L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur les conditions de remboursement des droits de douane indûment perçus. En l’espèce, une société importatrice avait acquitté des droits antidumping en application d’un règlement de l’Union. Postérieurement, l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce a constaté que ce règlement n’était pas conforme aux accords internationaux. L’importateur a alors sollicité le remboursement des droits versés, mais sa demande a été présentée après l’expiration du délai de prescription de trois ans prévu par le code des douanes communautaire. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour de justice a dû se prononcer sur deux questions. D’une part, il s’agissait de savoir si la déclaration d’illégalité d’un règlement pouvait constituer un cas de force majeure justifiant une prorogation du délai pour demander le remboursement. D’autre part, la Cour était interrogée sur la possibilité pour les autorités douanières nationales de procéder d’office à un tel remboursement suite à la constatation de non-conformité par une instance internationale. La Cour de justice répond par la négative à ces deux interrogations, en retenant une interprétation stricte tant des conditions de prescription que des effets des décisions internationales dans l’ordre juridique de l’Union.
Cette solution conduit à examiner la portée de la forclusion en matière douanière, laquelle est réaffirmée avec rigueur (I), avant d’analyser les conséquences de l’absence d’invocabilité directe des règles de l’Organisation mondiale du commerce (II).
I. La réaffirmation d’une application stricte de la prescription en matière douanière
La Cour de justice refuse d’assouplir le délai de répétition de l’indû, d’abord en écartant la qualification de force majeure pour l’illégalité d’un règlement (A), puis en consacrant la primauté de la sécurité juridique et budgétaire (B).
A. L’illégalité d’un règlement, un événement prévisible exclusif de la force majeure
La Cour de justice énonce de manière péremptoire que « l’illégalité d’un règlement ne constitue pas un cas de force majeure au sens de cette disposition, permettant de proroger le délai de trois ans ». Par cette formule, elle refuse de voir dans la constatation ultérieure de l’invalidité d’un acte de l’Union un événement imprévisible et irrésistible. La jurisprudence de l’Union définit traditionnellement la force majeure comme un ensemble de circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées. Or, pour un opérateur économique avisé, le risque qu’un règlement imposant des droits de douane puisse faire l’objet d’un recours et être déclaré illégal n’est pas considéré comme imprévisible. Cette éventualité fait partie des aléas normaux de la vie des affaires dans un État de droit. La Cour estime donc que l’importateur diligent doit anticiper une telle situation et agir dans les délais impartis pour préserver ses droits, par exemple en introduisant une demande de remboursement à titre conservatoire.
Cette interprétation restrictive de la force majeure, si elle peut paraître sévère pour l’opérateur, s’inscrit dans une logique de responsabilisation des acteurs économiques.
B. La primauté de la sécurité juridique sur l’équité individuelle
En refusant de proroger le délai de prescription, la Cour de justice fait prévaloir l’impératif de sécurité juridique. Les délais de prescription extinctive visent à consolider les situations juridiques et à garantir la stabilité des relations de droit après l’écoulement d’une certaine durée. En matière douanière, cet impératif se double d’une considération budgétaire essentielle pour l’Union et ses États membres. L’impossibilité de remettre en cause indéfiniment la perception des ressources propres de l’Union garantit la prévisibilité et la sécurité de son financement. Permettre une dérogation au délai de trois ans sur le fondement de l’illégalité du règlement reviendrait à créer une insécurité permanente, où toute annulation contentieuse pourrait rouvrir des droits à remboursement pour une période indéterminée. La solution de la Cour, bien que rigoureuse, assure ainsi la cohérence et la pérennité du système douanier et financier de l’Union, au détriment d’une approche au cas par cas qui pourrait sembler plus équitable pour l’opérateur individuel ayant objectivement versé des droits illégaux.
Au-delà de cette question procédurale, la Cour se prononce sur une question substantielle touchant à la hiérarchie des normes et à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union.
II. L’absence d’effet direct des décisions de l’Organe de règlement des différends
La décision de la Cour confirme l’étanchéité de principe de l’ordre juridique de l’Union face aux décisions de l’Organisation mondiale du commerce (A), préservant ainsi l’autonomie institutionnelle de l’Union (B).
A. Le rejet de la justiciabilité des règles de l’OMC au profit des particuliers
La Cour juge que le droit de l’Union « ne permet pas aux autorités douanières nationales de procéder d’office au remboursement de droits antidumping » sur le seul fondement d’une décision de l’Organe de règlement des différends (ORD). Cette position découle d’une jurisprudence constante selon laquelle ni les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ni les décisions de son ORD ne bénéficient, en principe, de l’effet direct dans l’ordre juridique de l’Union. Par conséquent, un particulier ne peut pas les invoquer devant une juridiction nationale ou de l’Union pour contester la validité d’un acte de droit dérivé. La Cour rappelle que le système de règlement des différends de l’OMC est fondé sur des négociations entre les parties contractantes plutôt que sur l’application de règles juridiques par une instance juridictionnelle au profit des particuliers. Admettre le contraire reviendrait à contourner ce principe et à conférer aux règles de l’OMC une portée qu’elles n’ont pas.
Les autorités nationales ne disposent donc pas du pouvoir d’écarter un règlement de l’Union, même en présence d’une condamnation internationale, car seul le droit de l’Union détermine les conditions de validité et d’application des actes qu’il édicte.
B. La préservation de l’autonomie institutionnelle de l’Union
Cette solution est fondamentale pour la protection de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union. Si les autorités douanières nationales pouvaient ou devaient procéder au remboursement d’office suite à une décision de l’ORD, cela signifierait qu’une décision externe à l’Union pourrait directement produire des effets de droit et paralyser l’application d’un règlement. Une telle situation porterait atteinte à l’équilibre institutionnel de l’Union, car il appartient aux institutions de l’Union, et non aux autorités nationales ou à un organe international, de tirer les conséquences d’une non-conformité du droit de l’Union aux règles de l’OMC. C’est donc au législateur de l’Union, en l’occurrence le Conseil et le Parlement, qu’il revient de modifier ou d’abroger le règlement litigieux. La Cour de justice agit en tant que gardienne de cette autonomie, en veillant à ce que l’exécution des obligations internationales de l’Union s’effectue selon les procédures prévues par les traités.