avec cette position.
Cette analyse, fondée sur les caractéristiques finales du produit, emporte des conséquences importantes quant à la méthode de classement et à la délimitation des catégories de produits alcoolisés.
II. LA PORTÉE DE LA DÉCISION DANS LA SYSTÉMATIQUE DU CLASSEMENT TARIFAIRE
La décision de la Cour réaffirme la primauté du critère objectif sur le processus de fabrication dans la logique du droit douanier (A) et affine par là même la frontière entre les notions de « boisson » et de produit intermédiaire (B).
A. La primauté du critère objectif sur le processus de fabrication
Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui, « dans l’intérêt de la sécurité juridique et de la facilité des contrôles », privilégie une approche pragmatique et matérielle du classement. En refusant de s’en tenir au seul mode d’obtention initial, la fermentation, la Cour évite qu’un produit profondément transformé puisse continuer à bénéficier du régime applicable à son état antérieur. Le processus de fabrication n’est pertinent que dans la mesure où il détermine les caractéristiques finales du produit. Ici, l’ultrafiltration n’est pas une simple étape de finition mais une transformation substantielle qui engendre un produit qualitativement différent.
Cette solution renforce la cohérence du système de classification. Elle empêche que des bases alcooliques neutres, utilisées dans la fabrication de boissons mixtes, échappent aux droits d’accises plus élevés applicables aux spiritueux en se prévalant d’une origine fermentaire lointaine. La valeur de cet arrêt réside ainsi dans son attachement à la réalité physique et à l’usage concret de la marchandise, garantissant une application uniforme du tarif douanier commun.
B. La clarification de la notion de « boisson » et de produit intermédiaire
En précisant la portée du terme « boisson », la Cour apporte un éclairage utile pour toute l’industrie agroalimentaire. Une substance liquide et propre à la consommation n’est pas nécessairement une boisson au sens de la nomenclature si son utilisation première est de servir d’ingrédient dans une préparation ultérieure. La destination commerciale du produit devient un élément d’appréciation essentiel. Le fait qu’il ne soit pas « vendu comme produit final aux consommateurs » constitue un indice déterminant de sa nature de produit intermédiaire.
La portée de cette jurisprudence est donc considérable. Elle trace une ligne claire entre les produits finis, destinés au consommateur, et les matières premières ou semi-finies, même si elles sont techniquement consommables en l’état. Cette distinction est fondamentale pour l’application des régimes fiscaux et réglementaires différenciés qui s’attachent aux diverses catégories de produits alcoolisés. Elle confirme que le classement tarifaire doit refléter non seulement la composition d’un produit, mais aussi sa place dans la chaîne de production et de commercialisation.