La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 25 avril 2024 une décision précisant le régime de retrait des titres de séjour. L’arrêt traite de la découverte fortuite de documents falsifiés ayant permis l’obtention initiale d’un droit de résidence pour des membres d’une famille étrangère.
Dans cette espèce, plusieurs ressortissants de pays tiers ont bénéficié du regroupement familial sur le fondement de pièces qui se sont révélées frauduleuses. L’autorité compétente a décidé de retirer les titres de séjour alors même que les bénéficiaires invoquaient leur ignorance totale de la manœuvre illégale commise.
Saisie de recours contre ces retraits, la section de juridiction administrative du Conseil d’État des Pays-Bas a décidé de surseoir à statuer le 29 juin 2022. Elle a interrogé la juridiction européenne sur l’interprétation des articles permettant l’extinction des droits de séjour en cas de fraude ou de falsification.
La juridiction de renvoi cherche à déterminer si l’absence de connaissance du caractère frauduleux des documents fait obstacle au retrait définitif des titres de séjour. Elle s’interroge sur l’équilibre nécessaire entre la lutte contre la fraude migratoire et la protection de la bonne foi des administrés concernés.
La Cour de justice répond que la méconnaissance du caractère frauduleux par les intéressés ne s’oppose pas, par elle-même, au retrait des titres indûment obtenus. Elle impose cependant aux autorités nationales d’effectuer un examen individualisé et équilibré de la situation personnelle des membres de la famille avant toute mesure.
L’étude de cette solution conduit à analyser l’objectivité de la fraude justifiant le retrait (I), puis l’exigence d’une appréciation individualisée de la situation rencontrée (II).
I. L’objectivité de la fraude justifiant le retrait du titre de séjour
Le juge de l’Union européenne consacre une approche rigoureuse de la fraude qui se détache de l’élément intentionnel du bénéficiaire du droit au séjour.
A. L’indifférence de la bonne foi du ressortissant étranger
L’article 16 de la directive 2003/86 prévoit expressément le retrait du titre de séjour lorsque des documents falsifiés ont été utilisés pour son obtention. La Cour affirme que « la circonstance que ces membres de la famille n’avaient pas connaissance du caractère frauduleux » ne s’oppose pas au retrait. Cette solution s’applique également au statut de résident de longue durée régi par la directive 2003/109 dont le régime est ici harmonisé.
La fraude est considérée comme un fait objectif dont la réalité matérielle suffit à vicier l’acte administratif accordant initialement le droit de séjour. Le juge refuse de subordonner la mesure d’extinction du droit à la preuve d’une intention malveillante ou d’une participation active du bénéficiaire lésé. Cette position garantit que les avantages liés au droit de l’Union ne profitent jamais à ceux qui ont bénéficié de manœuvres trompeuses avérées.
B. La préservation de l’intégrité du régime du séjour
L’admission au séjour est conditionnée par le respect de critères stricts dont la vérification repose sur la sincérité des pièces justificatives fournies par l’administré. En permettant le retrait malgré l’ignorance de la fraude, la Cour protège l’efficacité des contrôles migratoires effectués par les autorités des États membres. La falsification rompt le lien de confiance entre l’administration et le demandeur, rendant caduque la reconnaissance d’un droit fondé sur un mensonge.
Le maintien d’un titre obtenu par fraude constituerait une rupture d’égalité flagrante par rapport aux demandeurs respectant scrupuleusement les procédures légales en vigueur. Cette rigueur assure la crédibilité globale du système européen de gestion des flux migratoires en évitant que la fraude ne puisse créer des droits. La solution n’est pourtant pas absolue car elle doit être conciliée avec la situation personnelle de l’étranger concerné par la mesure de police.
II. L’exigence impérative d’une appréciation individualisée
Si la fraude permet le retrait, celui-ci ne revêt pas un caractère automatique et impose une pesée globale des intérêts par l’autorité nationale compétente.
A. L’obligation d’examen de la situation personnelle du bénéficiaire
La Cour rappelle qu’il « incombe toutefois aux autorités nationales compétentes d’effectuer, au préalable, un examen individualisé de la situation de ces membres ». Cette obligation découle de l’article 17 de la directive 2003/86 qui impose de tenir compte de la nature des liens familiaux existants. Les juges exigent une « appréciation équilibrée et raisonnable de l’ensemble des intérêts en présence » avant de valider toute décision définitive de retrait.
L’administration doit ainsi évaluer l’ancienneté du séjour, l’âge des personnes et l’existence de liens sociaux ou culturels avec l’État membre d’accueil concerné. Ce contrôle de proportionnalité limite le pouvoir discrétionnaire de l’État en érigeant la protection de la vie privée et familiale en rempart juridique. Le droit au séjour ne peut être supprimé sans vérifier si la gravité de la fraude l’emporte sur l’intensité de l’intégration sociale.
B. Une protection différenciée selon le fondement du séjour
Il convient de noter que l’exigence d’un examen individualisé est explicitement rattachée à la directive 2003/86 relative au regroupement familial par la juridiction. L’interprétation de la directive 2003/109 concernant les résidents de longue durée semble moins protectrice dans la formulation retenue par le juge de Luxembourg. La Cour n’y mentionne pas expressément l’obligation de procéder à une appréciation équilibrée similaire à celle prévue pour les membres de la famille.
Cette distinction s’explique par la finalité spécifique de chaque texte et l’importance accordée à la stabilité du cercle familial dans le droit européen. La protection contre le retrait automatique demeure néanmoins un principe général du droit de l’Union qui devrait s’appliquer à toute mesure de police. L’arrêt consacre donc un équilibre subtil entre la lutte contre l’immigration irrégulière et le respect des droits fondamentaux des personnes résidantes.