Par un arrêt dont les motifs sont ici commentés, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime du recours à la sous-traitance dans les marchés publics de travaux. En l’espèce, un pouvoir adjudicateur avait lancé une procédure de passation d’un marché public de travaux cofinancé par des fonds structurels de l’Union. Le cahier des charges de ce marché imposait à l’attributaire de réaliser par ses propres moyens au minimum vingt-cinq pour cent des travaux prévus. Postérieurement à l’attribution du marché, une autorité de contrôle a estimé que cette clause était contraire au droit de l’Union en matière de marchés publics.
Cette constatation a conduit l’autorité nationale à appliquer une correction financière sur l’aide de l’Union octroyée au projet. Saisie d’un recours contre cette décision, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. La juridiction de renvoi cherchait à savoir, d’une part, si le droit de l’Union s’opposait à une telle exigence d’exécution personnelle d’une part minimale du marché. D’autre part, elle interrogeait la Cour sur les conséquences d’une éventuelle violation, notamment sur la qualification d’« irrégularité » pouvant justifier une correction financière au titre des fonds européens.
À la première question, la Cour de justice répond qu’un pouvoir adjudicateur ne peut imposer à l’adjudicataire l’exécution d’un pourcentage déterminé des travaux par ses propres moyens. À la seconde, elle juge qu’une telle pratique constitue une « irrégularité », au sens du droit des fonds structurels, justifiant une correction financière dès lors qu’une incidence sur le budget de l’Union ne peut être exclue. La Cour précise toutefois que le montant de cette correction doit être déterminé en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
Cette décision permet de clarifier l’articulation entre la liberté de l’adjudicataire de recourir à la sous-traitance et les prérogatives du pouvoir adjudicateur (I), tout en précisant la portée des sanctions financières applicables en cas de méconnaissance des règles européennes (II).
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I. La consécration d’une conception extensive du recours à la sous-traitance
La Cour réaffirme avec force le principe d’une large ouverture des marchés publics à la sous-traitance, en prohibant les restrictions quantitatives directes. Elle consacre ainsi une interprétation favorable à l’opérateur économique (A), ce qui la conduit logiquement à invalider les clauses d’exécution personnelle minimale (B).
A. La confirmation du principe de liberté de la sous-traitance
La directive 2004/18/CE vise à garantir une concurrence effective et à faciliter la participation des petites et moyennes entreprises aux marchés publics. Dans cette optique, la possibilité pour un candidat de sous-traiter une partie du marché est un instrument essentiel. Elle lui permet de s’appuyer sur les capacités techniques ou financières de tiers pour présenter une offre conforme aux exigences du pouvoir adjudicateur.
En interprétant les dispositions de cette directive, la Cour rappelle implicitement que la sous-traitance ne doit pas être entravée par des exigences qui ne seraient pas justifiées par l’objet du marché. Limiter a priori la part du marché pouvant être confiée à des sous-traitants reviendrait à restreindre la concurrence et à priver l’adjudicataire d’une flexibilité nécessaire à la bonne exécution des prestations. Cette approche libérale favorise l’accès des PME, souvent spécialisées, à des marchés importants qu’elles ne pourraient aborder seules.
B. La prohibition des clauses fixant un quota d’exécution personnelle
La Cour traduit ce principe en des termes particulièrement clairs en jugeant qu’« un pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à exiger, par une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux, que le futur adjudicataire de ce marché exécute par ses propres moyens un certain pourcentage des travaux faisant l’objet dudit marché ». Cette solution condamne sans équivoque les clauses de limitation quantitative de la sous-traitance.
Le raisonnement de la Cour distingue les exigences qualitatives, qui sont admises, des restrictions quantitatives, qui sont prohibées. Un pouvoir adjudicateur conserve en effet la faculté de vérifier l’aptitude des sous-traitants proposés par le soumissionnaire et peut rejeter ceux qui ne présenteraient pas les garanties suffisantes. Il ne peut cependant se substituer à l’adjudicataire dans l’organisation de son travail en lui imposant une part minimale d’exécution directe. Une telle clause est considérée comme une restriction disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la libre prestation de services.
La méconnaissance d’un principe aussi fondamental du droit des marchés publics emporte des conséquences sur le plan financier lorsque des fonds de l’Union sont engagés.
II. L’encadrement des conséquences financières de la violation des règles de publicité et de mise en concurrence
Ayant établi l’illégalité de la clause, la Cour se prononce sur ses suites financières. Elle qualifie ce manquement d’« irrégularité » au sens du droit des fonds européens (A), mais soumet l’application de toute correction financière au respect du principe de proportionnalité (B).
A. La qualification d’irrégularité justifiant une correction financière
La Cour établit un lien direct entre la violation du droit des marchés publics et le régime des aides financières de l’Union. Elle interprète l’article 98 du règlement (CE) n° 1083/2006, qui organise le mécanisme des corrections financières. Aux termes de cette décision, le non-respect de la directive 2004/18 constitue une « irrégularité » dès lors que « la possibilité que ce manquement ait eu une incidence sur le budget du Fonds concerné ne puisse pas être exclue ».
L’approche retenue est celle d’une présomption d’impact budgétaire. Il n’est pas nécessaire pour l’autorité de contrôle de démontrer une perte financière réelle et chiffrée. Le simple fait que la concurrence ait pu être faussée par l’introduction d’une clause illégale suffit à créer un risque pour le budget de l’Union, justifiant une mesure corrective. Cette interprétation confère une grande efficacité aux mécanismes de contrôle de l’utilisation des fonds européens.
B. L’appréciation proportionnée du montant de la correction
Si le principe de la correction est admis, son quantum doit faire l’objet d’une analyse circonstanciée. La Cour souligne que la détermination du montant de la correction doit prendre en compte « toutes les circonstances concrètes qui sont pertinentes ». Elle vise explicitement « la nature de l’irrégularité constatée, sa gravité et la perte financière qui en a résulté pour le Fonds concerné ».
Ce faisant, la Cour impose aux autorités nationales une obligation de motivation et de personnalisation de la sanction. Une correction forfaitaire ou automatique serait contraire au principe de proportionnalité. Il leur appartient d’évaluer, au cas par cas, si la clause a effectivement restreint la concurrence, dans quelle mesure elle a pu influencer le choix de l’attributaire ou le montant de l’offre retenue, et quel préjudice, même potentiel, en est résulté pour les finances de l’Union. Cette exigence de proportionnalité protège les bénéficiaires des aides contre des sanctions excessives tout en assurant l’effet dissuasif des corrections financières.