Cour de justice de l’Union européenne, le 14 mai 2020, n°C-924/19

Par un arrêt dont les motifs sont ici rapportés, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la conformité au droit de l’Union de la législation d’un État membre en matière d’asile et de retour. En l’espèce, des ressortissants de pays tiers, arrivés sur le territoire d’un État membre par voie terrestre, ont été placés dans une zone de transit située à la frontière. Leurs demandes de protection internationale ont été rejetées par les autorités nationales au motif qu’ils avaient transité par un pays considéré comme sûr. Maintenus dans cette zone, ils ont contesté la légalité de leur situation et des décisions prises à leur encontre.

Saisie par une juridiction nationale dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice a été interrogée sur plusieurs points cruciaux du droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si le droit européen s’opposait à une législation nationale qui, d’une part, limite le contrôle juridictionnel sur certaines décisions administratives, notamment la modification du pays de destination d’une mesure de retour, et qui, d’autre part, instaure un motif d’irrecevabilité des demandes d’asile non prévu par les directives. La question de la qualification juridique du maintien dans les zones de transit et des conditions de cette mesure était également au cœur du litige.

La Cour répond que le droit de l’Union, et en particulier le droit à une protection juridictionnelle effective, impose un plein contrôle judiciaire sur toute décision affectant les droits des demandeurs d’asile et des personnes en situation de retour. Elle juge également qu’une demande d’asile ne peut être rejetée comme irrecevable pour le seul motif que le demandeur a transité par un pays où il ne serait pas exposé à des risques, si ce motif n’est pas expressément prévu par le droit de l’Union. Enfin, elle qualifie la privation de liberté dans une zone de transit de « rétention » et en encadre strictement les conditions et la durée. La Cour renforce ainsi les garanties procédurales et le contrôle du juge sur les mesures d’éloignement et de privation de liberté (I), tout en précisant l’interprétation des conditions matérielles de l’asile et de l’accueil (II).

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I. Le renforcement des garanties procédurales et du contrôle juridictionnel

La Cour de justice de l’Union européenne réaffirme avec force le rôle central du juge national dans la protection des droits des ressortissants de pays tiers. Elle étend le périmètre du contrôle juridictionnel à des décisions qui pourraient sembler purement administratives (A) et rappelle l’obligation pour le juge d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union, y compris en écartant des décisions nationales définitives (B).

A. L’extension du droit à un recours effectif contre les décisions de retour

Le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, constitue une pierre angulaire du système juridique de l’Union. Dans cette décision, la Cour en fait une application rigoureuse en matière de modification du pays de destination d’une décision de retour. Elle juge que l’article 13 de la directive 2008/115/CE « s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle la modification, par une autorité administrative, du pays de destination mentionné dans une décision de retour antérieure ne peut être contestée […] qu’au moyen d’un recours formé devant une autorité administrative, sans que soit garanti un contrôle juridictionnel ultérieur ».

Cette solution consacre l’idée que la modification du pays de renvoi n’est pas un simple acte d’exécution, mais une décision nouvelle qui affecte substantiellement la situation du ressortissant concerné. Le choix du pays de destination est en effet déterminant au regard du risque de violation du principe de non-refoulement. En exigeant un contrôle juridictionnel, la Cour garantit que cette appréciation ne soit pas laissée à la seule discrétion de l’administration. Le juge national est ainsi érigé en garant ultime du respect des droits fondamentaux dans la mise en œuvre de la politique de retour.

B. La primauté du droit de l’Union sur les décisions nationales définitives

La Cour va plus loin en précisant les conséquences d’un constat de contrariété d’une décision administrative au droit de l’Union, même lorsque cette décision est devenue définitive en droit interne. Elle affirme que l’existence d’un arrêt de la Cour constatant l’incompatibilité d’une réglementation nationale avec le droit de l’Union « constitue un élément nouveau relatif à l’examen d’une demande de protection internationale ». En conséquence, une demande d’asile antérieurement rejetée sur la base de cette réglementation non conforme peut faire l’objet d’un réexamen.

Cette approche met en lumière le principe de coopération loyale et l’obligation pour toutes les autorités des États membres, y compris les autorités administratives, de tirer les conséquences des arrêts de la Cour de justice. Elle empêche qu’une situation juridiquement viciée à l’origine ne soit perpétuée au seul motif de l’autorité de la chose jugée au niveau national. La Cour impose ainsi une forme de révision implicite des décisions administratives lorsque leur fondement légal est invalidé, assurant une application uniforme et effective du droit d’asile de l’Union. Le juge national, en l’absence de voies de droit spécifiques, doit se déclarer compétent pour assurer ce contrôle.

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II. L’encadrement strict des conditions matérielles de l’asile et de la rétention

Au-delà des garanties procédurales, la Cour se prononce sur le fond du droit d’asile, en invalidant une conception nationale trop restrictive des conditions d’examen des demandes (A) et en apportant des clarifications essentielles sur la nature et le régime de la privation de liberté des demandeurs (B).

A. Le rejet de la notion de pays de transit sûr comme motif d’irrecevabilité

La Cour examine la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qui permet de rejeter une demande de protection internationale au seul motif que le demandeur est arrivé via un pays considéré comme sûr. Sa réponse est sans équivoque : l’article 33 de la directive 2013/32/UE « s’oppose à une réglementation nationale permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale » sur un tel fondement. La Cour rappelle que les motifs d’irrecevabilité sont listés de manière exhaustive dans la directive et ne peuvent être complétés par les États membres.

Cette interprétation stricte préserve l’économie générale du régime d’asile européen commun. Elle interdit aux États membres de créer des filtres nationaux qui feraient obstacle à l’examen au fond d’une demande de protection, en dehors des cas expressément prévus par le législateur de l’Union. La notion de « pays tiers sûr » ou de « premier pays d’asile » est précisément encadrée par le droit de l’Union et ne peut être appliquée de manière extensive et unilatérale par un État membre. La Cour garantit ainsi que chaque demande soit examinée individuellement, conformément aux exigences de la Convention de Genève et du droit de l’Union.

B. La qualification de rétention et ses conséquences juridiques

L’un des apports majeurs de l’arrêt réside dans la qualification de la situation des demandeurs d’asile dans les zones de transit. La Cour estime que « l’obligation faite à un ressortissant d’un pays tiers de demeurer en permanence dans une zone de transit dont le périmètre est restreint et clos […] apparaît comme une privation de liberté, caractéristique d’une “rétention” ». En retenant cette qualification, la Cour fait entrer cette mesure dans le champ d’application des directives 2008/115/CE et 2013/33/UE et soumet la pratique nationale à des conditions strictes.

Dès lors, la rétention ne peut être justifiée par le seul fait que le demandeur ne peut subvenir à ses besoins. Elle doit faire l’objet d’une décision individuelle, motivée, examinant sa nécessité et sa proportionnalité, et être soumise à un contrôle juridictionnel rapide. De plus, la Cour juge que la rétention d’un demandeur de protection internationale dans une zone de transit ne peut excéder quatre semaines. Cette limitation temporelle, combinée à l’exigence d’un contrôle de légalité et de proportionnalité, vise à empêcher que les zones de transit ne deviennent des lieux de détention de durée indéterminée, en dehors du cadre légal protecteur prévu par le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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