Par un arrêt du 14 octobre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la nature juridique des relations de travail au sein de la Banque centrale européenne et l’étendue du pouvoir de cette dernière de modifier unilatéralement les attributions de ses agents. En l’espèce, un agent de la Banque, engagé en qualité de « coordinateur des spécialistes unix », s’est vu notifier par son supérieur hiérarchique le retrait d’une de ses tâches, à savoir l’évaluation des membres de son équipe. Par la suite, un rapport d’évaluation de ses services a été établi, rapport que l’agent a contesté. Une note ultérieure est venue formaliser la liste de ses principales attributions, confirmant la modification intervenue. L’agent a alors saisi le Tribunal de première instance des Communautés européennes de deux recours visant à l’annulation du rapport d’évaluation et de la note fixant ses nouvelles attributions, au motif principal que ces actes modifiaient unilatéralement son contrat de travail. Par un arrêt du 22 octobre 2002, le Tribunal a rejeté ses recours, jugeant que la modification ne portait pas sur un élément essentiel du contrat de travail et que la Banque jouissait d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de ses services. L’agent a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en appliquant au personnel de la Banque, dont la relation de travail est de nature contractuelle, les principes jurisprudentiels régissant la situation statutaire des fonctionnaires communautaires. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si la nature contractuelle de la relation de travail entre la Banque centrale européenne et ses agents faisait obstacle à ce que celle-ci puisse modifier unilatéralement leurs attributions en invoquant l’intérêt du service. La Cour de justice rejette le pourvoi, considérant que si le lien d’emploi est bien de nature contractuelle, ce contrat est conclu avec un organisme communautaire chargé d’une mission d’intérêt général. Cette spécificité limite la portée de la volonté des parties et justifie que la Banque dispose, à l’instar des autres institutions, d’un large pouvoir d’appréciation pour organiser ses services, y compris en modifiant les tâches de son personnel, sous réserve du respect de l’intérêt du service et de l’équivalence des emplois.
L’analyse de la Cour repose ainsi sur une qualification duale de la relation de travail, affirmant son caractère contractuel tout en le subordonnant aux exigences du service public communautaire (I), ce qui justifie en conséquence l’extension des prérogatives de l’administration en matière d’organisation de ses services (II).
I. La consécration d’une relation de travail de nature contractuelle tempérée
La Cour de justice commence son raisonnement par la confirmation du caractère contractuel du lien d’emploi unissant la Banque à son personnel (A), avant d’en limiter immédiatement la portée au nom des missions spécifiques de l’institution (B).
A. L’affirmation de principe du caractère contractuel de l’emploi
La Cour valide la prémisse fondamentale selon laquelle la relation de travail au sein de la Banque n’est pas de nature statutaire, mais bien contractuelle. Elle fonde cette analyse sur les conditions d’emploi du personnel de la Banque, qui prévoient que « les rapports d’emploi entre la bce et ses agents sont régis par les contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d’emploi ». La Cour souligne que ces dispositions sont analogues à celles applicables au personnel de la Banque européenne d’investissement, pour lesquelles elle a déjà jugé que le régime était basé sur un accord de volontés. Par cette confirmation, la Cour établit une distinction claire avec le régime statutaire qui s’applique à la majorité des fonctionnaires des institutions communautaires. La solution est exprimée sans détour : « le lien d’emploi entre la bce et ses agents est de nature contractuelle et non pas statutaire ». Cette qualification implique, en principe, que les termes du contrat, y compris les attributions convenues, ne sauraient être modifiés sans le consentement des deux parties, en vertu de la force obligatoire des conventions.
B. La limitation de la portée du consentement contractuel par l’intérêt général
Cependant, la Cour nuance immédiatement la portée de cette qualification contractuelle en la confrontant à la nature particulière de l’employeur. Le contrat est conclu avec « un organisme communautaire, chargé d’une mission d’intérêt général et habilité à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel ». Il en découle une conséquence déterminante : « la volonté des parties à un tel contrat trouve nécessairement ses limites dans les obligations de toute nature qui découlent de cette mission particulière ». Le consentement de l’agent se trouve ainsi circonscrit, son adhésion au contrat de travail emportant une acceptation implicite des contraintes inhérentes au service public. L’autonomie de la volonté est donc subordonnée aux nécessités du service. La Cour précise que l’agent, en signant sa lettre d’engagement, adhère aux conditions d’emploi sans pouvoir en négocier individuellement les éléments, limitant ainsi l’accord de volontés à l’acceptation d’un cadre préétabli et évolutif.
Cette construction d’une relation contractuelle de droit public permet à la Cour de justifier la transposition de principes issus du droit de la fonction publique communautaire, traditionnellement étrangers à la pure logique contractuelle.
II. L’application subséquente des prérogatives de l’administration communautaire
Une fois le cadre juridique posé, la Cour en tire les conséquences logiques en reconnaissant à la Banque un large pouvoir d’appréciation pour l’organisation de ses services (A), tout en rappelant les limites qui encadrent l’exercice de ce pouvoir (B).
A. La reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation des services
La Cour estime que les organes de direction de la Banque ne se trouvent pas dans une situation différente de celle des autres institutions communautaires. Elle applique par analogie une jurisprudence constante qui reconnaît à ces dernières « un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées ». Par conséquent, « la bce doit, de manière identique, disposer d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de ses services en fonction des missions qui lui sont confiées ainsi que, par voie de conséquence, et en vue de celles-ci, dans la définition ou la redéfinition des tâches qui sont confiées à son personnel ». Ce pouvoir de direction est essentiel pour permettre à l’institution de s’adapter à de nouveaux besoins et d’assurer une gestion efficace de son personnel au service de l’intérêt général. Le Tribunal de première instance n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que la modification des attributions de l’agent relevait de ce pouvoir discrétionnaire, même dans un contexte contractuel.
B. L’encadrement du pouvoir d’appréciation par l’intérêt du service et l’équivalence de l’emploi
Ce large pouvoir d’appréciation n’est cependant pas absolu. La Cour rappelle qu’il est soumis à une double condition : son exercice doit se faire « dans le seul intérêt du service et dans le respect des grades et classements auxquels chaque agent peut prétendre ». En l’espèce, la Cour constate que l’agent n’a pas contesté que la modification de ses attributions était intervenue dans l’intérêt du service. Par ailleurs, elle relève que l’intéressé a conservé son emploi, son grade et sa rémunération, ce qui garantit le respect de l’équivalence de son poste. Le Tribunal de première instance avait d’ailleurs jugé que le retrait de la tâche d’évaluation n’avait pas pour conséquence d’abaisser l’ensemble des attributions de l’agent et ne constituait donc pas une atteinte à un « élément essentiel du contrat de travail ». La Cour valide implicitement cette approche, considérant que seules les modifications substantielles affectant le grade ou les responsabilités fondamentales de l’emploi pourraient être contestées, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.