Cour de justice de l’Union européenne, le 14 mars 2018, n°C-557/16

Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des clarifications essentielles sur l’articulation des compétences entre les autorités nationales et les juridictions dans le cadre des procédures décentralisées d’autorisation de mise sur le marché des médicaments génériques. En l’espèce, le titulaire d’une autorisation de mise sur le marché pour un médicament de référence s’opposait à la décision d’une autorité compétente d’un État membre, qui avait autorisé la commercialisation d’un médicament générique. Le litige portait sur la détermination du point de départ de la période de protection des données attachée au médicament de référence, une période durant laquelle un générique ne peut se référer aux données précliniques et cliniques de l’original. Saisie par le titulaire de l’autorisation du médicament de référence, une juridiction nationale de cet État membre a interrogé la Cour de justice par la voie d’un renvoi préjudiciel. La question de droit soulevée était double. D’une part, il s’agissait de savoir si l’autorité compétente d’un État membre concerné par une procédure décentralisée pouvait de manière autonome fixer le point de départ de la période de protection des données du médicament de référence. D’autre part, il était demandé de définir l’étendue du contrôle que la juridiction nationale saisie pouvait exercer sur une telle autorisation, notamment sa compétence pour apprécier la légalité de l’autorisation de mise sur le marché initiale du médicament de référence, accordée dans un autre État membre. La Cour a répondu que l’autorité nationale d’un État membre concerné ne dispose pas de la faculté de déterminer elle-même le point de départ de la période de protection. Elle a ensuite précisé que si la juridiction nationale est compétente pour contrôler la détermination de ce point de départ, elle ne peut en revanche pas vérifier la conformité de l’autorisation initiale délivrée par un autre État. Ainsi, la Cour circonscrit fermement la marge de manœuvre des autorités nationales (I) tout en délimitant précisément l’office du juge dans le contrôle de leurs décisions (II).

I. La compétence exclusive de l’État membre de référence dans la fixation de la période de protection

La décision de la Cour de justice réaffirme le caractère centralisé de l’évaluation au sein de la procédure décentralisée, privant les États membres concernés de toute compétence autonome en la matière (A), afin de préserver l’intégrité et l’uniformité du marché intérieur des médicaments (B).

A. Le rejet d’une compétence nationale autonome dans la procédure décentralisée

La Cour rappelle que la procédure décentralisée, bien qu’impliquant plusieurs États membres, repose sur une évaluation unique menée par un État membre de référence. C’est cet État qui examine le dossier et prépare un rapport d’évaluation, sur la base duquel les États membres concernés sont tenus de reconnaître l’autorisation de mise sur le marché. En jugeant que l’autorité compétente d’un État membre concerné « ne peut déterminer elle-même le point de départ du délai de la période de protection des données du médicament de référence », la Cour consacre la logique inhérente à ce système. Permettre à chaque autorité nationale de recalculer cette période reviendrait à nier le principe de reconnaissance mutuelle et à introduire une fragmentation contraire aux objectifs de la directive. La détermination de cette période est en effet un élément essentiel de l’évaluation du médicament générique, car elle conditionne la possibilité même de déposer une demande abrégée. Elle ne saurait donc être laissée à l’appréciation individuelle de chaque État concerné.

B. La préservation de l’uniformité du marché intérieur des médicaments

Au-delà de la mécanique procédurale, la solution retenue poursuit un objectif fondamental de sécurité juridique et d’harmonisation. Si chaque État membre concerné pouvait remettre en cause le point de départ de la protection des données, les titulaires d’autorisations de mise sur le marché pour des médicaments de référence feraient face à une incertitude considérable, leur période d’exclusivité variant d’un territoire à l’autre au sein de l’Union. De même, les fabricants de génériques seraient confrontés à des calendriers de commercialisation divergents, ce qui entraverait la fluidité des échanges et la réalisation d’un marché unique pour les produits pharmaceutiques. En réservant cette compétence à l’État de référence, dont l’évaluation initiale est censée s’imposer à tous, la Cour garantit que la période de protection des données est uniforme, prévisible et s’applique de manière cohérente dans tous les États membres participant à la procédure. Cette interprétation renforce ainsi l’un des piliers du droit pharmaceutique européen.

II. Un contrôle juridictionnel national à double détente

La Cour de justice opère une distinction subtile mais déterminante quant à l’étendue du contrôle juridictionnel. Elle affirme la plénitude du contrôle sur la décision nationale d’autorisation (A), tout en posant une limite infranchissable liée au respect de la décision prise par un autre État membre (B).

A. La garantie d’un contrôle effectif sur la détermination de la période de protection

En se fondant sur l’article 10 de la directive et sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacre le droit à un recours effectif, la Cour affirme sans ambiguïté qu’une juridiction nationale « est compétente pour contrôler la détermination du point de départ de la période de protection des données du médicament de référence ». Cette solution est protectrice des droits du titulaire de l’autorisation du médicament princeps. Celui-ci doit pouvoir contester devant un juge une autorisation qu’il estime prématurée et donc attentatoire à ses droits de propriété intellectuelle. Le contrôle juridictionnel porte alors sur la correcte application des règles de calcul de la période de protection par l’autorité nationale, en conformité avec les conclusions de l’État membre de référence. Le juge national devient ainsi le garant du respect par son administration des règles harmonisées, assurant que la décision d’autorisation du générique n’est pas entachée d’une erreur de droit ou de fait dans la computation des délais.

B. L’impossibilité de remettre en cause l’autorisation initiale d’un autre État membre

La seconde partie du raisonnement constitue le pendant nécessaire de la première. La Cour précise que la juridiction nationale saisie « n’est pas compétente pour vérifier si l’autorisation de mise sur le marché initiale du médicament de référence accordée dans un autre État membre l’a été conformément à cette directive ». Cette limite est fondamentale car elle incarne le principe de confiance mutuelle entre les États membres. Admettre qu’une juridiction d’un État puisse évaluer, même de manière incidente, la légalité d’un acte administratif pris par une autorité d’un autre État créerait un risque de chaos juridique et saperait les fondements du système de reconnaissance mutuelle. Une telle contestation doit être portée, le cas échéant, devant les juridictions de l’État qui a initialement délivré l’autorisation. La Cour érige ainsi une barrière contentieuse qui, tout en garantissant un recours effectif contre la décision finale, préserve la souveraineté administrative et la stabilité des décisions au sein de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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