Un État membre, à la suite d’une procédure précontentieuse engagée par la Commission européenne, a été attrait devant la Cour de justice de l’Union européenne pour manquement aux obligations découlant de la directive 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. La Commission, après examen des rapports quadriennaux fournis par l’État membre, a estimé que celui-ci ne respectait pas plusieurs dispositions essentielles de la directive. La procédure contentieuse s’est ainsi articulée autour de trois griefs principaux : une transposition incomplète de l’obligation de désignation des zones vulnérables, des lacunes dans les mesures contenues au sein des programmes d’action régionaux, et une inaction face à la dégradation ou à la stagnation de la qualité des eaux qui aurait dû imposer l’adoption de mesures supplémentaires ou renforcées. L’État mis en cause a contesté la majorité des griefs, arguant notamment que la charge de la preuve incombait à la Commission, que certaines mesures correctrices avaient été prises après l’avis motivé, ou encore que l’appréciation de l’efficacité des programmes d’action nécessitait un temps long. Se posaient ainsi à la Cour plusieurs questions relatives à l’étendue des obligations des États membres en matière de lutte contre la pollution par les nitrates. Il s’agissait de déterminer les conditions de désignation des zones vulnérables, notamment au regard de la contribution de l’agriculture à la pollution, de préciser le caractère obligatoire de l’inclusion de certaines mesures dans les programmes d’action, et de définir le fait générateur de l’obligation d’adopter des actions renforcées. Par sa décision, la Cour de justice accueille partiellement le recours de la Commission. Elle constate le manquement de l’État membre concernant la désignation de plusieurs zones vulnérables et le contenu lacunaire de plusieurs programmes d’action. Elle retient également un manquement à l’obligation de prendre des mesures renforcées là où la stagnation de la pollution était avérée, mais rejette le grief lorsque la Commission ne parvient pas à établir avec une certitude suffisante la dégradation de la qualité des eaux sur l’ensemble du territoire.
L’arrêt permet ainsi à la Cour de rappeler avec fermeté le caractère contraignant des obligations formelles découlant de la directive (I), tout en procédant à une application rigoureuse des règles de preuve quant à l’obligation matérielle de renforcer les programmes d’action existants (II).
I. L’application stricte des obligations de désignation et de programmation
La Cour sanctionne l’État membre pour ses défaillances manifestes dans la mise en œuvre des obligations de désignation des zones vulnérables (A) et dans l’élaboration de programmes d’action conformes aux exigences de la directive (B).
A. La confirmation d’une conception extensive de l’obligation de désignation des zones vulnérables
La Cour examine en premier lieu le grief tiré de la violation de l’article 3, paragraphe 4, de la directive, relatif à la révision de la liste des zones vulnérables. Elle confirme que la désignation s’impose dès lors qu’il est établi que les eaux sont atteintes par la pollution et que l’agriculture y contribue de manière significative. Sur ce dernier point, l’arrêt apporte une précision importante en validant l’approche de la Commission. En effet, face à un argument de l’État membre selon lequel la contribution agricole à la pollution d’un point de mesure était limitée à 17 %, la Cour juge qu’un tel pourcentage revêt bien un caractère significatif. Elle rappelle ainsi sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 22 septembre 2005, *Commission/Belgique*, et écarte l’argument de l’État membre tiré d’une décision administrative récente de la Commission qui aurait retenu un seuil de 19 %, en rappelant qu’une telle « appréciation de la part de la Commission ne saurait en tout état de cause pas lier la Cour ». Le juge de l’Union réaffirme ainsi son autonomie d’appréciation du caractère significatif de la contribution à la pollution. Toutefois, la Cour fait une application stricte de la charge de la preuve, qui pèse sur la Commission. Lorsque cette dernière se contente d’affirmer que l’État membre n’a pas fourni d’explications suffisantes sans pour autant « ni établi que les composés azotés d’origine agricole contribuent de manière significative à la pollution […] ni apporté d’éléments de preuve susceptibles d’établir l’existence d’une telle conséquence », le grief est rejeté.
