La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 14 juillet 2022, précise l’étendue de la protection des appellations d’origine protégées. Le litige concerne l’usage de la dénomination enregistrée pour des produits laitiers non conformes destinés à l’exportation vers des pays tiers. Des producteurs fabriquent sur le territoire national un fromage sous une appellation protégée à partir de matières premières ne respectant pas le cahier des charges. L’organe exécutif de l’Union engage un recours en manquement contre l’État membre pour violation du règlement relatif aux systèmes de qualité. Ce dernier soutient que l’interdiction de l’utilisation illégale ne s’applique qu’aux produits mis en circulation sur le marché intérieur. La juridiction doit déterminer si la protection conférée aux appellations d’origine inclut les marchandises produites dans l’Union mais vendues hors de ses frontières. Elle juge que l’omission de prévenir une telle utilisation constitue un manquement aux obligations de contrôle administratif. L’analyse portera sur l’affirmation d’une protection étendue des appellations d’origine avant d’étudier la préservation de la cohérence globale du système de qualité européen.
I. L’affirmation d’une protection étendue des appellations d’origine
A. L’intégration des produits destinés à l’exportation dans l’interdiction d’usage
La Cour fonde son raisonnement sur le libellé de l’article 13 du règlement relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles. Cette disposition interdit « toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement ». L’emploi de l’adjectif indéfini confirme que la destination géographique finale de la marchandise est indifférente au déclenchement de la protection légale. Les juges soulignent que l’obligation de contrôle s’impose pour les appellations « qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire ». La production seule sur le sol européen suffit donc à justifier l’intervention des autorités nationales compétentes. Cette interprétation littérale assure ainsi une défense efficace des dénominations contre les pratiques déloyales émanant d’opérateurs établis dans l’Union.
B. La reconnaissance de l’appellation comme un titre de propriété intellectuelle uniforme
Le cadre juridique repose sur l’article 118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la protection uniforme des droits de propriété intellectuelle. Le système établi vise à garantir que les dénominations enregistrées bénéficient d’une sauvegarde identique sur l’ensemble du territoire des États membres. Une atteinte est caractérisée dès que le droit est violé sur le territoire de l’Union, indépendamment du lieu de consommation ultérieure. La Cour précise que l’utilisation illégale « porte atteinte dans l’Union au droit de propriété intellectuelle que constitue cette appellation ». La protection ne saurait donc être subordonnée à l’existence d’accords internationaux spécifiques avec les pays de destination des exportations litigieuses. Cette approche renforce la valeur intrinsèque du titre européen en le détachant des contingences contractuelles extérieures.
La consécration de cette protection absolue impose d’examiner les fondements finalistes justifiant une telle rigueur pour le fonctionnement du marché commun.
II. La préservation de la cohérence globale du système de qualité européen
A. La primauté des objectifs économiques de valorisation des produits
Le règlement poursuit l’objectif d’assurer aux producteurs des revenus équitables au regard de la qualité réelle des denrées alimentaires proposées. La protection contre l’usurpation permet aux opérateurs ayant consenti des efforts qualitatifs d’obtenir en contrepartie une rémunération supérieure sur le marché. L’usage indu de la notoriété d’une appellation par des tiers détourne indûment la valeur ajoutée créée par les groupements de producteurs légitimes. Les juges considèrent que l’exportation de produits de contrefaçon nuit gravement aux intérêts économiques des titulaires des droits de propriété intellectuelle concernés. L’intégrité du marché intérieur exige que les produits fabriqués en son sein respectent les normes de loyauté les plus strictes. Cette solution protège ainsi la réputation collective des dénominations européennes sur la scène commerciale internationale.
B. L’exigence d’une application harmonisée des règles sectorielles
L’interprétation retenue permet une application cohérente des législations horizontales de l’Union en matière de qualité des produits agricoles et viticoles. D’autres textes relatifs aux boissons spiritueuses ou aux vins aromatisés prévoient expressément une protection s’appliquant aux marchandises destinées à l’exportation. La Cour refuse d’introduire une divergence injustifiée entre ces différents régimes de protection des indications géographiques au sein du droit positif. Une exclusion des exportations pour les denrées alimentaires créerait une lacune préjudiciable à la lisibilité globale du dispositif de sauvegarde européen. La sécurité juridique impose donc que les autorités nationales agissent d’office pour arrêter toute utilisation illégale constatée sur leur sol. Cette décision confirme ainsi la volonté de l’Union de maintenir un standard élevé de protection pour l’ensemble de ses signes de qualité.