Cour de justice de l’Union européenne, le 14 mars 2017, n°C-188/15

La Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 14 mars 2017, une décision fondamentale relative à la discrimination religieuse. Une ingénieure fut recrutée par une société de conseil informatique alors qu’elle portait un voile, malgré les réserves exprimées par son employeur lors d’entretiens. Suite à une mission, un client a manifesté son mécontentement et a exigé que la salariée ne porte plus ce signe religieux lors de ses interventions. L’employeur a demandé à l’intéressée de retirer son foulard, mais son refus catégorique a conduit à un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Le Conseil de prud’hommes de Paris, par un jugement du 4 mai 2011, a d’abord rejeté la demande tendant à la nullité de la rupture. La Cour d’appel de Paris a confirmé cette analyse le 18 avril 2013 en jugeant que la restriction était justifiée par les intérêts de l’entreprise. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a sursis à statuer le 9 avril 2015 pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive. La question posée visait à déterminer si le souhait d’un client constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante justifiant une différence de traitement religieuse. La Cour de justice a répondu par la négative, affirmant qu’une telle volonté subjective ne saurait caractériser une exception légitime au principe d’égalité de traitement. L’étude de cette solution conduit à examiner la définition rigoureuse de l’exigence professionnelle avant d’apprécier son impact sur la protection des libertés individuelles.

I. La délimitation stricte de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante

A. L’objectivation nécessaire des conditions d’exercice de l’activité

La Cour de justice souligne que l’exception au principe de non-discrimination doit rester strictement encadrée pour préserver l’effet utile de la directive européenne. Elle précise que « la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante » […] renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité ». Cette approche impose aux juges nationaux de vérifier si la caractéristique liée à la religion est indispensable à l’exécution correcte du contrat de travail. L’exigence doit présenter un caractère objectif et proportionné, interdisant ainsi toute interprétation extensive qui viderait le droit fondamental de sa substance protectrice initiale.

B. L’éviction des considérations subjectives liées à la clientèle

Les juges luxembourgeois écartent fermement la prise en compte des préférences de la clientèle pour justifier une différence de traitement fondée sur la religion. Ils affirment que cette notion « ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ». Une telle position interdit de transformer les préjugés ou les sensibilités esthétiques des tiers en une contrainte professionnelle opposable à la liberté du salarié. La solution garantit que les choix commerciaux de l’entreprise ne priment pas sur le respect des droits de l’homme au sein de la relation laborale.

II. La portée de la protection contre les discriminations religieuses en entreprise

A. La distinction fondamentale entre discrimination directe et indirecte

Le raisonnement de la Cour invite la juridiction de renvoi à qualifier précisément la nature de la différence de traitement subie par la salariée licenciée. Une règle interne interdisant de manière générale le port visible de signes politiques ou religieux pourrait constituer une discrimination indirecte si elle est objectivement justifiée. Toutefois, en l’absence d’une telle disposition neutre, le licenciement fondé sur le refus d’ôter un voile à la demande d’un client caractérise une discrimination directe. La distinction est cruciale car les possibilités de justification sont beaucoup plus restreintes dans l’hypothèse d’une discrimination directe touchant directement l’appartenance religieuse.

B. La conciliation entre liberté religieuse et intérêts commerciaux

Cette décision renforce la protection des travailleurs en limitant le pouvoir de direction de l’employeur face aux pressions exercées par l’environnement économique extérieur. La Cour rappelle que le droit de manifester sa religion est protégé par la Charte des droits fondamentaux et ne peut céder devant de simples intérêts pécuniaires. Bien que l’entreprise puisse promouvoir une image de neutralité, elle ne peut le faire qu’à travers des instruments juridiques transparents et non par des ordres ponctuels. La jurisprudence impose désormais un équilibre délicat entre la liberté de religion et la liberté d’entreprendre, en faveur d’une citoyenneté active dans l’entreprise.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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