Cour de justice de l’Union européenne, le 14 juin 2012, n°C-355/11

Par une décision rendue sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié le champ d’application des normes minimales de protection des veaux dans le cadre de la politique agricole commune.

En l’espèce, un éleveur de bétail laitier a fait l’objet d’une réduction de ses paiements directs au titre de la politique agricole commune, après qu’un contrôle a révélé que plusieurs veaux de son exploitation étaient attachés, en violation de la réglementation nationale. Cette réglementation transposait la directive 91/629/CEE, laquelle interdit d’attacher les veaux confinés à des fins « d’élevage et d’engraissement ». L’agriculteur a contesté la sanction, arguant que ses veaux, destinés à la production laitière et non à l’engraissement pour la boucherie, n’entraient pas dans le champ d’application de la directive. Saisie du litige, la juridiction néerlandaise a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’expression « veaux confinés à des fins d’élevage et d’engraissement ». Il s’agissait de déterminer si cette notion incluait les veaux gardés dans une exploitation laitière, et donc si le non-respect de l’interdiction d’attache pouvait justifier une réduction des aides agricoles. La Cour a répondu par l’affirmative, considérant que l’expression visait les veaux confinés à toutes fins agricoles.

Cette solution, qui repose sur une interprétation extensive du champ d’application de la directive (I), renforce la place du bien-être animal comme une exigence fondamentale de la politique agricole commune (II).

I. L’interprétation extensive du champ d’application de la directive sur la protection des veaux

La Cour de justice a écarté une lecture littérale des termes de la directive, qui aurait pu en restreindre la portée (A), pour lui préférer une approche finaliste, fondée sur les objectifs du texte et les principes généraux du droit de l’Union (B).

A. Le rejet d’une lecture restrictive des finalités d’élevage

Le demandeur au principal soutenait une interprétation stricte de la directive 91/629, en affirmant que les termes « élevage et engraissement » excluaient les veaux présents dans les exploitations laitières. Selon cette thèse, seules les exploitations spécialisées dans la production de viande de veau étaient concernées par les normes de protection. La Cour refuse de suivre ce raisonnement en relevant d’abord qu’ « il ne ressort pas du libellé de l’article 1er de cette directive que les caractéristiques de l’exploitation dans laquelle les veaux se trouvaient constituaient un critère pertinent ».

Ensuite, la Cour constate une absence de définition des termes « élevage » et « engraissement » dans la directive elle-même. Procédant à une analyse comparative des différentes versions linguistiques du texte, elle met en évidence des divergences significatives. Elle observe que si la plupart des versions emploient un terme général pour « élevage », certaines, comme la version néerlandaise applicable en l’espèce, utilisent un mot au sens plus étroit, lié à la reproduction. La Cour rappelle à ce titre que « la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». Cette ambiguïté sémantique rendait ainsi une interprétation purement littérale et isolée impossible, et obligeait le juge à rechercher le sens de la norme au-delà de sa seule lettre.

B. La consécration d’une approche téléologique et systémique

Face à l’incertitude textuelle, la Cour a privilégié une interprétation fondée sur la finalité de la directive. Elle rappelle que l’objectif du texte est d’ « établir les normes minimales relatives à la protection des veaux ». Partant de ce postulat, elle considère que les dispositions qui délimitent le champ d’application d’une telle réglementation protectrice « ne sauraient recevoir une interprétation restrictive ». Une lecture qui exclurait une grande partie des veaux confinés au seul motif qu’ils ne sont pas élevés pour leur viande irait à l’encontre de cet objectif de protection générale.

Surtout, la Cour ancre son raisonnement dans le cadre plus large des principes fondamentaux du droit de l’Union. Elle invoque l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui impose à l’Union et aux États membres de tenir « pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles » dans la mise en œuvre de la politique agricole. Cet article confère au bien-être animal le statut d’exigence transversale qui doit guider l’interprétation du droit dérivé. La Cour conclut logiquement que l’expression « veaux confinés à des fins d’élevage et d’engraissement » doit s’entendre de manière large, comme visant « les veaux confinés à toutes fins agricoles », y compris dans le cadre d’une exploitation laitière.

II. La portée de la solution : le bien-être animal comme principe directeur de la politique agricole commune

La décision de la Cour ne se limite pas à une simple clarification technique ; elle confirme le rôle central des normes de bien-être animal dans le régime des aides directes (A) et affirme leur valeur de principe directeur du droit agricole de l’Union (B).

A. Le renforcement des exigences de la conditionnalité des aides

Cet arrêt illustre parfaitement le mécanisme de la conditionnalité des aides de la politique agricole commune. Les paiements directs versés aux agriculteurs sont subordonnés au respect d’un ensemble d’exigences réglementaires en matière de gestion, notamment dans le domaine du bien-être animal. En validant la sanction infligée à l’éleveur, la Cour confirme que le non-respect de ces normes entraîne des conséquences financières directes et que les agriculteurs ne peuvent s’y soustraire par une interprétation opportune des textes.

La solution adoptée rend la conditionnalité plus effective en prévenant les stratégies de contournement. En donnant un champ d’application large à la directive, la Cour assure une application uniforme des standards de protection sur le territoire de l’Union, quel que soit le type de production. Elle envoie un signal clair aux opérateurs économiques : les exigences de bien-être animal ne sont pas des contraintes subsidiaires mais des conditions substantielles de l’octroi des aides publiques. Cette rigueur renforce la légitimité de la politique agricole commune en la liant au respect de valeurs considérées comme fondamentales par la société.

B. L’affirmation du bien-être animal en tant qu’exigence transversale

Au-delà du cas d’espèce, la portée de la décision réside dans la méthode d’interprétation employée par la Cour. L’invocation de l’article 13 du Traité n’est pas anecdotique ; elle élève le bien-être animal au rang de principe d’interprétation du droit de l’Union. La Cour indique ainsi aux juridictions nationales et aux autorités administratives la voie à suivre en cas d’ambiguïté d’une norme relative à la protection des animaux : l’interprétation doit être celle qui favorise le mieux cette protection.

Cette jurisprudence confirme que les objectifs économiques de la politique agricole, tels que le « développement rationnel de la production » mentionné dans les considérants de la directive, ne sauraient occulter ou primer sur l’exigence de bien-être animal. Les deux doivent être conciliés, et le second doit guider la mise en œuvre du premier. L’animal, en tant qu’« être sensible », n’est plus seulement un facteur de production, mais un sujet dont le bien-être constitue une finalité propre de la réglementation, dont le respect conditionne directement le soutien économique de l’Union aux activités agricoles.

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Hassan KOHEN
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