La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 14 mars 2019, une décision fondamentale relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale. Deux résidents fiscaux français, affiliés au régime de sécurité sociale helvétique, ont contesté leur assujettissement à des prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine. L’administration fiscale avait initialement soumis ces revenus à diverses contributions destinées à financer des organismes publics chargés de la solidarité et de l’autonomie. Les administrés ont saisi le Tribunal administratif de Strasbourg qui a accueilli leur demande de décharge par un jugement rendu le 11 juillet 2017. L’autorité administrative a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Nancy qui a statué le 31 mai 2018 par une décision de sursis. Cette juridiction a interrogé le juge européen sur la qualification des prestations financées par les prélèvements sociaux opérés sur les revenus du patrimoine. Le litige porte sur le point de savoir si des prestations dont le montant varie selon les ressources constituent des prestations de sécurité sociale. La question est de déterminer si l’évaluation de la perte d’autonomie exclut le caractère objectif requis par le droit de l’Union européenne. Le juge répond par l’affirmative en soulignant l’importance des critères légaux prédéfinis pour l’ouverture des droits à ces prestations spécifiques. L’analyse portera sur l’objectivation des critères d’octroi des prestations de dépendance avant d’étudier l’inclusion de ces prestations dans le champ de la coordination européenne.
I. L’objectivation des critères d’octroi des prestations de dépendance
A. L’absence d’appréciation discrétionnaire des besoins personnels
Le juge européen rappelle qu’une prestation de sécurité sociale est octroyée « en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels ». Cette condition est satisfaite lorsque l’octroi s’effectue au regard de critères objectifs qui ouvrent le droit sans intervention d’autres circonstances personnelles. L’évaluation de la perte d’autonomie ou du handicap repose sur des grilles techniques et des référentiels médicaux fixés par la loi nationale. La décision souligne ainsi que « l’évaluation de la perte d’autonomie est effectuée au regard de grilles, de listes et de référentiels prédéfinis ». Cette objectivation garantit une égalité de traitement entre les demandeurs remplissant les conditions légales de résidence et d’état physique ou mental. L’objectivité des critères de fond s’accompagne d’un examen des modalités financières entourant l’octroi effectif de l’aide sociale par l’autorité compétente.
B. L’indifférence du calcul proportionné aux ressources sur la nature de la prestation
Le juge examine ensuite si la prise en compte des revenus du bénéficiaire remet en cause la qualification de prestation de sécurité sociale. Il estime que cette circonstance ne constitue pas une appréciation individuelle car elle concerne uniquement le calcul du montant de l’allocation. Le droit naît dès lors que les critères de dépendance sont réunis, indépendamment du niveau de fortune de la personne concernée. Le juge affirme que « la prise en compte des ressources du bénéficiaire concerne non pas l’ouverture du droit, mais les modalités de calcul ». Cette distinction permet de maintenir la qualification européenne même en présence d’un mécanisme de solidarité financière modulé selon les capacités économiques. La qualification de l’octroi comme acte objectif permet alors d’en tirer les conséquences juridiques quant au régime de coordination applicable au litige.
II. L’inclusion confirmée des prestations d’autonomie dans le champ de la coordination européenne
A. Le rattachement direct aux branches de la sécurité sociale
Les prestations litigieuses présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches énumérées par le règlement relatif à la sécurité sociale. Elles visent à couvrir le risque de dépendance, lequel se rapporte aux prestations de maladie ou d’invalidité selon une jurisprudence établie. Le juge confirme que ces aides ne constituent pas des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif exclues de la coordination. En effet, les deux qualités de prestation de sécurité sociale et de prestation spéciale « s’excluent mutuellement » dans le raisonnement juridique du juge européen. Dès lors que les conditions d’octroi sont objectives, la prestation entre nécessairement dans le champ d’application matériel du règlement de coordination. Ce rattachement protège efficacement les travailleurs migrants contre les doubles cotisations sociales sur un même revenu par plusieurs États membres concernés.
B. La portée du principe d’unicité de la législation applicable
La solution rendue renforce l’application du principe d’unicité de législation pour les résidents affiliés à un régime de sécurité sociale étranger. Les personnes soumises à la législation d’un seul État membre ne peuvent être assujetties à des contributions sociales dans un autre État. Le financement des prestations de dépendance par des prélèvements sur le patrimoine est donc jugé incompatible avec cette règle protectrice fondamentale. L’arrêt précise que les prestations d’autonomie « doivent être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels ». Cette interprétation extensive du champ d’application du règlement assure la pleine effectivité de la libre circulation entre l’Union européenne et la Suisse. La sécurité juridique des administrés est garantie par une définition uniforme des prestations de sécurité sociale au sein de l’Union européenne.