Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les règles de classement tarifaire applicables à un appareil électronique multifonction. En l’espèce, un opérateur économique avait procédé à la mise en libre pratique d’appareils multimédias permettant de stocker des fichiers numériques provenant d’un ordinateur et de les restituer sur un écran de télévision. L’opérateur avait déclaré ces marchandises sous la position 8471 70 50 de la nomenclature combinée, en tant qu’unités de mémoire à disques durs, bénéficiant d’une exonération de droits de douane. Les autorités douanières nationales ont cependant reclassé ces produits dans la sous-position 8521 90 00, relative aux appareils de reproduction vidéophonique, ce qui entraînait l’application d’un droit de douane de 13,9 %. Saisie du litige après le rejet des recours de l’opérateur par les juridictions de première instance et d’appel, la juridiction suprême néerlandaise a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de la nomenclature combinée. La question posée était de déterminer si un appareil capable à la fois de stocker des données et de reproduire des contenus audiovisuels devait être classé en tant qu’unité de mémoire relevant de la position 8471 ou comme un appareil de reproduction vidéophonique relevant de la position 8521. Par sa décision, la Cour a jugé que de tels appareils relevaient de la position 8521 de la nomenclature, en se fondant sur leur fonction principale de reproduction.
Cette solution conduit à s’interroger sur la méthode de classement des produits hybrides. La Cour de justice consacre une application rigoureuse du critère de la fonction principale pour déterminer le classement de ces appareils (I), tout en neutralisant la portée des autres sources d’interprétation qui auraient pu conduire à une solution différente (II).
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I. L’affirmation du critère de la fonction principale pour le classement des appareils hybrides
La Cour fonde son raisonnement sur une analyse fonctionnelle du produit, ce qui la conduit à faire prévaloir la fonction de reproduction vidéophonique (A) et, par conséquent, à écarter la qualification d’unité de traitement de l’information (B).
A. La primauté de la fonction de reproduction vidéophonique
Pour résoudre le conflit de classement, la Cour de justice s’appuie sur les règles générales d’interprétation de la nomenclature combinée. Elle rappelle que le critère décisif de classement réside dans les caractéristiques et propriétés objectives de la marchandise. L’appareil en cause présentant une double fonctionnalité, stockage de données et reproduction de fichiers multimédias, il était susceptible de relever de deux positions distinctes. La Cour tranche ce dilemme en appliquant la note 3 de la section XVI de la nomenclature, qui concerne les machines conçues pour assurer plusieurs fonctions. Selon cette note, « les machines conçues pour assurer deux ou plusieurs fonctions différentes, alternatives ou complémentaires, sont classées suivant la fonction principale qui caractérise l’ensemble ».
Dans le cas présent, la juridiction de renvoi avait établi que la fonction principale des appareils consistait en la reproduction vidéophonique. Cette constatation de fait lie la Cour de justice, qui en tire la conséquence logique : les appareils doivent être classés dans la position 8521 de la nomenclature, celle-ci visant spécifiquement les appareils de reproduction vidéophonique. Le raisonnement de la Cour est donc direct et s’en tient à une application stricte de la règle de la fonction principale, une fois celle-ci établie par le juge national. Cette approche confirme que pour les produits composites, l’analyse ne s’arrête pas à l’identification des différentes fonctions, mais exige leur hiérarchisation afin de déterminer celle qui confère à l’ensemble son caractère essentiel.
B. L’exclusion de la qualification d’unité de traitement de l’information
Corrélativement à la reconnaissance de la fonction principale de reproduction, la Cour écarte la classification de l’appareil en tant qu’unité de mémoire relevant de la position 8471. Ce faisant, elle s’appuie sur une autre disposition clé, la note 5 E du chapitre 84 de la nomenclature. Cette note dispose que « [l]es machines incorporant une machine automatique de traitement de l’information ou travaillant en liaison avec une telle machine et exerçant une fonction propre autre que le traitement de l’information sont à classer dans la position correspondant à leur fonction ». La Cour considère que la capacité des appareils à décoder des fichiers numériques et à les convertir en un signal analogique pour un téléviseur constitue une telle « fonction propre ».
