La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 14 novembre 2024, apporte des précisions sur le champ d’application du règlement Bruxelles I bis. Une société de droit belge livre du carburant à un navire pour le compte d’une société de droit néerlandais en octobre deux mille quatorze. La société débitrice fait l’objet d’une déclaration de faillite prononcée par le tribunal de Rotterdam le vingt-et-un novembre de la même année civile. La créancière produit sa facture impayée auprès des curateurs mais engage également une procédure en paiement devant le tribunal de commerce d’Anvers. Cette juridiction se déclare compétente mais rejette la demande au motif qu’elle serait irrecevable selon les dispositions dérogatoires du droit néerlandais de l’insolvabilité. La cour d’appel d’Anvers, saisie du litige, décide d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de l’exclusion des faillites du règlement de compétence générale. Le juge européen doit déterminer si l’action en paiement d’une créance contractuelle relève de la matière civile malgré la procédure collective en cours. La solution retenue écarte l’exception de faillite au profit d’une application extensive du droit commun de la compétence judiciaire au sein de l’Union. L’étude de la nature contractuelle de l’obligation précédera l’analyse de la séparation entre la compétence judiciaire et la loi applicable à l’insolvabilité.
I. La détermination du fondement juridique de l’action judiciaire
A. La prééminence du droit commun sur le contexte de la faillite
La Cour rappelle que l’élément déterminant pour identifier le domaine d’une action est son fondement juridique et non son simple contexte procédural. Il convient de vérifier si l’obligation invoquée trouve sa source dans les règles communes ou dans des dispositions dérogatoires propres à la faillite. Le juge européen énonce que « seules les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement sont exclues » du règlement général. Cette approche restrictive de l’exception de faillite permet de garantir la sécurité juridique des créanciers au sein du marché intérieur européen.
L’existence d’une procédure collective ouverte dans un État membre ne suffit pas à transformer une action contractuelle ordinaire en une action d’insolvabilité. La qualification de la demande dépend exclusivement de la nature du droit qui sert de base à l’action engagée devant la juridiction nationale. Cette méthodologie centrée sur l’origine du droit invoqué conduit à reconnaître l’indépendance de la demande par rapport à l’état de cessation des paiements.
B. L’autonomie matérielle de la créance contractuelle préexistante
Une action en paiement pour des marchandises livrées trouve son fondement dans le droit des contrats et non dans le droit spécifique de la faillite. L’obligation de payer le prix de la prestation est née d’une convention conclue avant l’ouverture de la procédure collective par le tribunal étranger. La Cour souligne que « ni l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ni la désignation d’un syndic n’ont pour effet de modifier le fondement juridique d’une action ». L’action demeure ainsi autonome car elle aurait pu être introduite en dehors de toute situation de défaillance financière de la part du débiteur.
La circonstance que la créance ait été préalablement déclarée au passif de la société faillie ne modifie pas substantiellement la nature civile du litige. L’identité entre la créance réclamée devant le juge du fond et celle produite devant les curateurs s’avère insuffisante pour justifier une exclusion. L’affirmation du caractère civil de l’action permet de confirmer la compétence du juge du droit commun malgré les règles de conflit de lois.
II. La préservation de l’efficacité du régime général de compétence
A. L’interprétation stricte de l’exclusion relative aux procédures collectives
Le règlement concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions doit recevoir une interprétation large afin de couvrir l’essentiel de la matière civile. À l’inverse, l’exclusion concernant les faillites et les procédures analogues doit être interprétée de manière étroite pour éviter tout vide juridique entre les règlements. La Cour de justice refuse que le champ d’application de la matière d’insolvabilité absorbe des litiges trouvant leur origine dans des rapports contractuels classiques. Elle protège ainsi la prévisibilité des règles de compétence en maintenant le litige sous l’empire du règlement Bruxelles I bis pour les créances ordinaires.
Cette interprétation garantit que les créanciers puissent agir devant les juridictions normalement compétentes sans être systématiquement contraints par la loi de l’insolvabilité. Le législateur européen souhaite réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes tout en assurant une protection efficace des droits des parties contractantes. La cohérence du système repose sur une délimitation rigoureuse des matières exclues afin de ne pas fragiliser l’application du droit commun de l’Union.
B. La distinction fonctionnelle entre compétence juridictionnelle et loi applicable
La compétence d’une juridiction pour statuer sur une demande en paiement ne préjuge pas de la loi qui sera appliquée au fond du litige. Le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité prévoit que la loi de l’État d’ouverture détermine les effets de la faillite sur les poursuites individuelles. La Cour précise que « la détermination de la juridiction compétente ne préjuge en rien de la loi applicable à la demande en cause au principal ». Le juge saisi sur le fondement du droit commun devra néanmoins respecter les règles impératives de l’État où la faillite est ouverte.
L’application d’une même loi à la procédure d’insolvabilité et à ses effets assure l’égalité entre les créanciers et la protection de leurs intérêts légitimes. Le droit de l’Union organise une correspondance entre les organes compétents et la loi applicable sans pour autant imposer une compétence juridictionnelle unique. Cette solution permet de concilier les exigences du droit de la faillite avec le maintien de l’accès au juge civil pour les créances contractuelles.