Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’obligation de notification des modifications apportées à un régime d’aides d’État existant. En l’espèce, une entreprise du secteur de l’hôtellerie s’était vu refuser le bénéfice d’un remboursement de taxes sur l’énergie après qu’une modification législative nationale en a restreint l’octroi aux seules entreprises ayant pour activité principale la fabrication de biens corporels. Saisie du litige, la juridiction autrichienne a interrogé la Cour sur le point de savoir si une telle modification, qui réduit le cercle des bénéficiaires d’une aide existante, devait faire l’objet d’une notification à la Commission européenne. La question se posait également de la possibilité pour ce régime modifié de bénéficier d’une exemption de notification au titre d’un règlement européen entré en vigueur postérieurement à l’octroi des aides litigieuses, et de la compatibilité du mode de calcul de l’avantage fiscal avec les dispositions de ce même règlement. La Cour de justice a jugé qu’une réglementation nationale modifiant un régime d’aides en réduisant le cercle de ses bénéficiaires est soumise en principe à l’obligation de notification. Elle a cependant admis que des aides octroyées avant l’entrée en vigueur du règlement d’exemption n° 651/2014 peuvent être rétrospectivement exemptées de cette obligation si elles en remplissent les conditions matérielles. Enfin, la Cour a validé une méthode de calcul de l’aide fondée sur une formule légale complexe, considérant qu’elle équivalait à une réduction du taux de la taxe. L’arrêt clarifie ainsi l’articulation entre l’obligation procédurale de notification des aides d’État et les possibilités de régularisation substantielle offertes par les règlements d’exemption. La Cour confirme l’étendue du contrôle des modifications apportées aux aides existantes (I), tout en validant une approche matérielle et pragmatique des conditions d’exemption (II).
I. La confirmation de l’obligation de notification en cas de modification substantielle de l’aide
La Cour réaffirme avec force que toute modification substantielle d’une aide existante, y compris la réduction de son champ d’application, demeure soumise au contrôle préventif de la Commission (A), bien que la portée de cette exigence procédurale soit ensuite atténuée par la possibilité d’une exemption rétroactive (B).
A. La qualification de modification substantielle pour la réduction du cercle des bénéficiaires
La Cour rappelle que l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est un élément fondamental du système de contrôle des aides d’État. Elle précise que cette obligation ne vise pas uniquement l’institution de nouvelles aides, mais également la modification d’aides existantes. La décision apporte une clarification essentielle en jugeant qu’une modification législative qui restreint le cercle des bénéficiaires d’une aide ne constitue pas un simple ajustement formel ou administratif. En effet, la Cour estime qu’une telle modification « est de nature à influencer la question de savoir si une mesure doit être qualifiée d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, par conséquent, la nécessité de notifier cette aide ». En d’autres termes, la redéfinition des bénéficiaires affecte l’analyse du caractère sélectif de l’aide et, par suite, son éventuelle incidence sur la concurrence et les échanges au sein du marché intérieur. Cet enseignement confirme une conception large de la notion de modification d’aide, qui oblige les États membres à la plus grande prudence et les incite à notifier toute altération qui n’est pas purement formelle.
B. La neutralisation de l’illégalité par le jeu de l’exemption rétroactive
Alors même qu’elle qualifie la mesure de modification soumise à notification, la Cour interroge les conséquences d’un éventuel manquement à cette obligation. La juridiction de renvoi s’interrogeait en effet sur la sanction applicable en cas de vice de forme, à savoir si l’absence de notification rendait la limitation du régime d’aides inapplicable, obligeant l’État à maintenir l’aide pour tous les bénéficiaires initiaux. Sans répondre directement à cette question, la Cour la rend sans objet en ouvrant la voie à une régularisation a posteriori. Elle examine la possibilité pour le régime modifié de bénéficier d’une exemption par catégorie, ce qui aurait pour effet de le dispenser de l’obligation de notification et donc de le soustraire au grief d’illégalité. En se fondant sur les dispositions transitoires du règlement d’exemption n° 651/2014, la Cour établit qu’une aide octroyée avant l’entrée en vigueur de ce texte peut néanmoins être couverte par l’exemption si elle en remplit toutes les conditions. Cette approche pragmatique permet de ne pas sanctionner pour un vice de procédure une aide qui s’avère matériellement compatible avec le marché intérieur.
II. La validation matérielle du régime d’aide au regard des conditions d’exemption
La Cour procède à une analyse détaillée de la compatibilité du régime d’aide avec les dispositions du règlement d’exemption, validant à la fois son application temporelle (A) et la méthode de calcul retenue par le législateur national (B).
A. L’applicabilité des dispositions transitoires du règlement d’exemption
La Cour se penche sur l’application dans le temps du règlement n° 651/2014 à des aides octroyées pour les années 2011 à 2014, soit avant son entrée en vigueur le 1er juillet 2014. Elle s’appuie pour cela sur l’article 58, paragraphe 1, de ce règlement, qui constitue une disposition transitoire. La Cour interprète cette disposition en jugeant que « des aides octroyées avant l’entrée en vigueur dudit règlement, sur la base d’un régime d’aides tel que celui en cause dans les litiges au principal, sont susceptibles d’être exemptées, en vertu de ce même règlement, de l’obligation de notification ». Cette solution permet de couvrir des aides individuelles versées sur la base d’un régime non notifié, à condition qu’elles remplissent toutes les conditions de fond prévues par le règlement au moment de leur octroi. L’analyse de la Cour consacre ainsi la primauté de la compatibilité matérielle de l’aide sur le respect formel de la procédure de notification, dans le cadre défini par les dispositions transitoires. Une telle interprétation favorise la sécurité juridique et s’inscrit dans l’objectif de simplification administrative poursuivi par les règlements d’exemption.
B. L’interprétation souple des modalités de calcul de l’avantage fiscal
Le point le plus technique de la décision portait sur la conformité de la méthode de calcul du remboursement de la taxe avec l’article 44, paragraphe 3, du règlement n° 651/2014. Ce dernier exige que l’aide prenne la forme d’une réduction du taux de la taxe, d’un montant fixe de compensation, ou d’une combinaison des deux. La législation autrichienne prévoyait une formule de calcul complexe selon laquelle le remboursement était accordé pour la part des taxes excédant 0,5 % de la valeur de la production nette de l’entreprise, tout en étant limité par les niveaux de taxation minimaux prévus par le droit de l’Union. La Cour adopte une approche finaliste et concrète, en jugeant qu’un tel mécanisme « implique une réduction du taux applicable de la taxe environnementale ». Elle estime que, même si le taux réduit n’est pas fixé directement, la formule de calcul aboutit à un résultat prévisible et transparent qui équivaut à l’application d’un taux réduit. En validant une telle formule, la Cour reconnaît une marge de manœuvre aux États membres dans la conception technique de leurs régimes d’aide, pourvu que le mécanisme garantisse la transparence et permette de déterminer l’intensité de l’aide de manière objective.