B. Le caractère impératif de l’inclusion des mesures obligatoires dans les programmes d’action
Le deuxième grief, portant sur le contenu des programmes d’action de plusieurs communautés autonomes, est accueilli dans sa totalité. La Cour adopte une position rigoureuse, balayant les arguments classiques avancés par l’État membre. Le fait que des mesures équivalentes puissent exister dans d’autres textes de droit interne, tels que des décrets royaux, est jugé inopérant, car l’article 5, paragraphe 4, de la directive exige que les mesures figurent bien *dans* le programme d’action applicable aux zones vulnérables. De même, l’argument selon lequel de nouveaux programmes ou des modifications législatives seraient en cours d’élaboration est rejeté en application de la jurisprudence constante selon laquelle l’existence d’un manquement s’apprécie à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. La Cour se montre également ferme sur le rôle des données scientifiques. Face à l’argument de l’État membre selon lequel les recommandations d’une étude scientifique sur laquelle se fondait la Commission n’avaient pas de caractère contraignant, la Cour rétorque qu’il « était loisible au Royaume d’Espagne de produire d’autres études et documents scientifiques afin de réfuter les allégations de cette institution », ce qu’il n’a pas fait. L’absence de justification scientifique pour déroger aux standards reconnus équivaut donc à une violation de l’obligation d’établir un programme d’action tenant compte « des données scientifiques et techniques disponibles ».
Après avoir sanctionné les manquements relatifs aux obligations formelles de transposition, la Cour analyse l’obligation plus substantielle d’adapter l’action publique à l’aune de ses résultats, révélant une approche plus nuancée et centrée sur la charge de la preuve.
II. L’appréciation probatoire de l’obligation d’adopter des mesures renforcées
La Cour se prononce sur le troisième grief relatif à l’obligation de prendre des mesures supplémentaires ou des actions renforcées prévue à l’article 5, paragraphe 5, de la directive. Elle valide le principe selon lequel l’absence d’amélioration de la qualité de l’eau suffit à déclencher cette obligation (A), mais en subordonne la sanction à une démonstration probante de cette stagnation par la Commission (B).
A. La stagnation de la qualité de l’eau comme fait générateur de l’obligation d’agir
La Cour valide l’interprétation de la Commission selon laquelle l’obligation de renforcer les actions naît dès que les mesures en place se révèlent insuffisantes. Elle juge qu’il « suffit que la Commission démontre que la qualité des eaux ne s’est pas améliorée, en comparaison avec la période précédente ». Cette solution est déterminante, car elle s’oppose à l’argument de l’État membre qui invoquait la nécessité de laisser s’écouler un temps long pour apprécier l’effet des mesures, un argument qui, selon la Cour, « viderait largement l’article 5, paragraphe 5, de la directive 91/676 de son effet utile ». Ainsi, la simple stagnation ou la dégradation des indicateurs de pollution, comme une augmentation du pourcentage de points de mesure dépassant les seuils de concentration en nitrates ou une tendance stable ou à la hausse, suffit à caractériser le manquement si l’État membre n’adopte pas de nouvelles mesures. La Cour confirme que l’obligation de l’article 5, paragraphe 5, n’est pas une simple faculté mais une obligation de réagir qui doit être mise en œuvre « dès la première constatation de leur besoin ». Le manquement est donc constaté pour plusieurs communautés autonomes où les rapports quadriennaux attestaient objectivement d’une absence d’amélioration.
B. La sanction du manquement conditionnée par la preuve d’une absence d’amélioration
Si la Cour se montre stricte sur le principe de l’obligation de réaction, elle l’est tout autant sur les preuves nécessaires pour l’établir. La seconde branche du troisième grief, qui reprochait à l’État membre une inaction généralisée face à l’eutrophisation sur l’ensemble de son territoire, est rejetée. La Cour constate que la Commission n’a pas réussi à prouver l’absence d’amélioration de la situation. Bien que la Commission ait soulevé des critiques méthodologiques pertinentes, notamment l’exclusion des rivières de l’analyse de l’eutrophisation par l’État membre, elle n’a pas fourni de données concrètes démontrant que la situation s’était dégradée ou avait stagné par rapport à la période de référence précédente. La Cour distingue ainsi le manquement potentiel aux obligations de surveillance et de rapportage, qui n’était pas l’objet du grief, du manquement à l’obligation d’adopter des mesures renforcées. Pour que ce dernier soit constaté, la preuve d’une absence d’amélioration doit être positivement rapportée. En l’absence de cette preuve, et malgré la reconnaissance d’une « légère amélioration » dans les rapports de l’État, la Cour conclut que le grief n’est pas fondé. Cette approche réaffirme le rôle de la Cour comme juge du droit et des preuves, refusant de pallier les carences probatoires de la partie requérante, même dans un domaine aussi essentiel que la protection de l’environnement.