Cour de justice de l’Union européenne, le 14 juin 2023, n°C-705/21

En l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives. Un litige opposait un consommateur à un établissement de crédit au sujet d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère mais remboursable en monnaie nationale. Ce contrat contenait une clause faisant peser l’intégralité du risque de change sur l’emprunteur. La juridiction nationale, ayant constaté le caractère potentiellement abusif de cette clause, a interrogé la Cour sur les pouvoirs dont elle dispose pour remédier aux conséquences d’une telle stipulation, notamment quant à la possibilité de maintenir le contrat en modifiant ses termes. Le problème de droit soumis à la Cour était donc de déterminer si, en cas de caractère abusif d’une clause de risque de change entraînant l’invalidité du contrat, le juge national peut adapter celui-ci pour en préserver l’existence, ou s’il peut substituer à la clause annulée des dispositions de droit interne de portée générale. Par sa décision, la Cour de justice répond par la négative à ces deux interrogations. Elle juge que la directive 93/13 s’oppose à ce que le juge modifie le contenu des obligations du consommateur ou plafonne le taux de change pour maintenir le contrat. De même, elle exclut le remplacement de la clause abusive par des dispositions de droit national général si une telle opération requiert une intervention du juge assimilable à une révision du contenu contractuel. Il convient ainsi d’analyser le pouvoir limité du juge national face à une clause abusive (I), avant d’étudier la nullité du contrat comme sanction privilégiée de la clause de risque de change (II).

I. Le pouvoir limité du juge national face à une clause abusive

La Cour de justice encadre strictement les prérogatives du juge national lorsqu’il est confronté à une clause jugée abusive. Elle affirme ainsi une interdiction de principe de la révision du contrat (A) et précise les conditions restrictives d’une éventuelle substitution par des normes de droit interne (B).

A. L’interdiction de la révision du contrat par le juge

La décision commentée réaffirme avec force le principe selon lequel le juge national ne peut se substituer aux parties pour modifier l’économie d’un contrat déséquilibré par une clause abusive. La Cour énonce clairement que la directive « s’oppose à ce que […] ce contrat soit déclaré valide et que le contenu des obligations du consommateur découlant de ladite clause soit adapté au moyen d’une modification de la devise dudit contrat et du taux d’intérêt fixé dans celui-ci ou d’un plafonnement du taux de change de cette devise ». Cette position vise à garantir l’effet dissuasif de la sanction attachée aux clauses abusives. En effet, si le juge pouvait simplement amender la clause ou en modérer les effets, le professionnel n’aurait aucune incitation à s’abstenir d’insérer de telles stipulations dans ses contrats. L’objectif protecteur de la directive serait alors compromis, le seul risque pour le professionnel étant de voir son contrat rééquilibré par le juge, sans autre conséquence négative. La Cour refuse donc au juge le pouvoir de réécrire le contrat, même dans l’intention de le sauvegarder.

B. Le refus d’une substitution par des dispositions de droit national général

La Cour étend son raisonnement en limitant la possibilité pour le juge de combler le vide laissé par l’éviction de la clause abusive. Elle précise que le remplacement par une disposition de droit national n’est pas possible si cette opération « ne nécessitait pas une intervention de la part de celui-ci qui reviendrait à réviser le contenu d’une clause abusive ». La substitution n’est admise que si une disposition nationale supplétive peut remplacer la clause sans que le juge ait à exercer une appréciation ou à procéder à une adaptation du contrat. L’intervention judiciaire doit se borner à un simple remplacement mécanique, sans quoi elle s’analyserait en une révision déguisée, que la Cour prohibe. Cette restriction est fondamentale, car elle empêche le juge de reconstruire le contrat sur la base de principes généraux du droit des obligations, tels que la bonne foi ou l’équité, qui exigeraient une analyse au cas par cas et une intervention active dans la définition des obligations des parties. La Cour privilégie ainsi une application stricte de la sanction de la clause abusive, qui doit être réputée non écrite.

II. La nullité du contrat comme sanction privilégiée de la clause de risque de change

En limitant drastiquement les possibilités d’adaptation du contrat, la Cour fait de sa nullité la conséquence principale de l’invalidité de la clause de risque de change. Cette solution, bien que radicale, apparaît comme la plus protectrice pour le consommateur (A) et confirme une orientation jurisprudentielle constante qui en renforce la portée (B).

A. Une solution protectrice du consommateur et à l’effet dissuasif

La conséquence directe de l’impossibilité de réviser ou de substituer la clause abusive est que le contrat ne peut être maintenu si cette clause est essentielle à son économie. Dans le cas d’un prêt en devise étrangère, la clause de risque de change est un élément structurant de l’accord des parties. Son annulation sans remplacement rend le plus souvent le contrat inapplicable, conduisant à sa nullité totale. Cette issue, si elle peut paraître sévère, est en réalité la plus conforme à l’objectif de la directive 93/13. Elle assure un haut niveau de protection au consommateur en le libérant d’un contrat devenu excessivement onéreux. Surtout, elle produit un effet dissuasif maximal à l’encontre des professionnels, qui supportent alors le risque de l’anéantissement complet de l’opération en cas d’utilisation de clauses abusives. La nullité du contrat devient ainsi l’arme la plus efficace pour assainir les pratiques contractuelles et rétablir l’équilibre entre les parties.

B. La portée de la solution : une confirmation de la jurisprudence européenne

Cet arrêt ne constitue pas une rupture, mais s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie de la Cour de justice. En refusant au juge national le pouvoir de moduler les effets d’une clause abusive pour sauver le contrat, la Cour confirme que la sanction doit être effective et dissuasive. La primauté est donnée à l’élimination pure et simple de la clause, quitte à ce que le contrat dans son ensemble ne puisse y survivre. La portée de cette décision est donc de consolider cette ligne jurisprudentielle et d’envoyer un signal clair aux juridictions nationales qui seraient tentées de privilégier la survie du contrat au détriment de l’effectivité de la protection des consommateurs. La Cour rappelle que le principe de sécurité juridique ou de stabilité contractuelle ne saurait justifier de déroger aux exigences impératives du droit de l’Union en matière de clauses abusives. L’équilibre contractuel ne peut être restauré par un activisme judiciaire, mais par la sanction rigoureuse des stipulations qui le vicient.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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