Par un arrêt rendu sur le fondement de l’article 260, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences d’une inexécution persistante par un État membre d’un de ses précédents arrêts. En l’espèce, la Commission européenne avait engagé une première procédure en manquement qui avait abouti à un arrêt de la Cour en date du 28 juin 2012, constatant qu’un État membre n’avait pas rempli les obligations qui lui incombaient en vertu du droit de l’Union. Face à l’inertie de cet État, l’institution gardienne des traités lui a adressé une lettre de mise en demeure le 27 novembre 2014, lui impartissant un délai pour se conformer à l’arrêt de 2012. Ce délai étant resté sans effet, la Commission a saisi une nouvelle fois la Cour de justice afin que celle-ci constate le manquement sur manquement et inflige des sanctions pécuniaires à l’État défaillant. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si le non-respect d’un premier arrêt en manquement justifiait l’application de sanctions pécuniaires et, le cas échéant, selon quelles modalités. En réponse, la Cour de justice a jugé qu’« en n’ayant pas pris, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans la lettre de mise en demeure […] toutes les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du 28 juin 2012, […] la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE ». En conséquence, elle a condamné l’État membre au paiement d’une double sanction, à savoir une somme forfaitaire et une astreinte.
La solution retenue par la Cour de justice témoigne de la rigueur du mécanisme de sanction prévu en cas d’inexécution d’un arrêt (I), dont la finalité est d’assurer l’application effective du droit de l’Union par une contrainte financière dissuasive (II).
I. La consécration d’un manquement persistant et le prononcé d’une double sanction
L’arrêt de la Cour de justice s’articule en deux temps, d’abord en constatant objectivement la persistance de la violation du droit de l’Union (A), puis en appliquant de manière cumulative les deux types de sanctions pécuniaires prévues par le traité (B).
A. La constatation objective de l’inexécution de l’arrêt initial
La procédure prévue à l’article 260, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne vise à sanctionner un État membre qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour exécuter un arrêt de la Cour constatant un premier manquement. Dans ce cadre, la Cour n’examine plus le fond de l’infraction initiale, mais se limite à vérifier si, à l’expiration du délai fixé par la Commission dans sa mise en demeure, l’État membre concerné s’est conformé à l’arrêt précédent. En l’espèce, la Cour constate que l’État mis en cause n’a pas adopté toutes les dispositions requises pour assurer la pleine exécution de l’arrêt du 28 juin 2012. Ce faisant, elle établit l’existence d’un second manquement, distinct du premier, qui réside dans le non-respect de l’obligation de se conformer aux arrêts de la Cour, consacrée à l’article 260, paragraphe 1, du traité.
B. L’application cumulative de la somme forfaitaire et de l’astreinte
Pour sanctionner ce manquement sur manquement, la Cour de justice dispose de deux instruments financiers qu’elle peut utiliser de manière alternative ou cumulative. Le présent arrêt illustre l’application combinée de ces deux sanctions, chacune répondant à une logique propre. D’une part, la Cour condamne l’État membre à verser « une somme forfaitaire de 10 000 000 euros ». Cette sanction a un caractère punitif et vise à réprimer la persistance de l’infraction depuis le prononcé du premier arrêt jusqu’à celui du second. D’autre part, la Cour impose le paiement d’« une astreinte d’un montant de 7 294 000 euros pour chaque période de six mois » jusqu’à l’exécution complète de l’arrêt de 2012. L’astreinte a une fonction coercitive, son objectif étant de contraindre l’État membre à mettre fin le plus rapidement possible à son manquement.
Le choix de cumuler ces deux sanctions souligne la gravité que la Cour attache à l’inexécution prolongée de ses décisions. Il importe alors de s’interroger sur les critères qui guident la Cour dans la fixation de leurs montants respectifs, lesquels révèlent la portée dissuasive de sa jurisprudence.
II. La modulation des sanctions pécuniaires au service d’une finalité dissuasive
La détermination des montants des sanctions pécuniaires n’est pas arbitraire et suit une méthodologie précise (A), qui vise à garantir l’effet utile des condamnations et à prévenir de futures violations du droit de l’Union (B).
A. Les critères de détermination des sanctions
Pour fixer le montant de la somme forfaitaire et de l’astreinte, la Cour de justice s’appuie sur une série de critères objectifs, proposés par la Commission dans ses communications et validés par sa jurisprudence. Ces critères incluent la gravité de l’infraction, sa durée et la capacité de paiement de l’État membre concerné, afin d’assurer que la sanction soit à la fois proportionnée et dissuasive. La gravité est appréciée au regard de l’importance des règles de l’Union qui ont été violées, tandis que la durée de l’infraction est un facteur essentiel, notamment pour le calcul de la somme forfaitaire. Le recours à ces critères permet à la Cour d’adapter sa réponse à la spécificité de chaque situation, tout en assurant une certaine prévisibilité et une cohérence dans le traitement des manquements des États membres.
B. La portée préventive et coercitive des condamnations
Au-delà de leur aspect répressif, les sanctions pécuniaires poursuivent un objectif fondamental : assurer l’application effective et uniforme du droit de l’Union sur l’ensemble de son territoire. En condamnant un État membre à des peines financières significatives, la Cour de justice envoie un signal fort non seulement à l’État défaillant mais aussi à tous les autres. L’astreinte, par sa nature progressive, incite à une mise en conformité rapide en créant une pression financière continue. La somme forfaitaire, quant à elle, dissuade les États de laisser perdurer un manquement dans le temps, en sanctionnant l’illégalité passée. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui fait du recours aux sanctions financières un instrument essentiel pour garantir la primauté du droit de l’Union et le respect du principe de coopération loyale.