Par un arrêt rendu en procédure préjudicielle d’urgence, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du droit d’accès à un avocat, tel que garanti par la directive 2013/48/UE. En l’espèce, une personne avait été arrêtée en Bulgarie pour son implication présumée dans un vol avec violence. Ne maîtrisant pas la langue bulgare à l’écrit et étant analphabète, elle avait signé une déclaration de renonciation à son droit d’être assistée par un avocat, sans que les conséquences d’un tel choix lui soient expliquées et sans que les formes procédurales nationales prévues pour une telle situation soient respectées. Par la suite, plusieurs actes d’enquête, incluant son audition au cours de laquelle elle a reconnu les faits, ont été menés en l’absence d’avocat.
La procédure ultérieure a révélé un conflit entre la juridiction de jugement, le Sofiyski rayonen sad, et l’instance supérieure, le Sofiyski gradski sad. La première estimait que la mesure de détention provisoire ne pouvait se fonder sur des éléments de preuve recueillis en violation du droit à un avocat. La seconde juridiction annulait systématiquement ces décisions, imposant le maintien en détention et considérant que la juridiction du fond ne pouvait apprécier la légalité des preuves à ce stade. Face à cette situation, la juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles visant à clarifier l’étendue des garanties entourant le droit à l’avocat et le rôle du juge national dans leur protection.
Les questions posées à la Cour portaient essentiellement sur la validité de la renonciation au droit à un avocat par une personne vulnérable et sur l’obligation pour une juridiction nationale de contrôler la légalité des preuves lors de l’examen d’une mesure de sûreté privative de liberté. En réponse, la Cour affirme avec force que les exigences de la directive doivent être interprétées de manière à garantir une protection concrète et effective des droits de la défense dès les premiers instants de la procédure. Elle juge qu’une renonciation au droit à l’avocat par un suspect analphabète est invalide si elle n’a pas été éclairée par des explications adaptées à sa situation. De plus, elle consacre le pouvoir et le devoir du juge national d’écarter les preuves obtenues illégalement, y compris lors de la décision sur une mesure de détention provisoire.
L’analyse de la décision révèle que la Cour renforce substantiellement les garanties procédurales en encadrant strictement les conditions de la renonciation au droit à l’avocat (I), avant de confirmer le rôle essentiel du juge national comme gardien de l’effectivité de ces droits (II).
I. Le strict encadrement de la renonciation au droit à l’avocat
La Cour de justice précise les conditions de fond et de forme qui gouvernent la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat. Elle insiste sur la nécessité d’une renonciation parfaitement éclairée, surtout pour une personne vulnérable (A), et en limite la portée dans le temps en rappelant la possibilité de sa révocation (B).
A. L’exigence d’une renonciation éclairée et non équivoque
La Cour interprète l’article 9 de la directive 2013/48 pour en déduire qu’une renonciation ne peut être valable que si elle est faite en pleine connaissance de cause. Elle rappelle que le droit à l’avocat est un principe fondamental, dont la renonciation doit satisfaire à deux conditions cumulatives : le suspect doit avoir reçu des informations claires sur la teneur de ce droit et les conséquences de sa renonciation, et cette dernière doit être formulée « de plein gré et sans équivoque ». L’apport de l’arrêt réside dans l’application de ces principes à la situation d’un suspect vulnérable. L’analphabétisme est explicitement qualifié de facteur de vulnérabilité qui impose aux autorités une diligence accrue.
La Cour juge ainsi que « la déclaration de renonciation au droit d’accès à un avocat par un suspect analphabète ne saurait être considérée comme étant conforme aux exigences posées à cet article 9, paragraphe 1, lorsque ce suspect n’a pas été informé, d’une manière qui tienne dûment compte de sa situation particulière, des conséquences éventuelles d’une telle renonciation ». En outre, la validité de la renonciation est subordonnée au respect des procédures nationales de consignation, qui doivent permettre un contrôle effectif du consentement. La simple signature d’un document pré-rempli, en violation des règles procédurales internes, ne suffit pas à établir une renonciation valide. La Cour privilégie une approche matérielle de la protection, s’assurant que le consentement est réel et non simplement formel.
