Cour de justice de l’Union européenne, le 14 juin 2018, n°C-39/17

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 14 juin 2018, une décision importante concernant la libre circulation des marchandises au sein du marché unique. Une société par actions simplifiée, spécialisée dans l’industrie chimique, fabrique et commercialise des additifs destinés à des lubrifiants sur le territoire français. Elle est assujettie à une contribution sociale de solidarité annuelle calculée sur la base de son chiffre d’affaires global déclaré à l’administration fiscale. Lors d’une vérification d’assiette pour l’année 2008, l’organisme de recouvrement a constaté une déduction du montant des transferts de stocks vers d’autres États membres. Une mise en demeure a été notifiée à la société le 13 mars 2012 afin de réintégrer ces valeurs représentatives dans la base imposable.

Après avoir été déboutée en première instance puis devant la Cour d’appel de Versailles, la redevable a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle soutenait que l’imposition de ces transferts constituait une taxe d’effet équivalent à un droit de douane car les mouvements internes n’étaient pas taxés. Par un arrêt du 19 janvier 2017, la haute juridiction française a sursis à statuer pour interroger le juge européen sur la validité de cette pratique. La question portait sur la conformité de l’inclusion de la valeur des biens transférés dans le chiffre d’affaires global au regard du droit de l’Union. Dans sa réponse, la juridiction européenne précise que les articles 28 et 30 du Traité ne s’opposent pas à une telle réglementation sous trois conditions cumulatives. Le dispositif souligne notamment que la valeur des biens ne doit pas être comptabilisée une seconde fois lors de la vente ultérieure dans l’État de destination.

**I. La qualification juridique de la contribution sociale de solidarité**

**A. L’intégration des transferts de biens dans le chiffre d’affaires**

La contribution litigieuse repose sur une assiette constituée par le chiffre d’affaires global hors taxes déclaré annuellement par les sociétés assujetties auprès de l’administration. Le droit national assimile le transfert de biens d’une entreprise vers un autre État membre à une livraison de biens effectuée à titre onéreux. Cette fiction juridique permet d’intégrer la valeur représentative des marchandises dans la base de calcul de la taxe dès l’expédition hors du territoire national. La société contestait cette méthode en soulignant qu’elle demeurait propriétaire des produits et qu’aucun chiffre d’affaires réel n’était généré lors du simple déplacement physique. Le juge rappelle toutefois que ces prélèvements influencent directement le coût de mise sur le marché des produits concernés en augmentant mécaniquement la charge fiscale.

**B. La distinction entre taxe d’effet équivalent et imposition intérieure**

La Cour précise qu’une mesure relevant de l’imposition intérieure ne peut pas être qualifiée de taxe d’effet équivalent aux droits de douane dans le système européen. Selon une jurisprudence constante, « constitue une taxe d’effet équivalent à un droit de douane toute charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation ». À l’inverse, l’article 110 du Traité vise les impositions appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs indépendamment de leur origine ou destination. La contribution française frappe au même taux les produits vendus sur le marché national et ceux transférés vers d’autres États membres de l’Union européenne. Cette application uniforme permet d’écarter la qualification de taxe d’effet équivalent au profit de celle d’imposition intérieure sous réserve de vérifications concrètes par le juge.

**II. Les conditions de validité du régime d’imposition des transferts**

**A. La prévention d’une double charge fiscale discriminatoire**

La conformité de la taxe dépend de l’absence de double imposition au cours des différentes étapes de la commercialisation des produits au sein du marché. Pour relever d’un système général d’impositions intérieures, la charge fiscale doit frapper le produit exporté au même stade de commercialisation que le produit national. La valeur des biens transférés ne doit pas être « comptabilisée, une seconde fois, dans l’assiette des contributions litigieuses, lors de leur vente dans cet État ». Un tel cumul entraînerait une surcharge financière pour les marchandises destinées à l’exportation par rapport à celles distribuées exclusivement sur le territoire de l’État d’origine. La réglementation doit également permettre la déduction de la valeur des biens si ces derniers sont réacheminés en France sans avoir été vendus à l’étranger.

**B. L’exigence de neutralité dans l’affectation des recettes perçues**

L’analyse de la validité de l’imposition nécessite d’examiner l’affectation du produit de la taxe afin de vérifier l’existence d’une éventuelle compensation au profit des producteurs. Si les avantages résultant de cette affectation compensent intégralement la charge supportée par le produit national, l’imposition est alors jugée contraire aux articles 28 et 30. En l’espèce, les sommes perçues financent le budget d’organismes de sécurité sociale dont les prestations n’ont pas pour objet de favoriser spécifiquement les entreprises nationales. La Cour de justice considère que les prestations versées aux travailleurs indépendants n’apparaissent pas compenser la charge découlant de la perception des contributions sociales pour les sociétés. Le juge national doit néanmoins s’assurer que l’affectation de ces ressources ne crée pas de distorsion de concurrence au détriment des échanges entre les États membres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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