Cour de justice de l’Union européenne, le 14 mai 2020, n°C-17/19

Par un arrêt en date du 14 mai 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des certificats de détachement en matière de sécurité sociale. En l’espèce, plusieurs sociétés établies en France, chargées de la construction d’un réacteur nucléaire, avaient eu recours à des sous-traitants et à une société de travail temporaire, lesquelles employaient des travailleurs étrangers sur le chantier. À la suite de la découverte de conditions de travail et d’hébergement irrégulières ainsi que de nombreux accidents du travail non déclarés, des poursuites pénales ont été engagées contre ces sociétés pour, notamment, des faits de travail dissimulé et de prêt illicite de main-d’œuvre.

Les sociétés mises en cause ont été condamnées par le tribunal d’instance de Cherbourg le 7 juillet 2015, une décision partiellement confirmée par la cour d’appel de Caen le 20 mars 2017. Les juges du fond ont notamment retenu le délit de travail dissimulé, considérant que les employeurs avaient omis de procéder aux déclarations préalables à l’embauche et aux déclarations sociales en France. Ils ont estimé que les sociétés sous-traitantes exerçaient en réalité une activité habituelle, stable et continue en France, ce qui les privait du bénéfice du régime du détachement. Les employeurs ont alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que les juridictions du fond avaient méconnu les effets attachés aux certificats E 101 et A 1 délivrés pour les travailleurs concernés, lesquels attestent de leur affiliation au régime de sécurité sociale de leur État d’origine.

La Cour de cassation a alors sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si un certificat E 101 ou A 1, attestant de la législation de sécurité sociale applicable, lie également les juridictions de l’État d’accueil pour déterminer la législation applicable en matière de droit du travail, notamment en ce qui concerne les obligations déclaratives incombant à l’employeur préalablement à l’embauche.

La Cour de justice répond que l’effet contraignant de ces certificats est strictement limité à la matière de la sécurité sociale. Elle précise ainsi que « l’article 11, paragraphe 1, sous a), l’article 12 bis, point 2, sous a), et point 4, sous a), du règlement n o 574/72 ainsi que l’article 19, paragraphe 2, du règlement n o 987/2009 doivent être interprétés en ce sens qu’un certificat E 101 […] et un certificat A 1 […] s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale ». Cette décision conduit à examiner la portée rigoureusement définie du certificat de détachement (I), avant d’analyser les conséquences de la distinction opérée entre les obligations de sécurité sociale et celles relevant du droit du travail (II).

I. La portée strictement délimitée du certificat de détachement

La Cour de justice, tout en rappelant la force probante du certificat A1 en matière de sécurité sociale (A), en circonscrit fermement les effets à ce seul domaine, excluant toute extension automatique au droit du travail (B).

A. La réaffirmation de l’effet contraignant du certificat en matière de sécurité sociale

La Cour rappelle avec constance que les certificats E 101 et A 1 ont pour objet de faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services au sein de l’Union. Ces documents créent une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l’État membre d’émission. En vertu du principe de coopération loyale, « ces derniers s’imposent, en principe, à l’institution compétente et aux juridictions de l’État membre dans lequel ce travailleur effectue un travail ».

Cette force contraignante implique que, tant que le certificat n’a pas été retiré ou déclaré invalide par l’institution émettrice, les autorités de l’État d’accueil ne peuvent soumettre le travailleur à leur propre régime de sécurité sociale. Ce principe demeure valable même lorsque les conditions d’activité du travailleur ne semblent manifestement pas correspondre aux critères du détachement. Seule une procédure spécifique, initiée par l’État d’accueil et permettant de démontrer une fraude, peut exceptionnellement permettre à une juridiction d’écarter un tel certificat, si l’institution émettrice s’est abstenue de réexaminer la situation dans un délai raisonnable.

B. L’exclusion de l’effet contraignant du certificat en dehors de la sécurité sociale

La Cour de justice établit cependant une limite claire à cette force obligatoire. Elle juge que si les certificats produisent des effets contraignants, ceux-ci « sont limités aux seules obligations imposées par les législations nationales en matière de sécurité sociale visées par la coordination effectuée par les règlements n os 1408/71 et 883/2004 ». Le champ d’application de ces règlements est en effet défini de manière précise et ne concerne que les branches de la sécurité sociale qu’ils énumèrent.

Il s’ensuit que ces certificats ne lient ni les institutions ni les juridictions de l’État d’accueil pour des matières autres que la sécurité sociale. La Cour mentionne explicitement « celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers ». Par conséquent, le certificat A 1 ne saurait faire obstacle à l’application de dispositions nationales relevant du droit du travail, même si ces dernières prévoient des obligations déclaratives pour l’employeur. La Cour opère ainsi une dissociation nette entre le champ de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale et la compétence des États membres pour régir les relations de travail sur leur territoire.

Cette distinction confère au juge national une responsabilité nouvelle dans l’appréciation des obligations qui pèsent sur l’employeur.

II. Les conséquences de la dissociation entre droit de la sécurité sociale et droit du travail

En renvoyant l’analyse de la finalité de l’obligation déclarative au juge national (A), la Cour de justice offre aux États membres un outil essentiel pour la préservation de l’ordre public social et la protection des droits des travailleurs (B).

A. Le rôle déterminant du juge national dans la qualification des obligations déclaratives

La Cour de justice s’abstient de qualifier elle-même la déclaration préalable à l’embauche prévue par le droit français. Elle rappelle qu’il ne lui appartient pas d’interpréter les dispositions législatives nationales. Elle renvoie donc cette tâche à la juridiction de renvoi, en lui fournissant une grille d’analyse claire. Le juge national doit déterminer si l’obligation en cause poursuit un objectif unique de contrôle de l’affiliation sociale ou si elle vise également, même partiellement, d’autres finalités.

Ainsi, « il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’obligation de déclaration préalable à l’embauche […] a pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de sécurité sociale […], ou, alternativement, si cette obligation vise également, fût-ce en partie, à garantir l’efficacité des contrôles […] afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail ». Dans le premier cas, le certificat A 1 ferait obstacle à l’exigence de cette déclaration. Dans le second, il serait sans incidence, l’État d’accueil restant compétent pour imposer une telle formalité.

B. Une clarification essentielle pour la lutte contre le travail dissimulé et la protection des travailleurs

La solution retenue par la Cour de justice revêt une portée pratique considérable. Elle préserve la capacité des États membres à contrôler les conditions dans lesquelles une activité salariée est exercée sur leur territoire. En permettant de maintenir des obligations déclaratives relevant du droit du travail, la Cour empêche que le certificat de détachement puisse être utilisé comme un instrument pour se soustraire à l’ensemble des règles impératives de l’État d’accueil.

Cette jurisprudence fournit ainsi un fondement solide pour lutter plus efficacement contre les situations de fraude au détachement et de travail dissimulé. Elle garantit que les autorités nationales, comme les inspections du travail, conservent les moyens de vérifier le respect des droits fondamentaux des travailleurs, tels que le salaire minimum, le temps de travail ou les règles de santé et de sécurité. La décision renforce l’équilibre entre la liberté de prestation de services et la nécessité de protéger les travailleurs, en réaffirmant que le principe de coordination des systèmes de sécurité sociale ne doit pas conduire à une érosion des standards sociaux de l’État d’accueil.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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