Cour de justice de l’Union européenne, le 14 mai 1998, n°C-368/97

Par un arrêt en date du 14 mai 1998, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre du Royaume de Belgique. La décision portait sur l’absence de transposition dans le délai imparti de la directive 94/57/CE du Conseil, relative aux organismes habilités à effectuer l’inspection et la visite des navires. En l’espèce, les États membres disposaient d’un délai expirant le 31 décembre 1995 pour mettre en œuvre les dispositions nationales nécessaires à la bonne application de cette directive.

Constatant l’absence de communication des mesures de transposition de la part des autorités belges, la Commission a engagé la procédure prévue à l’article 169 du traité CE. Une lettre de mise en demeure a été adressée le 27 février 1996, suivie d’un avis motivé le 22 novembre 1996, invitant l’État membre à se conformer à ses obligations. En réponse, le gouvernement belge a fait état de l’élaboration en cours d’un projet d’arrêté ministériel, sans toutefois notifier une adoption définitive des mesures requises. Face à cette situation, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours visant à faire constater le manquement. Devant la Cour, le Royaume de Belgique n’a pas contesté le retard, se bornant à indiquer que la procédure interne de concertation était achevée et que l’adoption formelle de l’acte de transposition était imminente.

La question de droit soumise à la Cour était de déterminer si le non-respect du délai de transposition d’une directive constitue, à lui seul, un manquement aux obligations découlant du traité, indépendamment des difficultés ou procédures administratives internes invoquées par l’État membre.

La Cour de justice a répondu par l’affirmative en déclarant le recours fondé. Elle a jugé que « en n’adoptant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive. » La solution réaffirme avec clarté le caractère objectif du manquement, la simple expiration du délai suffisant à le constituer.

I. La constatation formelle du manquement à l’obligation de transposition

L’arrêt illustre la mécanique du recours en manquement, où la Cour se livre à une vérification objective de l’inexécution d’une obligation communautaire (A), sans que les justifications tirées de l’ordre interne de l’État membre ne puissent être prises en considération (B).

A. Le caractère objectif de l’infraction au droit communautaire

La procédure en manquement est l’instrument principal garantissant le respect par les États membres de leurs engagements. Dans cette affaire, la Commission, en sa qualité de gardienne des traités, a exercé la mission de surveillance qui lui est conférée par le droit primaire. La chronologie des faits rapportée par l’arrêt révèle une démarche graduée, de la mise en demeure à la saisine de la juridiction, visant à permettre à l’État de régulariser sa situation.

Le rôle de la Cour se limite ensuite à un constat. Il ne s’agit pas de sanctionner une intention ou une négligence coupable, mais de constater objectivement une défaillance. Le seul fait matériel de l’absence des mesures de transposition à la date butoir du 31 décembre 1995 suffisait à caractériser l’infraction. Le raisonnement de la Cour est lapidaire et ne s’attarde pas sur les causes du retard, car la seule existence du manquement à l’expiration du délai rend le recours de la Commission fondé. Cette approche formaliste est essentielle pour assurer l’application uniforme et simultanée du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union.

B. L’indifférence des justifications d’ordre interne

Face au recours de la Commission, le gouvernement belge a tenté de minimiser sa défaillance en invoquant des considérations procédurales internes. Il a fait valoir que « la procédure interne de concertation avec les gouvernements régionaux compétents est terminée et que l’arrêté ministériel […] sera prochainement signé. » Cet argument, qui consiste à justifier un retard par des contraintes propres à l’organisation administrative ou politique nationale, est systématiquement écarté par la jurisprudence communautaire.

En ne retenant pas cette défense, la Cour rappelle un principe fondamental de l’ordre juridique communautaire : un État membre ne saurait invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations nées du droit communautaire. La complexité d’une procédure législative nationale, les retards administratifs ou les difficultés politiques ne constituent pas des circonstances exonératoires. La solution est constante et nécessaire à la primauté et à l’effectivité du droit de l’Union, qui seraient compromises si chaque État pouvait se prévaloir de ses propres règles pour différer l’application des normes communes.

II. Le rappel des exigences fondamentales de l’ordre juridique communautaire

Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt est l’occasion de réaffirmer l’impératif d’effectivité attaché à la directive (A) ainsi que le rôle central de l’obligation de coopération loyale qui pèse sur les États membres (B).

A. La force contraignante du délai de transposition

La directive est un acte de droit dérivé qui lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat ne serait cependant qu’illusoire si elle n’était pas assortie d’une contrainte temporelle. Le délai de transposition fixé par l’article 16 de la directive n’est pas une simple indication, mais une composante essentielle de la force obligatoire de l’acte.

Le respect de ce délai garantit la sécurité juridique pour les particuliers et les entreprises, qui doivent pouvoir se fier à une application effective et simultanée des règles harmonisées dans tous les États membres. Un retard dans la transposition, comme en l’espèce, crée une situation d’incertitude et peut fausser les conditions de concurrence au sein du marché intérieur. En jugeant que le simple dépassement du délai suffit à constituer un manquement, la Cour souligne que l’obligation de transposer est une obligation de résultat devant être satisfaite dans un cadre temporel strict et impératif.

B. La portée de l’obligation de coopération loyale

L’arrêt, bien qu’il ne le mentionne pas explicitement, est une application directe du principe de coopération loyale, anciennement consacré à l’article 5 du traité CE. Ce principe impose aux États membres de prendre toutes les mesures, générales ou particulières, propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions. L’obligation de transposer une directive en est une manifestation évidente.

En s’abstenant d’adopter les dispositions nécessaires dans le délai prescrit, un État membre ne viole pas seulement la directive elle-même, mais il porte également atteinte à ce devoir de coopération qui fonde la structure de l’Union. La procédure en manquement apparaît alors comme le remède ultime à une défaillance dans cette coopération. La décision, bien que rendue dans une affaire somme toute banale de non-transposition, revêt une portée systémique. Elle rappelle que la construction communautaire repose sur la confiance mutuelle et sur l’engagement de chaque État à garantir, sur son territoire, le plein effet du droit commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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