Cette fonction de reproduction audiovisuelle se distingue nettement du simple traitement de l’information au sens du chapitre 84. Dès lors, en vertu de cette note d’exclusion, l’appareil ne peut être classé dans la position 8471, même s’il incorpore un disque dur qui, pris isolément, en relèverait. La Cour précise que l’objectif de cette note est précisément « d’empêcher que des appareils dont la fonction est étrangère au traitement de l’information soient classés dans la position 8471 de la nc pour la seule raison qu’ils incorporent une machine automatique de traitement de l’information ». L’articulation des notes 3 de la section XVI et 5 E du chapitre 84 aboutit ainsi à un résultat cohérent : la fonction principale, étant étrangère au traitement de l’information, dicte non seulement le classement dans la position correspondante, mais justifie également l’exclusion de la position relative au traitement de l’information.
II. La portée limitée des sources juridiques complémentaires sur le classement
L’opérateur économique invoquait des arguments tirés des notes explicatives du Système harmonisé (A) ainsi que de l’Accord sur le commerce des technologies de l’information (B), mais la Cour les a tous deux écartés pour maintenir la cohérence de sa méthode de classement.
A. L’interprétation restrictive des notes explicatives du Système Harmonisé
L’un des arguments de l’opérateur reposait sur les notes explicatives de la position 8521, qui indiquaient que les appareils de reproduction visés étaient destinés « uniquement » à la restitution d’images et de son. L’opérateur en déduisait que ses appareils, ayant aussi une fonction de stockage, ne pouvaient relever de cette position. La Cour rejette cette lecture en rappelant le statut juridique de ces notes. Elle affirme de manière constante que si « les notes explicatives du sh contribuent de façon importante à l’interprétation de la portée des différentes positions tarifaires », elles n’ont cependant pas « force obligatoire de droit ».
Par conséquent, une note explicative ne saurait modifier la portée des dispositions de la nomenclature combinée elle-même. La Cour procède ensuite à une interprétation téléologique de l’adverbe « uniquement », considérant qu’il sert à distinguer les simples appareils de reproduction de ceux, plus complexes, qui assurent également l’enregistrement, et non à exclure tout appareil possédant une fonction secondaire. Cette solution illustre la primauté des règles de classement contenues dans la nomenclature sur les instruments d’interprétation qui, bien qu’utiles, ne peuvent contredire la logique établie par les textes à caractère contraignant, notamment la règle de la fonction principale.
B. L’inapplicabilité de l’Accord sur le commerce des technologies de l’information
Enfin, la Cour examine l’argumentation fondée sur l’Accord sur le commerce des technologies de l’information (ATI), qui vise à l’élimination des droits de douane pour certains produits. L’opérateur soutenait que les appareils devaient être considérés comme des « unités de mémoire » au sens des appendices de cet accord. La Cour, tout en rappelant le principe d’interprétation conforme du droit de l’Union aux accords internationaux, écarte cet argument. Elle estime que la notion d’« unités de mémoire de format spécifique » doit être comprise à la lumière des caractéristiques objectives des produits et de leur fonction principale.
Or, comme il a été établi que la fonction principale des appareils en cause était la reproduction vidéophonique et non le stockage de données, ils ne peuvent être qualifiés d’unités de mémoire aux fins de l’ATI. « Dès lors, lesdits appareils ne relèvent pas de la notion d’“unités de mémoire de format spécifique” à laquelle cet appendice B fait référence. » La Cour signifie par là que le classement tarifaire opéré en application de la nomenclature combinée conditionne l’éligibilité au régime de l’ATI. L’accord ne crée pas un régime de classement autonome mais s’applique aux produits tels qu’ils ont été préalablement classés. Cette analyse confirme que la détermination de la fonction principale est le pivot de l’ensemble du raisonnement, et que son effet s’étend au-delà du seul cadre de la nomenclature pour influencer l’application d’accords commerciaux internationaux.