Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 14 octobre 2004 vient préciser les contours de l’encadrement communautaire en matière de transferts de déchets. Saisie par la Commission européenne dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour était appelée à se prononcer sur la compatibilité d’une réglementation nationale avec le droit de l’Union. La législation d’un État membre prévoyait des conditions spécifiques pour s’opposer aux transferts de déchets destinés à la valorisation et définissait des critères techniques pour distinguer les opérations de valorisation de celles d’élimination par incinération. Estimant que ces dispositions violaient tant le règlement n° 259/93 sur les transferts de déchets que la directive 75/442 relative aux déchets, la Commission a initié une procédure précontentieuse. L’État membre n’ayant pas modifié sa législation suite à l’avis motivé, la Commission a introduit un recours devant la Cour. La question de droit posée était double : d’une part, un État membre peut-il restreindre les motifs d’objection à un transfert de déchets en se fondant uniquement sur une comparaison des taux de valorisation entre l’État d’expédition et celui de destination ? D’autre part, la distinction entre valorisation et élimination des déchets par incinération peut-elle être fondée sur des critères liés à la nature même du déchet, comme sa valeur calorifique, plutôt que sur la finalité de l’opération ? La Cour a répondu par la négative à ces deux questions, constatant le manquement de l’État membre. Elle a jugé que la réglementation nationale restreignait illégalement les critères prévus par le droit communautaire et réintroduisait des considérations de proximité et d’autosuffisance non applicables aux déchets destinés à la valorisation. Elle a également réaffirmé que la qualification d’une opération d’incinération dépend de sa finalité énergétique et non des propriétés intrinsèques des déchets. La censure de la Cour porte ainsi sur deux aspects de la législation nationale, sanctionnant d’abord les conditions restrictives posées aux transferts de déchets (I), avant de se prononcer sur les critères de distinction entre valorisation et élimination (II).
I. La sanction d’une application restrictive des règles relatives aux transferts de déchets
La Cour de justice censure la réglementation nationale en ce qu’elle réduit la portée des motifs d’objection prévus par le droit de l’Union (A) et réintroduit indirectement des principes contraires à la logique du marché intérieur pour la valorisation des déchets (B).
A. L’illicéité d’une interprétation limitative des motifs d’objection communautaires
L’arrêt souligne qu’un État membre ne peut, dans sa législation nationale, restreindre les critères d’appréciation exhaustivement listés par un règlement communautaire. L’article 7, paragraphe 4, sous a), cinquième tiret, du règlement n° 259/93 autorise les autorités compétentes à soulever des objections si « le rapport entre les déchets valorisables et non valorisables, la valeur estimée des matières qui seront finalement valorisées ou le coût de la valorisation et le coût de l’élimination de la partie non valorisable sont tels que la valorisation ne se justifie pas d’un point de vue économique et écologique ». La Cour constate que la législation nationale litigieuse ne prend en compte que le premier de ces trois critères. En effet, « le régime néerlandais de transferts de déchets se réfère uniquement au rapport entre les déchets valorisables et non valorisables ». Ce faisant, l’État membre dépasse la marge d’appréciation que le règlement lui confère, car s’il peut préciser les modalités d’exercice d’une faculté, il ne peut en altérer la substance en ignorant une partie des conditions fixées. Le raisonnement de la Cour réaffirme la nécessité d’une application intégrale et uniforme des dispositions d’un règlement, qui sont d’applicabilité directe dans l’ordre juridique des États membres.
B. Le rejet d’obstacles déguisés au marché de la valorisation
Au-delà de la violation textuelle, la Cour sanctionne l’introduction par le droit national d’une logique protectionniste incompatible avec le marché des déchets valorisables. La réglementation en cause permet de s’opposer à un transfert lorsque le pourcentage de déchets valorisables dans l’État de destination est inférieur à celui de l’État d’expédition. La Cour juge que cette comparaison se fonde « non seulement sur une évaluation indépendante des aspects économiques et écologiques de l’opération de valorisation dans l’État de destination, mais également sur la capacité de traitement qui existe dans l’État d’expédition ». Or, elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « des considérations d’autosuffisance et de proximité ne sont pas applicables pour les transferts de déchets destinés à être valorisés ». En liant la possibilité d’exporter des déchets à la performance comparative des installations nationales, l’État membre érige une barrière qui entrave la libre circulation des déchets destinés à la valorisation, assimilables à des marchandises. La décision réaffirme ainsi la distinction fondamentale entre le régime applicable à l’élimination, soumis aux principes de proximité et d’autosuffisance pour des raisons de protection de l’environnement, et celui applicable à la valorisation, qui doit favoriser la création d’un marché européen du traitement.
II. La consolidation de la définition fonctionnelle de la valorisation
La Cour de justice profite de ce recours en manquement pour clarifier une nouvelle fois la ligne de partage entre les opérations de valorisation et d’élimination (A), assurant ainsi la cohérence et la prévisibilité du droit de l’Union en la matière (B).
A. La prééminence de la finalité de l’opération sur la composition du déchet
L’arrêt réitère avec force que la qualification d’une opération d’incinération en « valorisation » ou en « élimination » dépend de sa fonction principale et de son efficacité énergétique, et non des caractéristiques physiques ou chimiques des déchets traités. La directive 75/442 qualifie de valorisation l’incinération dont l’objet est une « utilisation principale comme combustible ou autre moyen de produire de l’énergie ». La législation nationale, elle, se fondait sur la valeur calorifique des déchets et leur teneur en chlore pour opérer cette distinction. La Cour rejette catégoriquement cette approche en se référant à un arrêt antérieur, rappelant que « des critères tels que la valeur calorifique des déchets, la teneur en substances nocives des déchets incinérés ou le fait que les déchets aient été mélangés ou non ne peuvent, en revanche, pas être pris en compte ». En conséquence, le critère pertinent n’est pas la qualité du déchet en tant qu’intrant, mais bien l’objectif et le résultat du processus de traitement. Une opération est une valorisation si son but premier est de produire de l’énergie et si elle y parvient de manière effective.
B. La confirmation d’une approche objective de la valorisation énergétique
En réaffirmant sa jurisprudence, la Cour établit un critère de distinction stable et fonctionnel, garantissant une application harmonisée de la hiérarchie des modes de traitement des déchets au sein de l’Union. Elle rappelle les trois conditions cumulatives pour qu’une incinération soit une valorisation : la finalité essentielle de l’opération doit être la production d’énergie, l’énergie produite doit être supérieure à l’énergie consommée avec une utilisation effective du surplus, et la majeure partie des déchets doit être consumée lors de l’opération. Cette approche pragmatique empêche les États membres de qualifier arbitrairement d’élimination des opérations de valorisation efficaces, ou inversement, ce qui pourrait fausser la concurrence et nuire aux objectifs environnementaux de la directive. La solution retenue offre ainsi une sécurité juridique indispensable aux opérateurs économiques du secteur, en définissant clairement les conditions dans lesquelles l’incinération de déchets contribue à la production d’énergie et peut, à ce titre, être considérée comme une opération de valorisation privilégiée par le droit de l’Union.