B. La portée temporelle limitée de la renonciation
La Cour examine ensuite la persistance d’une renonciation initiale au fil de la procédure d’enquête. Elle se fonde sur l’article 9, paragraphe 3, de la directive, qui garantit au suspect le droit de révoquer sa renonciation à tout moment. La question était de savoir si les autorités avaient l’obligation de rappeler cette faculté avant chaque nouvel acte d’enquête. La réponse de la Cour est nuancée mais protectrice, en particulier pour les personnes vulnérables.
Elle établit que, face à un suspect en situation de vulnérabilité, les autorités ont une obligation positive de l’informer de sa possibilité de révocation avant certains actes d’enquête. Plus précisément, cette information doit être réitérée « avant qu’il ne soit procédé à tout acte d’enquête ultérieur au cours duquel, compte tenu de l’intensité et de l’importance de cet acte d’enquête, l’absence d’un avocat est susceptible de nuire particulièrement aux intérêts et aux droits de ladite personne ». Sont notamment visés les interrogatoires, les séances d’identification ou les reconstitutions. Par cette interprétation, la Cour s’assure que la renonciation ne devienne pas un blanc-seing irrévocable pour la suite de la procédure. Elle transforme une faculté de révocation passive en un droit activement protégé par les autorités, empêchant qu’une décision initiale, potentiellement mal comprise, ne vicie l’ensemble des actes subséquents.
II. La consécration du juge national comme gardien des droits procéduraux
Après avoir défini les conditions strictes de la renonciation, la Cour se penche sur les conséquences de leur violation. Elle réaffirme un principe classique du droit de l’Union interdisant à l’État de se prévaloir de ses propres manquements (A), puis confère au juge national un pouvoir de contrôle étendu sur la légalité des preuves, même aux stades préliminaires de la procédure (B).
A. L’inopposabilité des dérogations non transposées
La Cour répond à la question de savoir si les autorités nationales pouvaient invoquer une dérogation temporaire au droit à l’avocat, prévue par la directive mais non transposée en droit interne. Se fondant sur une jurisprudence constante, elle rappelle qu’une directive ne peut par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier. Par conséquent, une autorité publique ne peut se prévaloir à l’encontre d’un individu d’une disposition d’une directive qui n’a pas été transposée, surtout lorsque cette disposition vise à restreindre un droit.
La Cour déclare ainsi que « en l’absence de transposition de cette disposition dans l’ordre juridique national, les autorités de police de l’État membre concerné ne sauraient invoquer ladite disposition à l’égard d’un suspect ou d’une personne poursuivie afin de déroger à l’application du droit d’accès à un avocat ». Cette solution, bien que classique, est un rappel opportun du principe de sécurité juridique et de l’effet direct vertical des directives. L’État ne peut tirer avantage de sa propre négligence à transposer correctement le droit de l’Union, particulièrement quand il s’agit de limiter les droits fondamentaux d’une personne poursuivie.
B. Le pouvoir d’appréciation et d’éviction des preuves illégales
L’apport le plus significatif de l’arrêt concerne le rôle du juge national confronté à des éléments de preuve potentiellement obtenus en violation du droit à l’avocat. La Cour affirme sans ambiguïté que le respect des droits de la défense, garanti par l’article 12 de la directive et l’article 47 de la Charte, doit être assuré à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’examen d’une mesure de sûreté. Le principe d’autonomie procédurale des États membres trouve ici sa limite dans le principe d’effectivité du droit de l’Union.
La Cour juge qu’une jurisprudence nationale qui priverait une juridiction de la possibilité d’examiner la légalité des preuves au soutien d’une demande de détention provisoire est contraire au droit de l’Union. Elle énonce qu’une juridiction « qui examine l’implication d’un prévenu dans une infraction pénale afin de déterminer le caractère adéquat de la mesure de sûreté […] n’est pas privée de la possibilité […] d’apprécier si des éléments de preuve ont été obtenus en méconnaissance des prescriptions de cette directive et, le cas échéant, d’écarter de tels éléments de preuve ». Cette solution est capitale : elle garantit que le contrôle de la légalité n’est pas reporté à l’audience de jugement, mais s’exerce dès que la liberté individuelle est en jeu. Le juge national est ainsi érigé en premier garant de l’effectivité des droits conférés par la directive, y compris contre des interprétations contraires issues de sa propre hiérarchie judiciaire.